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Vous venez d'où : cette espèce de question

Marc Sony Ricot - ChroniquesMarc Sony Ricot - Chroniques
Marc Sony Ricot - Photo de Amazan
Écrit par Marc Sony Ricot
Publié le 3 juin 2025

 

 

Vous venez d'où : cette espèce de question


Je ne sais pas pourquoi cette question me choque autant. C’est simple, pourtant. Une réponse bien vite, et puis c’est fini. On passe à autre chose. Mais non, il y a un tas de choses qui passent par la tête. Mais d’où je viens ? Je réfléchis un peu. J’étudie le ton sur lequel on me pose la question. Mais la dame est bien gentille dans le ton. On se parle quand même.  J’ai pris un peu de temps pour réfléchir. D’où je viens ?

Au moins, moi, j’ai un pays. Dans la vie, avoir un pays, c’est quelque chose. C’est un grand privilège, un secours. Je viens de Chine. J’aime bien la Chine. Quand je passe dans le quartier chinois de Montréal, il y a une odeur de cuisine qui m’embrasse avec une telle douceur et générosité. Et puis, il y a d’excellents poètes là-bas. François Cheng, qui est à l’Académie française, a écrit de très bons poèmes : « Nos jours ne sont plus qu’un jardin délaissé. Parfois, tu souris, là, au bout de l’allée… »

 

Je suis plutôt iranien, je crois. C’est un grand pays, d’ailleurs. J’ai vu au cinéma du coin Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof. Ému jusqu’aux larmes quand j’ai vu la manière dont l’État du pays traite les femmes qui manifestent pour leurs droits. Je suis de là-bas, tu vois. Je suis solidaire envers ces femmes.

 

Pourquoi pas du Brésil ? Je suis brésilien. Mon premier grand amour m’a quitté comme ça un jour, et est partie pour le Brésil le lendemain. J’habitais dans une petite chambre. J’écoutais João Gilberto, Gilberto Gil, Antônio Carlos Jobim, et puis je lisais Jorge Amado… J’étais devenu brésilien sans hésitation. Argentin ? Peut-être. J’adore Le Tunnel d’Ernesto Sábato. Ce n’est pas un mauvais livre. Je l’offre toujours aux miens. Et puis, j’ai une grande admiration pour Jorge Luis Borges et Alberto Manguel quand ils parlent des livres. Je suis du Pérou aussi. Mario Vargas Llosa a écrit de très bons romans qui se déroulent là-bas. Je suis turc pour Nazim Hikmet, qui a écrit : « Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée. »

 

Dans ce restaurant de Pointe-à-Pitre, la serveuse pense que je suis congolais, pourtant je suis en train de lire dans la chambre d’hôtel le dernier roman d’Alain Mabanckou. Heureux hasard. Je pense que je suis malgache aussi. On dit toujours que mon ami Ritzamarum Zétrenne est malgache pour son nom. J’apprécie beaucoup ce vieux frère, donc je suis de son pays. Malgache, je t’aime. 

 

 

Pays de l’enfance


Je suis français. Bon, ça choque les Haïtiens. Oui, je suis français. La France est un pays qu'on ne peut oser ne pas aimer. Si on aime la culture. Quand j’étais plus petit, je rêvais de vivre dans un musée parisien. On a tous un pays de rêve, pas vrai ? Adolescent, je lisais Flaubert, Hugo, Zola, Le Clézio et les autres, et j’ai compris que la France est un pays où il y a une sorte de dieux qui bénit la main et la voix des artistes. Il y a un secret que les français n'ont jamais avoué. Ce n’est pas possible qu’un pays ait donné naissance à tant de génies par siècle. Je n'y suis jamais allé. (Je suis de ceux qui aiment fleurir leur rêve de jeunesse). J’aurais bien aimé prendre un vers avec Rimbaud, Baudelaire ; si Paul Éluard et Duras sont là, ce serait génial. Parfois, je me sens complètement allemand pour Goethe. Américain ? Oui, pourquoi pas. Mais pas pour vous tromper, hein. Je suis le petit frère de James Baldwin, Ella Fitzgerald est ma mère. Je fume toute la nuit avec Bukowski. Toni Morrison et Henry Miller sont de ma famille. Sérieusement, je suis Guadeloupéen, pour mon ami Ernest Pépin.

 

Qui est Marc Sony Ricot ?

 

 

Mais bizarrement, d’où je viens ? Est-ce que j’ai un pays ? On dit qu’il faut toujours avoir un pays dans le cœur, pourtant moi, toute mon âme est pleine de pays. J’ai une appréciation pour le Québec. C’est le pays de Gaston Miron quand même. Je suis un homme rapaillé. D’où je viens ? Suis-je une espèce d’ombre, toujours en fuite ? Pourquoi le Portugal ne veut pas me donner un passeport ? C’est mon pays. Je suis un vieux fou de Fernando Pessoa. Le Chili, je le suis pour de vrai, parce que je lis toujours Neruda pour cette fille que je ne peux pas regarder dans les yeux même pendant cinq secondes.  

 

Je suis d’Haïti. Oui madame, c’est dans la Caraïbe. Première république noire du monde. Jean-Jacques Dessalines. De très bons écrivains aussi : Lyonel Trouillot, Yanick Lahens, Kettly Mars, Marie-Célie Agnant, Evains Wêche, Makenzy Orcel, Georges Castera …. Est-ce que je suis haïtien comme le romancier et critique d'art Carl Pierrecq ? Est-ce que je suis né là-bas, un jour ? Souvent, j’en doute fort. Est-ce que ma mère ne s’est pas trompée de pays ? Je suis né dans la même ville que Umberto Eco.


La littérature a fait de moi un homme sans pays. Mon cœur est sans frontières, il navigue sur d’autres rives. C’est pour cela qu’on doit lutter chaque jour pour sauver la littérature. J’ai toujours pensé que la culture peut réunir le monde dans un village. Elle peut nous aider à écouter le cri de la terre entière. Je suis de tous les pays Madame. Comment ça ? Il n'y a pas de comment ça, c'est ma façon d'être au monde.

 

La première chronique de Marc Sony Ricot pour LePetitJournal Édition de Montréal / Québec

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