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SÉNATEUR RÉGNARD : "On assiste à un jeu de massacre au Quai d’Orsay"

Damien Régnard sénat Français de l'étranger Damien Régnard sénat Français de l'étranger
Écrit par Marie-Pierre Parlange
Publié le 9 octobre 2018, mis à jour le 18 juin 2019

Installé aux Etats-Unis, à la Nouvelle-Orléans, depuis 22 ans, Damien Régnard vient d’être élu « par surprise » sénateur LR des Français établis hors de France. Cet entrepreneur parfois impatient de 52 ans, ancien patron de la Chambre de commerce franco-américaine, se dit en « phase de réadaptation » au rythme français sous les ors de la République mais il entend user de tout son poids au Sénat pour faire avancer la cause des Français de l’étranger au Parlement. 

 

Lepetitjournal.com : Vous venez de prendre vos fonctions de sénateur, à la suite de l’invalidation de l’élection de Jean-Pierre Bansard, avez-vous un commentaire à faire sur le sujet ? 

C’était très inattendu. Je savais qu’un recours avait été déposé mais les comptes de campagne avaient été validés par la commission nationale au mois de mars. La tête de liste étant responsable des comptes, j’ai été appelé en tant que 3eco-listier à remplacer Jean-Pierre Bansard. Je n’étais pas dans l’attente du poste mais chez moi en train de lancer différents projets. J’ai été plus que surpris. 

 

Vous êtes depuis longtemps engagé auprès des Français de l’étranger. Membre de l’Assemblée des Français de l’étranger depuis 2009, vous avez été candidat aux Législatives en 2012 et 2017. Comment envisagez-vous ce rôle de sénateur ?

Pour moi, c’est un engagement vis-à-vis de nos communautés plus qu’un engagement en politique. Si j’ai commencé avec l’associatif et que je suis allé à l’Assemblée des Français de l’Etranger, c’est pour faire aboutir des dossiers où on était un peu bloqués. 

Je me suis présenté aux Législatives car, me sentant très "américain", j’estimais qu’on était mal représenté. Je vis en Louisiane depuis 22 ans, je maitrise les problématiques, j’avais cette légitimité. De plus en 2017, l’absence de soutien du candidat investi LR (Frédéric Lefebvre ndlr) au candidat de la droite m’a poussé à agir, même si je me doutais que mes chances seraient faibles. Cela m’a valu d’être suspendu par Les Républicains. Aujourd’hui je suis rattaché au groupe LR au Sénat. Je suis plutôt conservateur (sourire), même si le parti idéal n’existe pas. 

Je garde à 200% un regard sur les Français de l’étranger. 

Mon arrivée au Sénat m’aide à débloquer des dossiers. Avec les autres parlementaires des Français de l’étranger de tout bord, il n’y a pas de clivage partisan quand on est dans le concret. On a plus de poids et de réactivité. Je suis aussi là pour être le relais des conseillers AFE, qui connaissent, maîtrisent les problématiques. J’explique aux parlementaires, présidents de groupes d’amitiés, ce rôle essentiel des élus locaux. C’est comme ça que je vois mon mandat. 

 

Quels sont vos chevaux de bataille ? 

L’enseignement est une priorité. J’étais à l’origine de la création de 3 écoles différentes. Deux Chartered schools et une école privée avec programmes FLAM qui marchent très bien. 

La volonté du Président de doubler les effectifs n’a pas de sens avec les moyens actuels. 

 

Mme Cazebonne en charge de cette mission a une bonne connaissance du dossier mais elle doit faire un carré avec 3 baguettes. Comment doubler le nombre d’élèves si on baisse le budget, si on ne doit pas augmenter l’enveloppe des bourses, l’investissement dans l’immobilier... Je préfèrerais un discours réaliste. Cela m’énerve que les annonces de Paris ne s’accompagnent pas de moyens. C’était pareil avec le gouvernement précédent. Aux Etats-Unis, on a la positive attitude : on a un projet ? De quoi a-t-on besoin ? Et on y va. C’est une approche différente. 

 

Comment pourrait se développer alors l’enseignement français à l’étranger ? 

Il y a des alternatives à apporter avec du public local, des coûts réduits, du financement privé. Aujourd’hui les établissements ne savent plus s’ils doivent rester dans le réseau conventionné, homologué. Il faut mettre le paquet sur les grands établissements, les vaisseaux amiraux comme les Lycées français de Chicago, de New York et de San Francisco. On n’aura jamais ça à la Nouvelle-Orléans ou à Oklahoma city. Donc il faut préserver cet étendard et être créatif, souple, flexible. 

 

La députée Anne Genetet a rendu son rapport sur la Mobilité des Français : qu’en retenez-vous ? 

Ce rapport très attendu comporte de bons diagnostics. Mais je suis pessimiste sur la révision de la fiscalité sur les Français de l’étranger. Bercy bloquera sans doute. On l’a vu sous le gouvernement précédent. Il y a plusieurs milliers de dossiers de remboursement de la CSG pour des Européens en attente !! 

Il y a de moins en moins de contrats d’expatriés à l’étranger. Il faut en tenir compte. La santé est pour moi une priorité et j’espère qu’avec la Caisse des Français de l’étranger on va pouvoir mettre l’accent sur la télémédecine. 

La réforme de la CFE sera votée en novembre. Elle va dans le bon sens.  Elle va débloquer entre autres l’accès à la carte vitale pour les Français de l’étranger. 

 

Votre avis sur le rayonnement culturel de la France ? 

Je veux me battre pour la défense du Ministère des Affaires étrangères. C’est sans doute vain mais on assiste à un jeu de massacre. Je vois une déconsidération du personnel de ce ministère dans son ensemble. Effectifs sabordés, moyens sabordés… Cela me rend triste et très préoccupé. 

La décision du 3 août 2018 par lequel l’exécutif a allongé la liste des emplois à la décision du gouvernement
 (22 postes en tout!) m’a profondément choqué. Il n’y a pas que M. Besson - que je ne connais pas - à Los Angeles. Il y a aussi Québec, Tel Aviv, l’Australie… Ce n’est pas que le Président réserve des postes à ceux qui partagent ses idées qui me gène, ses prédécesseurs faisaient de même, mais aller chercher des diplomates hors du quai d’Orsay est un scandale. Ils ne sont pas du sérail ! J’ai vécu Katrina. Je sais qu’en cas de catastrophe, il faut un chef d’équipe avec de l’expérience, une formation. C’est un métier. Le ministre ne se bat pas pour son ministère. La France a besoin d’un outil en état de marche.

 

Certaines fonctions ne peuvent-elles pas être réorganisées ? 

Réorganiser ? Rien ne fonctionne. Le consulat, c’est la mairie des Français de l’étranger. Je suis pour la dématérialisation mais les nouvelles technologies ne sont pas opérationnelles. La qualité de service dégringole. Sur le terrain malheureusement je ne vois pas d’amélioration. Ces situations m’énervent.  J’aimerais là encore moins de grands discours et plus de moyens. 

 

 

Constatez-vous une perte d’influence de la France aux Etats-Unis ?  

Je ne veux pas dénigrer la France. Les entrepreneurs français aux USA marchent bien, on a des atouts et des compétences. Des usines comme Michelin en Oklahoma avec 2000 salariés aux petites startups et aux artisans, une de mes missions est de les accompagner et les aider. Mais la France n’aide pas particulièrement ! Au contraire, on va vous demander de fermer votre compte bancaire en France ou, si vous voulez avoir une activité de chaque côté de l’Atlantique, vous embêter avec des tracasseries administratives. 

France is back, pour moi, c’est le pendant de Make America great again. L’Amérique a toujours été grande et la France n’est jamais partie des USA. J’étais président de la chambre de Commerce franco-américaine à l’époque de la crise irakienne, on est resté, on s’est battu. 

 

 

Que pensez-vous de l’équipe de France à l’export, cette alliance des chambres de commerce, de Business France, des conseillers du commerce extérieur ? 

J’ai été CCE, j’ai été président pendant 10 ans de la chambre de commerce franco-américaine. Ce centralisme me fatigue. Les chambres de commerce à l’étranger, c’est du 100% privé, local. Il n’y a pas un euro d’aide. Ce n’est pas avec des mégastructures qu’on pourra répondre à des attentes spécifiques. De Paris, on ne peut pas tout savoir. 

On nous dit que les ambassadeurs doivent être nos VRP ? Qu’ils soient dans l’équipe, oui, qu’ils mettent à disposition la résidence, leur influence et des contacts, oui, mais il faudra qu’on m’explique comment l’ambassadeur peut tout faire. 

 

Quelle est votre position sur la réforme constitutionnelle à venir ? 

C’est très démagogique. Il y a une méconnaissance du rôle de chacun, de la légitimité des élus. On dit souvent qu’aux USA il y a seulement 100 sénateurs, mais on oublie qu’ils ont chacun 40 collaborateurs et que dans chaque Etat il y a aussi un capitole. 

Réduire le nombre d’élus ne nous rendra pas plus efficaces. Je ne comprends pas cette attaque du travail parlementaire et trouve dangereux de réduire encore l’influence du parlement. L’élu est au service de ses concitoyens, sa légitimité vient de son travail. Aujourd’hui la démocratie fonctionne à peu près. 

Il faudrait peut-être signer moins de lois et appliquer les décrets ! Foutons la paix aux gens, responsabilisons les parents, les industriels… Je ne suis pas pour un libéralisme débridé mais je voudrais décorseter, ouvrir les fenêtres. C’est en cela que les parlementaires venus d’ailleurs apportent beaucoup, et pas seulement aux 3 millions de Français à l’étranger. 

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