C’est une méprise qui ne va pas arranger la réputation de l’administration italienne aux yeux des Français : des retraités français résidant en Italie ont reçu un courrier de l’administration fiscale italienne leur demandant des comptes pour l’année 2015, alors qu’ils sont en règle.
Pour comprendre l’origine de la confusion opérée par le fisc italien, il faut en revenir aux bases. Entre les deux pays, il existe une convention fiscale, signée en 1989. Elle indique, entre autres, qu’un retraité français qui bénéficie d’une retraite versée par une caisse publique française, bien qu’il habite en Italie, doit payer ses impôts en France. Les caisses privées et rentes sont imposables, elles, dans le pays où le bénéficiaire réside. C’est clair, net et gravé dans le marbre depuis trente-deux ans.
De la même manière qu’il est établi qu’on ne juge pas un prévenu deux fois pour la même faute, on ne paye pas deux fois des impôts pour le même revenu. C’est un principe basique de la fiscalité qui veut que la double-imposition ne soit pas reconnue.
Un redressement fiscal injuste, qui coûte cher
Or, depuis le début de l’année, des dizaines de retraités français qui résident en Italie ont reçu un redressement fiscal par le fisc italien, concernant des revenus perçus en 2015 et issus de pensions publiques, donc non-imposables en Italie. Nous avons interrogé Alexandre Bezardin, Conseiller des Français de l'étranger. D’après lui, plus d’une vingtaine de retraités ou couples de retraités l’on contacté pour lui faire part de leur stupéfaction après avoir reçu une lettre les informant de leur redressement fiscal. « On parle de couples âgés parfois de 80 voire 85 ans, dont certains sont établis depuis des dizaines d’années en Italie, et qui ont toujours respecté les règles à la lettre. Ce sont des gens qui règlent leurs impôts en temps et en heure chaque année, qui sont des contribuables dans leur bon droit et à qui on vient prendre de l’argent alors qu’ils ne doivent pas le moindre centime. Je n’ai eu vent que d’une vingtaine de cas mais il en existe sûrement bien d’autres. » Et recevoir une lettre, un jour, informant qu’on doit des milliers au fisc, est choquant. Surtout lorsqu’on n’a rien à se reprocher, et que le sentiment d’injustice est absolument légitime. « Le fisc italien a remarqué, on aimerait savoir comment, que des retraités touchaient une pension mensuelle, et n’a pas compris pourquoi ils ne payaient pas d’impôts dessus. Alors, il a envoyé des lettres réclamant le paiement d’impôts sur l’année 2015. Et ce ne sont pas de petites sommes ! J’ai notamment échangé avec un couple de retraités qui gagne, à eux deux, 45 000 euros annuels. On leur en a demandé 13 000 pour l’année 2015 ! Alors imaginez pour les couples avec de plus faibles revenus… »
L’incompréhension a laissé place à la colère et à la saisie de la justice. « Le centre français des impôts connaît bien la convention, et a rappelé aux concernés qu’ils étaient dans leur bon droit et qu’ils ne devaient rien payer au fisc italien. Mais les procédures de contestation coûtent cher : il faut engager un avocat et tout le monde ne peut pas se le permettre, surtout quand les dossiers traînent et les mois passent. En plus, étant donné que le fisc demande un paiement pour l’année 2015, il ne se gêne pas pour y ajouter des intérêts, et des amendes si le paiement traîne. Il y a une forme de chantage à l’amende : si vous payez maintenant, vous n’aurez pas d’amende. Mais il n’est pas dans l’intérêt des retraités de payer, puisqu’ils ne sont pas censés le faire, et qu’ils ne pourront récupérer leur argent une fois le paiement effectué. » Une impasse totale, qui mène certains couples au désespoir. Ils ont perdu beaucoup d’argent en payant le fisc ou des avocats ; dans les deux cas, ils auraient dû, d’après la convention fiscale, ne rien dépenser.
Pourquoi une telle erreur du fisc italien ?
M. Bezardin ne pense pas que ce soit de la mauvaise foi, mais plutôt une ignorance de la part de l’administration fiscale de certaines régions ou provinces, qui les mènent à ce genre d’erreur préjudiciable pour les retraités touchés. « Je ne pense même pas qu’ils soient malintentionnés ; ils ne connaissent sûrement pas le texte et c’est cela qui les fait se tromper » Une erreur qui pourrait, malheureusement pour les retraités concernés, être amenée à se reproduire, puisque c’est l’année 2015 qui a été visée par le fisc. Rien n’empêche maintenant qu’il demande des comptes pour les années 2016, 2017, 2018…, ce qui inquiète beaucoup les retraités.
Quelles actions peuvent mener les élus ?
Quand on demande à M. Bezardin ce que des élus comme lui ou les parlementaires peuvent faire dans ce genre de situation pour les Français installés en Italie, il nous répond avec honnêteté : pas grand-chose. Car des élus français ne peuvent demander des comptes à une administration étrangère, bien qu’elle se fourvoie et mette injustement des Français dans une situation compliquée : ce serait perçu, à juste titre, comme de l’ingérence. En revanche, il est de leur devoir d’alerter les administrations françaises et le Gouvernement afin que celui-ci puisse en parler avec son homologue italien.
Un problème qui n’est pas restreint à l’Italie
D’après M. Bezardin, ce genre d’imbroglio n’est pas une situation nouvelle – un tel cas s’était déjà produit à Rome – et surtout, n’est pas survenu qu’en Italie. Des problèmes similaires ont en effet été signalés notamment en Grèce et aux Etats-Unis. Mais depuis trois mois, il y a une augmentation significative en Italie qui ne semble pas être près de s’arrêter, et l’affaire est à suivre très sérieusement.