

Renaud Garcia Fons n'a pas besoin d'avertir son public des influences qui dominent sa musique- sa contrebasse le chante pour lui.
Venu pour la première fois en Australie, le virtuose et compositeur français emmena hier soir le Bennetts Lane Jazz Club dans un voyage à cinq cordes, à travers le monde.
A Colingwood, autour d'un café, l'incroyable contrebassiste nous parle de son travail, de ses influences, de la musique et surtout de celle pour laquelle il a eu le coup de foudre
cc Elif Bizlupinar
Vous venez d'arriver des États Unis, le berceau du Jazz, à Melbourne. Avez-vous remarqué une différence dans l'audience?
Non. Il y a une appropriation de cette culture jazz. C'est une musique internationale avec une audience internationale, que ce soit à Melbourne, en France, en Angleterre ou aux États Unis.
Vous tournez beaucoup, comment se passe le voyage avec un bagage long de deux mètres?
J'ai depuis quelques années une contrebasse à manche démontable. Ça devenait de plus en plus compliqué avec les compagnies aériennes en plus des problèmes de sécurité. Le fait que le manche soit amovible permet de la mettre en boite.
Comment vous est venue cette idée, le résultat d'une collaboration?
Un travail avec un luthier exceptionnel, le français, Jean Auray. Je suis le premier auquel il a proposé ce système. Un matin il m'a appelé en me disant "Renaud, je voudrais te proposer une chose, à mon avis ça marchera bien". Il m'a fait cette première contrebasse il y a quatre ou cinq ans. Depuis de très nombreux contrebassistes s'y sont mis et il transforme même les très vieilles.
Vous avez commencé avec la guitare classique et le piano, d'où vous vient cette envie de jouer de la contrebasse?
J'ai toujours voulu être musicien. J'ai toujours été passionné par la musique. Je n'avais pas trouvé l'instrument avec lequel je souhaitais m'exprimer vraiment. A 16 ans j'ai eu l'occasion d'essayer une contrebasse pendant quelques instants et j'ai eu un véritable coup de foudre.
Pourtant c'est un « beau bébé » pas très évident...
(rire) Oui c'est un instrument assez ingrat quand on démarre et quand on n'a pas de musique en tête. Il y a quelque chose d'assez inexplicable. Comme un coup de foudre donc. Ce n'est pas rationnel et raisonnable. Un carma, un bon carma.
Du coup comment vous faites pour la composition? L'écriture?
J'étais en passion avec la musique dès mon plus jeune âge, j'ai la musique dans la tête. Quant à l'inspiration elle n'est pas nécessairement liée à mon activité de contrebassiste. Je ne me focalise pas sur mon instrument mais sur la musique en générale. J'aime écrire pour des formations plus grandes pas nécessairement pour mon instrument. La composition reste aussi parfois un mystère. Dutilleux disait « Il y a autant de façon de composer que de compositeurs ». Lui c'est un très grand compositeurs donc on peut avoir foi dans ce qu'il dit. (Rire)
Vous avez grandi à Paris, à Montmartre avec des parents d'origine espagnole, cela a-t-il influencé votre musique ?
J'ai grandi au pied de la Butte dans un milieu artistique. Mon père est peintre, ma mère travaillait pour la Société de auteurs de théâtre. J'ai eu de la chance d'avoir des parents qui m'ont soutenu assez rapidement quand j'ai voulu être musicien. Je suis français mais avec des éléments de culture espagnole, méditerranéenne forte.
Les influences se sont faites naturellement, enfant j'écoutais toute sorte de musique, beaucoup de classique, du flamenco mais pas de musique orientale, indienne, arabe ou africaine.
C'est un goût et un choix personnel pour la musique du monde qui c'est fait très rapidement.
J'écoutais du rock au moment où il a été créé. J'ai jamais considéré la musique d'une façon cloisonnée. C'est dans ce sens là que j'ai d'ailleurs abordé la contrebasse.
Comment est venue cette envie de mettre celle-ci au devant de la scène tandis qu'elle accompagne généralement les autres instruments?
D'abord c'est de l'ordre de l'instinct.
Ensuite, j'ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec François Rabbath, un contrebassiste classique mais qui a créé des morceaux avec des sons venus d'ailleurs. Dès que j'ai commencé à jouer, je l'explorais. J'apprenais la technique avec rigueur et je découvrais au fur et à mesure des pistes pour intégrer des éléments de musique que j'aimais.
Sur scène on ferme les yeux et on a l'impression que vous changez d'instruments alors que vous tapez sur votre contrebasse, utilisez des feuilles de papier, pincez ses cordes.
Je crois que c'est un poly instrument très riche avec une possibilité de timbres extrêmement différents. J'ai eu l'occasion de rencontrer des musiciens du Maghreb, indiens, latino-américains mais aussi Steve Swallow. Il y a des rencontres et il y a le travail quotidien, la recherche, le travail sur la technique pour être plus libre avec l'instrument.
Vous êtes un des rares jazzmen à utiliser l'archet et une cinquième corde.
Au 20 siècle la contrebasse a explosé comme instrument du jazz et dans la musique contemporaine, moins dans d'autres musiques. Mon travail a consisté à développer cette technique. L'archet dans l'improvisation et dans un jeu mélodique, lyrique. J'aime bien cette idée de trouver une voix, un chant. Et l'archet le permet.
La cinquième corde donne de nouvelles possibilités mais créée d'autres difficultés, notamment lorsqu'on utilise l'archet. C'est un instrument qui a évolué. J'ai joué de la contrebasse à quatre cordes avec toujours cette idée qu'il manquait quelque chose. Quand j'ai eu ces cinq cordes entre les mains je me suis dis que c'est l'outil qu'il me fallait.
Parfois vous arrive-t-il de lui être infidèle?
Et bien, il y a un instrument qui me fascine - le tambûr. C'est un instrument à trois cordes. J'en joue un tout petit peu pour moi.
Il m'inspire aussi techniquement bien que ce soit totalement différent. C'est toujours enrichissant de jouer d'autres instruments mais la contrebasse, il y a beaucoup à faire donc je lui suis fidèle.
Quels sont vos projets?
J'ai un disque solo qui vient de sortir. Différents projets à concrétiser. J'ai écrit la musique pour un film muet orientaliste dans le cadre du festival berlinois. Nous jouons sur scène pendant la projection. J'aimerais beaucoup l'enregistrer. Je joue ce soir à Melbourne, demain à Sydney et je rentre pour jouer en France et en Italie. Malheureusement pas le temps pour visiter l'Australie, peut être une autre fois.
Sabine Batko Mittelman (www.lepetitjournal.com/melbourne) Vendredi 8 Juin 2012
Renaud Garcia-Fons Arcoluz Trio se produit, ce soir, à 19h30 au Melbourne Recital Centre durant le Melbourne Jazz Festival
Vous pouvez aussi visionner une vidéo de l'artiste, ici


































