Eka ashate : ne flanche pas (Mémoire d’encrier, 2025) est une véritable histoire de résistance, d’amour et de tolérance. Ce roman porte en lui presque toute la vie.


Le dernier roman de Naomi Fontaine, Eka ashate : ne flanche pas, est un acte de mémoire. L’autrice nous parle de son rapport avec sa mère et son père. Son enfance, comment sa famille a regardé la vie droit dans les yeux, malgré l’arrivée des Blancs et sa culture parfois marginalisée. Un hommage à leur résilience, leur humanité, et au parcours de leur vie. On y retrouve aussi le témoignage des aînés de sa communauté, ces visages qui ont fleuri sa vie grâce à une parole, un geste et une générosité.
On peut traverser ce roman nourri d’expériences personnelles de plusieurs façons : comme une immersion dans la vie de ces hommes et de femmes inspirants, un retour à l’enfance de l’autrice, une leçon de vie et d’amour entre les Innus. On peut aussi l’aborder tel un hymne. Parce qu’il y a toujours un chant quelque part dans l’univers de Eka ashate : ne flanche pas. Ce peuple Innu a un rapport intime avec les chants. Le chant est là, dans chaque histoire, chaque partie. Dans chaque bienveillance.
Dès le prologue, l’autrice pose la question de la mémoire. Qu’est-ce qui reste quand on parle à nos aînés ? Pourquoi la mémoire est-elle parfois sélective ? Les gestes. Les gestes qui demeurent, qui nous sauvent. Les gestes qui embrassent notre cœur d’amour. Eka ashate : ne flanche pas ne se lit pas pareil qu’un roman classique avec une seule intrigue. Il y a des histoires, des paroles, des silences et des actes nobles. Ce sont la bienveillance des personnages qui bouleversent, qui donnent à réfléchir, à repenser le monde.
On fait corps avec l’histoire. On feuillette les pages doucement, on tombe brusquement sur une surprise. La littérature c’est souvent ça, donner à voir ce qu’on n’attendait pas.
On y rencontre Antane, devenu chef des Innus, qui a tout fait pour apporter de la nourriture aux hommes affamés. Il déclare à un ministre : « Je ne suis pas très bon avec les chiffres. Quand un homme vient me voir parce que sa famille meurt de faim, j’oublie de compter. » Cette phrase résume d’ailleurs toute l’humanité qui est dans ce livre. Il y a les jumeaux qui s’aiment et portent chacun le fardeau de l’autre ; Mitshapeu, qui tombe follement amoureux, même si la femme qu’il aime est enceinte d’un autre ; la mère de l’autrice, qui a brisé les montagnes pour élever ses enfants ; Rose-Aimée, celle qui accompagne les malades. Il y a toujours une déclaration d’amour, de tolérance. Dans ce livre aussi vivant que haletant, les personnages s’aiment pour mieux se retrouver. Ils partent, reviennent. Que faire quand la vie nous bouscule devant le seuil de l’incertitude ?
La dépossession
Le livre est profondément habité par la question de la dépossession, celle de l’identité. Comment vivre dans un monde qui nous empêche parfois de parler notre propre langue ? D’assumer qui nous sommes ? Comment vivre dans un monde où l’on veut nous arracher une part de nous-mêmes ? On nous demande de changer notre quotidien. Mais au-delà de tout cela, il doit y voir un chant de résistance, des visages qui se battent. Les histoires se déroulent sur plusieurs territoires, avec parfois des complicités entre les personnages et les lieux. Sensible. « Le corps innu a supporté les famines, les tempêtes, les animaux sauvages, les inondations, les maladies, durant des milliers d’années. »
C’est l’un des romans les plus aboutis que j’ai lus sur la résistance féminine ces dernières années. Ce livre nous montre que même au plus loin du chaos, il y aura toujours une main tendue pour nous sauver de la vie, de la douleur, de l’absence.
Attention ! Dès l’incipit, Naomi Fontaine raconte que cette histoire est la sienne, celle de sa mère qui a tout fait pour ses enfants et son peuple, celle des Innus. Elle utilise parfois je pour raconter son histoire. Dans ce roman, le je n’existe pas, ou presque. Le je est nous quand on parle d’amour, de la vie, de la souffrance humaine et de ce peuple qui n’a jamais voulu céder. Un livre qu’on lit autant avec le cœur qu’avec les yeux. Une lecture de vie.

Naomi Fontaine, Eka ashate : ne flanche pas, Mémoire d’encrier, Montréal, 2025, 180 p.
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