Les remparts de Saint-Malo ont vibré d'une émotion particulière ce mois de juin. Parmi les 150 invités de plus de 20 pays réunis pour la 35e édition d'Étonnants Voyageurs, Yara El-Ghadban portait dans ses bagages une histoire à la fois terrible et magnifique : celle de flamants roses qui dansent sur les ruines d’une Palestine postapocalyptique où renaît l’espoir. L’autrice et anthropologue d’origine palestinienne est basée à Montréal. Elle nous offre avec "La Danse des flamants roses" une œuvre qui transforme la fable terrible en espoir et confirme sa place unique dans le paysage littéraire francophone.


Des flamants roses dans une mer Morte évaporée
Le pari littéraire de Yara El-Ghadban tient de la gageure, imaginer la mer Morte complètement évaporée, la Palestine ravagée par une mystérieuse maladie du sel qui menace l'humanité toute entière. Dans ce décor désolé survivent paysans, colons, soldats, prisonniers qui, contre toute attente, parviennent à rebâtir une communauté vibrante. Le miracle ? Des colonies de flamants roses s'installent. De la désolation ultime naît une utopie.
Ce choix narratif révèle toute la subtilité de l'autrice de 49 ans. Installée au Québec depuis 1989, elle puise dans son parcours nomade - Londres, Buenos Aires, Beyrouth, Dubaï, Sanaa - pour créer une œuvre qui transcende les frontières géographiques, culturelles et touche à l’universel.
« Ce que l’on fait à l’intérieur de soi, c’est la même chose que ce que l’on fait aux autres êtres vivants. Si, en nous-mêmes, nous cloisonnons, nous hiérarchisons, nous refusons la complexité, alors c’est ce que nous reproduisons à l’extérieur : envers les autres, envers les langues, les cultures, les espèces. Accueillir en soi plusieurs langues, plusieurs mémoires, c’est aussi refuser la violence de l’uniformité. C’est un geste de soin, de résistance et, d’une certaine manière, d’utopie. » Yara El-Ghadban
Une anthropologue devenue conteuse
Face aux festivaliers malouins, Yara El-Ghadban a rappelé que son parcours d’anthropologue nourrit constamment son écriture. Cette formation transparaît dans sa façon minutieuse de disséquer les relations humaines avec clairvoyance. Cartes géographiques, textes poétiques en arcs de cercle, mots en arabe intégrés au récit témoignent de ce souci du détail qui nous permettent de mieux plonger dans son œuvre. L'autrice a quatre romans à son actif : "L'ombre de l'olivier", "Le parfum de Nour", "Je suis Ariel Sharon" et "La Danse des flamants roses" aux éditions Mémoire d’encrier.
« Même si mes romans sont écrits en français, ce n’est pas un français pur. C’est une langue habitée par d’autres langues, par d’autres cultures. Il y a une forme d’utopie dans cette écriture-là : une langue qui serait capable d’accueillir toutes les autres, sans les dominer. Une langue traversée, poreuse, profondément interculturelle. » Yara El-Ghadban
Un hommage poignant à Refaat Alareer
Une dédicace poignante ouvre le livre. Yara El-Ghadban rend hommage à l'écrivain et enseignant Refaat Alareer, assassiné le 7 décembre 2023 à Gaza. Cette dédicace ancre le récit fantastique dans une actualité douloureuse que l'autrice refuse d'oublier. Nous sommes embarqués dans une fable où engagement politique, questionnements cruciaux et poésie se mêlent dans un récit hypnotique. C’est l’art élégant et périlleux de parler de la Palestine sans jamais sombrer dans le pathos, de parler de notre avenir humain.
Le Québec comme terre d'adoption littéraire
Publiée chez Mémoire d’encrier, audacieuse maison d’édition de Montréal qui donne voix aux écritures plurielles qui bousculent les frontières et célèbrent la richesse des diversités, cette œuvre s'inscrit parfaitement dans le paysage littéraire québécois contemporain vibrant.
Lors de sa présentation à Étonnants Voyageurs, Yara El-Ghadban a évoqué son parcours d'intégration québécoise. Arrivée à Montréal en 1989, elle incarne cette nouvelle génération d'écrivains qui portent haut et fort une diversité puissante, naviguent entre plusieurs cultures, enrichissant la littérature francophone de perspectives inédites.
Une reconnaissance internationale croissante
Le Prix de la Diversité du festival Metropolis Bleu en 2019 pour "Je suis Ariel Sharon" n'était qu'un début. Traduit en anglais, en arabe et en allemand, ce roman avait déjà établi sa réputation au-delà des frontières francophones. Cette reconnaissance s'est confirmée avec "Les racistes n'ont jamais vu la mer" (2021), essai co-signé avec Rodney Saint-Éloi. Yara El-Ghadban est lauréate de nombreuses reconnaissances dont le Prix Mare Nostrum. Un succès qui explique sa présence remarquée dans les festivals littéraires européens (Festival Atlantide à Nantes, Salon du livre de Paris, Lettres sur Loire et d'ailleurs…).
L'utopie comme acte de résistance
Devant le public breton, l'autrice a insisté sur sa volonté de faire de l'utopie un acte de résistance. Ses flamants roses ne sont pas qu'un artifice romanesque, ils symbolisent la persistance de la beauté et de l'espoir même dans les circonstances les plus extrêmes et désespérées. Cette approche rappelle les grandes œuvres de science-fiction sociale, où l'anticipation sert de miroir à nos sociétés actuelles. Ici, la dystopie palestinienne devient le laboratoire d'une réflexion plus large sur la capacité humaine à reconstruire après la destruction.
Un pont entre les cultures
À travers sa présence aux Étonnants Voyageurs, Yara El-Ghadban a confirmé sa place unique dans le paysage littéraire francophone, une ambassadrice de la diversité du Québec. Elle réussit à faire dialoguer ses identités multiples - palestinienne, québécoise, nomade - pour créer une œuvre universelle.
"La Danse des flamants roses" n'est pas qu'un livre sur la Palestine, c'est une méditation sur l'espoir portée par une plume aussi délicate que les ailes de ses oiseaux roses. Une leçon d'humanité qui a trouvé à Saint-Malo un écho particulièrement vibrant.
« Ma langue est une langue d’hospitalité. Elle accueille toutes les autres. » - Yara El-Ghadban













