Édition internationale

Ce que j’ai appris au Salon du livre afro-canadien

De retour au Salon du livre afro-canadien à Ottawa, le chroniqueur littéraire Marc Sony Ricot raconte son expérience : les rencontres, les lectures, les rires et les silences partagés.

Marc Sony Ricot Salon du livre afro-canadien à OttawaMarc Sony Ricot Salon du livre afro-canadien à Ottawa
Marc Sony Ricot en conversation avec le romancier Didier Leclaire au Salon du livre afro-canadien à Ottawa - Photos Lesly Dorcin
Écrit par Marc Sony Ricot
Publié le 29 octobre 2025

 

 

Dimanche soir. J’ouvre la porte de mon appartement sur la rue Saint-Marc. Un besoin fou de lire quelque chose, irrésistible. J’ai été invité au Salon du livre afro-canadien (SLAC). Mon sac et ma tête sont lourds. Il y a plus de livres à porter, plus de rêves à penser et plus de tendresse à donner. Lire, c’est aussi faire provision de tendresse. Tant d'histoires à raconter, tant de chemins à tracer, de vérités à écrire. 

 

J’ai toujours considéré ceux qui écrivent comme faisant partie de ma famille. Et quand je rencontre un écrivain, un créateur, il m’arrive d’être curieux, de vouloir voir sa main. La main, cette petite forge où naissent les mots. Écrire, c'est rassembler ce que le monde disperse. Ces écrivains que j’ai rencontrés au Salon du livre afro-canadien à Ottawa me rappellent, par la force de leurs idées, qu’il existe encore une flamme entre les êtres. Nous devons entretenir cette flamme, la nourrir, et c’est ce que fait le salon du livre afro-canadien depuis plusieurs années. Il montre que la littérature est ce qui sauve encore quelque chose de nous.


 

L'art de marcher

D’abord, à l’entrée, il y a les bénévoles qui vous accueillent avec un sourire, un bonjour. J’ai déambulé comme un oiseau migrateur. Je regarde les titres, les couvertures, je les touche et je respire leurs odeurs. J’accorde beaucoup d’importance à l’esthétique quand il s’agit d’un livre. Un bon livre, c’est d’abord un objet d’art. Un objet que je peux poser sur la table de mon salon. La couverture doit être jolie. J’aime quand les visiteurs disent : “Waw, ce livre est beau !”

 

J’ai croisé beaucoup d’intelligence, de finesse et d’artistes qui me donnent le courage d’attendre les bons jours à venir. Guy Bélizaire, humble, taciturne. Quand je pense à lui, j'imagine sa tête dans un bouquin. Son dernier livre, Mémoire vagabonde (Terre d'accueil, 2023) m'a touché. Un lecteur, sourires aux lèvres, lui demande si le livre est écrit par un vagabond. On éclate de rire, l'auteur dit non. 

 

Il y a une sorte de vagabondage dans l’écriture. On cherche les mots partout : dans le désert, à l'horizon. On déambule dans notre appartement. Le bon mot. Le mot juste. Souvent, il faut vagabonder pour le trouver.

 

 

Annie Landrevillle
Annie Landrevillle

 

Annie Landreville, je n’arrête pas de la lire. Ce que j’aime dans sa poésie, c’est ce souci du détail, ces phrases justes, traversées d’un peu de surréel. La trace d’une main, le frisson du vent, la solitude d’une pierre. Elle embrasse les univers quand elle écrit et ça emmène loin. Je demande à Didier Leclaire pourquoi il écrit : « J’écris pour chercher des vérités, pour refuser le mensonge ».

 

 

Kharoll-Ann Souffrant
Kharoll-Ann Souffrant

 

Kharoll-Ann Souffrant, que je lis de manière presque religieuse dans Noovo Info, éclaire mon esprit sur le féminisme au Québec et la migration. C’est une plume qui capte, et puis, quelquefois, elle le porte dans la plaie. J’ai acheté son premier livre, Le privilège de dénoncer (Remue-Ménage, 2022). Je compte le lire à petites gorgées : les essais exigent un rythme plus lent, plus méditatif que les romans.


 

Quelque part, la littérature

Je regarde Le livre d'Emma de Marie-Célie Agnant, je ne sais pas pourquoi. Je l'ai lu il y a quelques années à Cité Soleil. Je vivais comme un dieu grec. Je ne sortais que très peu dehors. Ma mère m'apportait du café et de la nourriture. Ma chambre était bourrée de livres, papiers, stylos, cahiers de notes, posters d'écrivains et d’un dictionnaire. C'était un vrai bazar, qui, en plein midi, sentait l'odeur des livres jaunis. Parmi les écrivains que je lisais, il y avait Louis-Philippe Dalembert, Evelyne Trouillot et Marie-Célie Agnant. Ce qui m'a le plus touché durant mon passage au salon, c’est qu’ils étaient invités au salon et nous étions tous logés au Hampton By Hilton. On dîne ensemble. On se parle. On s’apprécie. Et je pensais à cette période où je les lisais dans cette chambre bizarre et drôle à Cité Soleil.

 

Gaspard Dorélien et Evelyne Trouillot
Gaspard Dorélien et Evelyne Trouillot

 

Je regarde la nuit par la fenêtre de ma chambre d'hôtel. Aucun bruit, la ville est endormie dans mes rêves. Je pense à eux qui écrivent peut-être dans leur chambre. Comme un chuchotement, je me dis : « La littérature nous amène toujours quelque part. » Non pas dans un royaume, un palais, ou je ne sais quoi. Mais ce quelque part a du sens pour moi.

 

 

Je crois à la littérature. Je crois aux hommes et aux femmes qui écrivent. 

 

J'aurais voulu prendre une photo avec eux, peut-être pour envoyer à ma mère, elle qui connaît le nom de tous les écrivains que j’aime. Je ne l'ai pas fait. Mais je suis touché par ce voyage, ces rencontres, ces paroles. Je suis touché par ces visages qui ont nourri mon imaginaire.

 

Pour le monde et la mémoire

Il y a un thème qui relie une bonne partie de ces écrivains qui étaient là : la mémoire. Il y a une force, une rage de se faire entendre. Il y avait un débat sur ce thème. J’ai apprécié l'esprit de Monia Mazigh, l'érudition de Frantz Voltaire et les questionnements de Joël des Rosiers. Ils essaient de sauver de l’oubli ce que le monde efface.

 

Louis-Phillippe Dalembert et la présentatrice de les Lectures de Marjorie
Louis-Phillippe Dalembert et la présentatrice de les Lectures de Marjorie

 

 

J’ai quitté la ville dimanche après-midi. J’ai proposé à Marjorie de faire la route avec elle. On avait du mal à écouter de la musique dans sa voiture. Elle utilise encore les CD : Alan Cavé, Harmonik, les classiques… On a finalement choisi Aznavour après une heure d’hésitation, parce qu’elle a beaucoup de CD. J’ai aimé  mon expérience au SLAC, pour sa diversité et la passion que les bénévoles et les responsables partagent pour la littérature. J’aimerais y revenir longtemps comme lecteur et qui sait, peut-être un jour comme voyageur des possibles.

 

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