En 2017, l’administration Trump a tenté, sans succès, de mettre un terme à l’accès gratuit à la contraception garantie par l’Affordable Care Act, mesure prise sous Obama. Il y a pourtant une époque où non seulement les États-Unis étaient en avance sur la France en matière de contraception mais aussi source d’inspiration. Alors qu’après la seconde guerre mondiale, le sujet était toujours tabou en France, les États-Unis disposaient, à New York, d’une clinique créée en 1916 par la fondatrice du planning familial, Margaret Sanger.
La rencontre avec Margaret Sanger
En 1947, une gynécologue française, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, se rend à Manhattan et y découvre la clinique de Margaret Sanger. La France d’après-guerre avait mis en place une politique nataliste et la contraception y était interdite depuis la loi du 31 Juillet 1920, qui proscrivait également toute éducation ou diffusion d’informations sur le sujet, le tout étant considéré comme de la « propagande anticonceptionnelle ». Outre-Atlantique, le mouvement pour le contrôle des naissances avait commencé dès 1914 à New York, suivi, peu après, de l’ouverture de la première clinique de Sanger à Brooklyn. Bien que la clinique avait été fermée par la police et Sanger condamnée à trente jours de prison, elle en avait ouvert une deuxième à Manhattan en 1923.
L’ancienne clinique du Planning familial sur West 16th street à Manhattan.
Après la première guerre mondiale, les États-Unis avaient accepté le débat sur la contraception pour des raisons de santé publique: il fallait en effet enrayer les maladies vénériennes qui s’étaient propagées pendant le conflit. En outre, le mouvement féministe américain était particulièrement actif depuis 1914 et les femmes avaient déjà le droit de vote depuis 1920. Plusieurs militantes new-yorkaises dont Sanger, Emma Goldman et Marie Dennett, se battaient depuis lors pour le droit à la contraception.
Une parade de suffragettes à New York en 1917.
La création du Planning familial
De retour de New York et inspirée par sa rencontre avec Sanger, la doctoresse française commence son combat. Elle publie un article dans La Semaine des Hôpitaux dans lequel elle prend exemple sur le modèle américain pour dénoncer le retard de la France en matière de contrôle des naissances et insiste sur la nécessité urgente de prendre des mesures pour lutter contre les avortements clandestins et le décès de trop nombreuses jeunes femmes. Il ne fallut pas plus qu’une allusion à la compétition américaine pour décider les Français. Son discours lors d’une conférence devant l'Académie des sciences morales et politiques fera l’objet d’un article dans le journal Le Monde. D’autres journaux publient alors sur le sujet. C’est en partie grâce à la jeune gynécologue française que le débat s’ouvre alors en France. Elle co-fonde, avec Évelyne Sullerot, en 1956 l’association La Maternité Heureuse, plus tard rattachée à la Fédération Internationale pour le Planning Familial, ce qui lui vaudra un blâme de l’ordre des médecins et une interdiction provisoire d’exercer.
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé le 15 avril 1968 à Paris. AFP
Comme l’explique l’historienne Bibia Pavard dans son article Du Birth control au Planning Familial, les États-Unis ont été précurseurs sur la question du contrôle des naissance: « Dans ces échanges les militant-e-s américain-e-s et anglais-e-s jouent un rôle prépondérant, par leur antériorité dans le domaine du contrôle des naissances, mais aussi par les financements qu’ils offrent à la recherche et aux organisations transnationales ». L’influence des États-Unis a été telle que les français ont longtemps utilisé le terme Birth Control avant de le traduire en français et que le Parti Communiste critiquait le contrôle des naissances comme une forme d’ « américanisation ». La création en 1952 de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF), a ensuite favorisé la collaboration entre les pays. Cette création a été rendue possible par ce que Pavard appelle des « passeurs » : ces personnes qui, grâce à leur voyages et créations de réseaux, ont diffusé des idées dans leur pays d’origine.
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé est donc la figure française à qui l’on doit une circulation des savoirs dans le domaine de la contraception. Si elle quitte plus tard le planning familial en raison de son opposition à l’avortement, elle continue son combat à travers d’autres associations et l’écriture de plusieurs ouvrages, dont La Grand'peur d'aimer, journal d'une femme médecin, publié en 1960. Elle reçoit la légion d’honneur en 1984 et décède dix ans plus tard.
Aujourd’hui, le Dr. Lagroua et Margaret Sangers, ont toutes deux une rue nommée en leur honneur de chaque côté de l’Atlantique : l’une à Paris, l’autre à New York. Un hommage bien mérité.