

Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye devrait être dessaisi du dossier Bettencourt. Le magistrat est mis en cause pour ses liens étroits avec Nicolas Sarkozy et sa querelle avec une autre juge chargée de l'affaire : Isabelle Prévost-Desprez
Le procureur général de Versailles Philippe Ingall-Montagnier a souhaité le dépaysement de l'affaire Bettencourt. La raison ? Une guerre d'égo entre un procureur trop proche du pouvoir, Philippe Courroye (photo AFP) et une présidente de la XVe chambre du tribunal de grande instance de Nanterre trop proche de la presse, Isabelle Prévost-Desprez. "Le procureur général a demandé au procureur de Nanterre d'ouvrir une information judiciaire sur l'ensemble des enquêtes préliminaires menées sous sa direction dans les affaires liées à ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Bettencourt", explique le communiqué du procureur général. Une fois, un juge d'instruction saisi ?ce que refusait jusqu'à présent Courroye -, "il sera demandé à la Cour de cassation de statuer globalement sur le dépaysement, dans un autre ressort de cour d'appel, de l'ensemble des dossiers concernant cette affaire", a ajouté Philippe Ingall-Montagnier.
Un juge intransigeant
Le juge Courroye n'a pas l'habitude d'être dessaisi ainsi d'une affaire. Arrivé dans les premières places de sa promotion à l'Ecole nationale de la magistrature, son ascension est fulgurante. De ses premières affaires à Lyon puis à Paris, il obtient une réputation de juge intransigeant et n'hésitant pas à titiller les politiques là où ça fait mal. Poursuivis pour corruption, Michel Noir et Alain Carignon ne s'en sont jamais remis. Dans l'affaire de l'Angolagate (vente d'armes entre la France et l'Angola), le juge Courroye s'attaque également à Jean-Christophe Mitterrand, fils de l'ancien président et à l'ancien ministre Charles Pasqua. Aucune raison donc de prêter une quelconque connivence entre le juge et le pouvoir.
Un proche de l'Elysée
Tout change pourtant quelques années plus tard. Philippe Courroye ne cache en effet pas son amitié pour le président Sarkozy, leur amour mutuel de Napoléon les a certainement rapprochés. En mars 2007, le Héron, comme on le surnomme à cause de sa grande taille, s'envole vers Nanterre où il est nommé procureur de la République, malgré son manque d'expérience au parquet. Le Syndicat de la magistrature avait alors dénoncé "un verrouillage par la droite des postes stratégiques". A Nanterre, le procureur Courroye est en proie à plusieurs polémiques sur son utilisation du système judiciaire à des fins personnelles et encore et toujours à sa proximité avec l'Elysée. Lors de la cérémonie de remise de l'ordre d'officier de l'ordre national du mérite en avril 2009, le chef de l'Etat avait pourtant déclaré : "On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l'a pas empêché de faire son métier, ni moi le mien".
En guerre contre Prévost-Desprez
Bien que cité à plusieurs reprises dans les enregistrements de l'ancien majordome de Liliane Bettencourt, Philippe Courroye hérite de l'épais dossier de la milliardaire. Cette affaire ravive les tensions avec sa collègue : la juge Isabelle Prévost-Desprez, chargée du supplément d'enquête sur l'abus de faiblesse sur l'héritière de L'Oréal. Depuis son arrivée à Nanterre, les deux magistrats ne cachent pas leur mésentente. Philippe Courroye avait ainsi demandé en décembre 2009 des sanctions disciplinaires à l'encontre de sa collègue. Celle-ci lui avait répondu en publiant le brûlot Un juge à abattre (Fayard) où elle écrit : "Il a été perçu, notamment y compris par la presse, comme agissant en gardien des intérêts de l'Etat et de son sommet." Persuadé que la juge Prévost-Desprez communique des informations à la presse, le Héron lance récemment une enquête pour "violation du secret de l'enquête" et constate que des sms ont été envoyés entre la magistrate et un journaliste du Monde.
Philippe Ingall-Montagnier déplore ces bisbilles qui donnent une mauvaise image de sa juridiction. "Il est à souhaiter que dès lors, on laissera la justice remplir sa mission en toute indépendance et sérénité d'esprit", avoue-t-il aujourd'hui. Cela ne fera de toute façon pas de mal au Héron de prendre un peu de hauteur.
Damien Bouhours (www.lepetitjournal.com) jeudi 28 octobre 2010
En savoir plus
Article de Slate, Un procureur sous surveillance
Article de la Tribune, Affaire Bettencourt : nouvelle pression pour écarter le juge Courroye


































