Le 15 mai 2025 restera une date marquante dans l’histoire culinaire du Québec. Pour la toute première fois, le Guide Michelin dévoile sa sélection étoilée dans la province, consacrant neuf établissements, dont un doublement étoilé à Québec. Un événement qui vient récompenser des années d’effervescence gastronomique et qui soulève à la fois enthousiasme, fierté… et débats.


Un palmarès inaugural entre reconnaissance et audace
Ils sont neuf à avoir conquis les inspecteurs anonymes du Guide Michelin. En tête de liste : Tanière³, le laboratoire culinaire de François-Emmanuel Nicol à Québec, décroche deux étoiles pour sa cuisine avant-gardiste enracinée dans le terroir boréal. Le chef, déjà salué pour sa créativité, devient ainsi le premier à porter aussi haut les couleurs gastronomiques de la province. « C’est une fierté, mais aussi une responsabilité. Il faudra continuer à innover sans se trahir », confiait-il récemment.
Derrière ce coup d’éclat, huit autres restaurants reçoivent une étoile, à Montréal, Québec et Rimouski. Parmi eux, Jérôme Ferrer – Europea, Mastard, Sabayon, ARVI, Kebec Club Privé, Laurie Raphaël, Légende, et Narval. Cette sélection reflète à la fois la vitalité des grandes villes et la montée en puissance des régions comme la Côte-Nord ou le Bas-Saint-Laurent.
Les 9 étoilés Michelin Québec 2025
Une reconnaissance internationale aux accents québécois
Le Guide Michelin ne s’est pas contenté de s’arrêter à Montréal ou à Québec. Sa couverture, inédite par son ampleur au Canada, s’étend jusqu’aux confins de la province. « Cette approche reflète la réalité de notre scène culinaire, riche, diversifiée, et ancrée dans les territoires », affirme Geneviève Cantin, PDG de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec.
Le chef Elliot Beaudoin, récompensé pour Légende, y voit un signal fort : « C’est une validation du travail de toute une génération. Nous avons choisi le local, l’audace, et on nous dit aujourd’hui que ça a du sens. »
Gastronomie durable : les Étoiles Vertes, un nouvel horizon
Moins médiatisées que les fameuses étoiles rouges, les Étoiles Vertes Michelin marquent pourtant un virage significatif dans l’histoire du guide centenaire. Créées en 2020, elles saluent l’engagement des restaurants en matière de développement durable, d’approvisionnement local, de réduction du gaspillage et d’écoresponsabilité à tous les niveaux de la chaîne.
Pour cette première édition québécoise, trois établissements reçoivent cette distinction novatrice : Alentours (Québec), Auberge Saint-Mathieu (Mauricie) et Espace Old Mill (Cantons-de-l’Est). Ces adresses, souvent loin des projecteurs, démontrent qu’une autre gastronomie est possible — plus sobre, plus respectueuse de l’environnement, mais tout aussi raffinée. « C’est une étoile qui ne récompense pas seulement l’assiette, mais tout ce qu’il y a autour », commente un inspecteur du Guide.
Les Étoiles Vertes Michelin du Québec
Une histoire centenaire qui change les destins
Né en 1900 pour encourager les automobilistes français à voyager (et acheter des pneus), le Guide Michelin a peu à peu forgé une légitimité mondiale. Ses fameuses étoiles, introduites en 1926, font et défont les réputations. Une étoile, c’est une reconnaissance ; deux, un graal ; trois, une légende. Pour les chefs, c’est aussi un marathon de rigueur. « On fête une étoile pendant 45 minutes, puis on appelle son banquier », résume avec humour Robert Laporte, professeur à l’ITHQ.
La sélection québécoise 2025 respecte scrupuleusement les cinq critères historiques : qualité des produits, maîtrise des cuissons, harmonie des saveurs, personnalité du chef et constance dans le temps. Elle s’inscrit dans une logique mondiale : après Toronto (2022) et Vancouver (2023), le Québec devient la troisième destination canadienne et la 12e en Amérique du Nord.
Une stratégie territoriale assumée
Mais derrière la sélection, une réalité nouvelle : l’arrivée du Guide repose aujourd’hui sur un partenariat. Plus de 2,1 millions de dollars ont été investis par des institutions publiques et privées pour faire venir les inspecteurs. Montréal, Québec, Tourisme Montréal, Destination Québec Cité, SDC Montréal Centre-Ville, Développement économique Canada… Tous ont mis la main au portefeuille.
« C’est un investissement, pas un achat d’étoiles », rappelle la direction du Guide. Et les retombées peuvent être considérables : hausse de fréquentation touristique, visibilité médiatique, notoriété internationale. « Certaines études montrent une croissance de chiffre d’affaires jusqu’à 40 % », affirme M Laporte, tout en soulignant la nécessité de rester vigilant.
Une cuisine en tension entre fierté locale et mondialisation
Malgré l’euphorie, le milieu reste partagé. Certains redoutent une forme de standardisation. D’autres, comme Normand Laprise (Toqué!), gardent leurs distances avec le Guide. En 2023, seuls 66 % des membres de La Table Ronde, un regroupement d’établissements, avaient appuyé le projet Michelin. La pression, la médiatisation, les contraintes économiques inquiètent.
Mais les jeunes chefs comme ceux de Kebec Club Privé, lauréats du prix du Jeune Chef, voient dans cette reconnaissance une opportunité de changer les règles : « C’est un coup de projecteur, mais on garde les deux pieds dans notre cuisine », affirment Cassandre Osterroth et Pierre-Olivier Pelletier.
Le goût juste au bon prix : les Bib Gourmand à l’honneur
À côté des prestigieuses étoiles, le Guide Michelin n’oublie pas les épicuriens au budget plus modeste. La sélection 2025 recense 17 restaurants québécois dans la catégorie Bib Gourmand, qui récompense les établissements alliant qualité culinaire et prix accessibles.
Parmi eux : Côté Est à Kamouraska, Battuto et Buvette Scott à Québec, ou encore des adresses prisées des Montréalais comme Le Petit Alep, L’Express, Parapluie ou Annette bar à vin. Des lieux où l’on célèbre la générosité, la convivialité et le goût — sans ostentation.
Guide Michelin Québec : Sélection Bib Gourmand 2025
Des étoiles, et maintenant ?
Le Québec entre avec éclat dans l’univers étoilé de Michelin. Pour les chefs, les producteurs, les institutions et les gourmets, une nouvelle page s’ouvre. Mais au-delà des distinctions, c’est une dynamique collective qui commence : réinventer une cuisine d’ici, exigeante, fière et durable.
Et si le véritable défi ne résidait pas dans l’étoile elle-même, mais dans la lumière qu’on choisira de faire briller autour d’elle ?