Édition internationale

Olivier Cenille, faire circuler l’innovation entre deux continents

Arrivé de France il y a près de dix ans, Olivier Cenille a fait du Québec son terrain d’action. À l’interface des municipalités, des organismes de formation et des acteurs de l’innovation territoriale, il accompagne des coopérations concrètes entre collectivités françaises et québécoises, loin des logiques de vitrine. Rencontre avec Olivier Cenille, consultant engagé dans l’accompagnement de la transformation des pratiques territoriales.

Olivier CenilleOlivier Cenille
Olivier Cenille - Photo Courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 21 décembre 2025

 

 

« Faire circuler ce qui marche. Partager ce qui échoue. Et créer du commun entre ceux qui ne se parlent pas encore »

 

 

Français d’origine martiniquaise installé à Montréal depuis 2016, Olivier Cenille fait partie de ces passeurs qui relient les mondes sans jamais chercher la lumière. Observateur attentif, stratège patient, il s’est peu à peu imposé comme un acteur clé des coopérations entre la France et le Québec, guidé par une idée simple : rien de durable ne se construit seul. 

Olivier a passé près de vingt ans dans les études et le conseil, un terrain où l’on apprend à écouter, à analyser, à identifier les dynamiques invisibles. Cet art de la lecture des écosystèmes l’amène à rejoindre le groupe média B2B Infopro Digital maison-mère, entre autres, des magazines L’Usine Nouvelle et Le Moniteur. Lorsqu’en 2016 il annonce à son employeur qu’il désire partir au Québec, celui-ci lui confie alors une mission inédite : poursuivre son travail éditorial et partenarial à distance. 

« C’était avant la Covid, j’étais un cobaye », sourit-il. Depuis Montréal, il devient pourtant un maillon essentiel entre les équipes reliant acteurs du bâtiment, de l’industrie, de la formation et de l’innovation. Une expérience fondatrice, qui donnera le ton de toute la suite : créer des ponts et ouvrir des circulations que personne n’avait imaginées. 

 

L’innovation comme terrain d’enracinement 

Après Infopro Digital, avec le soutien de la CCI Française au Canada, Olivier rejoint le CCCA-BTP et son incubateur le WinLab’. Il s’oriente vers l’innovation dans la construction et les transitions urbaines. Loin du rôle de consultant classique, il devient un facilitateur entre institutions, organismes de formation, entreprises de la construction et startups. Ses missions l’amènent régulièrement en France mais aussi au Danemark, à Singapour, au Maroc : partout, il observe les villes qui s’adaptent, expérimentent, inventent. Ce regard international, nourri de pratiques très différentes, prépare le terrain pour ce qui deviendra l’un de ses engagements majeurs : Mission Ecoter

 

Mission Ecoter : un pont vivant entre France et Québec 

En France, Mission Ecoter accompagne depuis plus de vingt ans les collectivités dans leurs transformations numériques, territoriales et environnementales. Pour renforcer sa présence en Amérique du Nord, l’association cherchait « quelqu’un qui connaisse les réalités québécoises et françaises ». Olivier s’est imposé naturellement. « Ils avaient besoin d’un relais, d’un interprète des contextes. Pas d’un porte-parole : d’un passeur », résume-t-il. 

Son rôle — qu’il décrit comme «profondément structurant » — consiste à ouvrir un corridor d’innovation entre municipalités françaises et québécoises. Il ne s’agit pas de reproduire ce que l’un fait chez l’autre, mais de comprendre les conditions de réussite, les obstacles invisibles, les marges de manœuvre.

 

« Un projet transatlantique commence toujours par une conversation honnête », 

 

L’innovation municipale en mouvement 

En 2023, Mission Ecoter a officialisé ce rapprochement en signant un partenariat avec IVÉO, organisme québécois spécialisé dans l’innovation municipale. Annoncé au Salon des Maires à Paris, l’accord marque un tournant : les deux structures s’engagent à faire circuler technologies, méthodes, retours d’expérience et projets pilotes entre les deux rives de l’Atlantique. 

« Le Québec excelle dans l’expérimentation à l’échelle municipale. La France dans la structuration territoriale. On gagne tous à partager », explique Olivier. Concrètement, il collabore avec les municipalités françaises susceptibles de tester des solutions venues du Québec, il accompagne des innovateurs français curieux du marché nord-américain ou aide des villes françaises à découvrir des approches québécoises en mobilité, énergie, gestion de l’eau ou numérique. Tout passe par la traduction — culturelle, technique, institutionnelle — qu’il effectue en continu. 

 

 

Le rôle d’interprète et de tisseur de liens 

La force d’Olivier n’est ni dans l’expertise technique pure ni dans la représentation institutionnelle. Elle est dans sa capacité à faire dialoguer des mondes qui, sans lui, se croiseraient sans se comprendre : ingénieurs et élus, écoles et municipalités, organismes publics et startups.

 

« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de multiplier les projets mais de faire circuler l’intelligence »

Cette manière de travailler repose sur un principe simple : faire en sorte que chaque rencontre débouche sur un apprentissage mutuel. Que les villes québécoises s’inspirent de la France sans se sentir contraintes ; que les collectivités françaises découvrent le pragmatisme nord-américain sans perdre leur cohérence. Une diplomatie de terrain, au sens premier : celle des territoires.  

 

La francophonie comme horizon opérationnel 

Dans cette mission, la francophonie n’est pas un décor, encore moins un concept abstrait. Elle est un levier opérationnel. « On sous-estime souvent ce que la francophonie peut faire très concrètement », insiste-t-il. Avec Mission Ecoter et IVÉO, la circulation devient tangible : formations, expérimentations, diagnostics, mobilisations d’acteurs, réseautage professionnel. 

A un an du prochain Sommet International de l’Innovation en Villes Médianes (SIIVIM) qui se tiendra dans la MRC des Laurentides, l’ouverture d’un ancrage Ecoter au Québec en est la preuve. Il ne s’agit plus de déclarations d’intention, mais de plateformes, d’outils, de collaborations concrètes entre territoires, au bénéfice des citoyens. 

 

Le SIIViM : un Sommet annuel
Né en 2018 de la rencontre de Denis Thuriot, maire de Nevers et président de Nevers Agglomération (Francea0 avec Michel Angers, maire de Shawinigan (Québec), le SIIViM s’est tenue de façon alternée depuis 2018 en France et au Québec.

 

 

Le Cégep du Vieux Montréal : un laboratoire francophone de compétences 

La dimension humaine de son travail apparaît également dans son rôle auprès du Cégep du Vieux Montréal (CVM). Consultant pour la formation continue et le service aux entreprises, il s’attache à créer des ponts entre le CVM et le reste du monde. Concrètement, cela signifie imaginer des programmes de mobilité, accueillir des délégations étrangères, puis transformer ces rencontres en projets pédagogiques solides. 

 

« Le Cégep incarne quelque chose : un ancrage dans le Quartier Latin, mais surtout une capacité à expérimenter »

Les collaborations qu’il initie touchent autant les technologies numériques que la construction, la pédagogie appliquée ou les pratiques immersives. Elles naissent souvent d’un échange informel, d’une intuition, d’un rapprochement improbable qui, entre ses mains, devient structurel. 

Au CVM, il travaille étroitement avec Éric April, directeur visionnaire de la formation continue. Tous deux partagent le même refus du court terme. « Nous réfléchissons à dix ans, pas à six mois. C’est rare et précieux », souligne Olivier. Cette projection de long souffle est centrale dans sa manière de concevoir l’innovation : non pas comme une mode, mais comme une transformation lente, collective, enracinée. 

 

Construire des ponts, une méthode plus qu’un métier 

Ce que montre le parcours d’Olivier, c’est qu’on peut transformer la coopération en méthode de travail. En reliant, en expliquant, en observant, il crée l’espace où les solutions deviennent possibles. À l’heure où les territoires cherchent des modèles pour accélérer leurs transitions, sa manière d’agir — humble, patiente, profondément ancrée dans l’écoute — ressemble peut-être à un début de réponse. 

« Faire circuler ce qui marche. Partager ce qui échoue. Et créer du commun entre ceux qui ne se parlent pas encore », résume-t-il. Une définition simple, mais puissante, du rôle qu’il s’est choisi : faire voyager l’innovation d’un territoire à l’autre, pour que chacun y gagne. 

 

 

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