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Climat : dix ans après Paris, l’Ambassade de France à Ottawa interroge l’avenir

Sous les hauts plafonds de la Résidence de France, face aux jardins d’hiver qui encadraient la scène, un panel prestigieux a pris la parole pour marquer les dix ans de l’Accord de Paris. Aux côtés de l’ambassadeur de France et de l’ambassadeur du Brésil — pays hôte de la COP30 — quatre figures majeures du climat, Catherine McKenna, Caroline Brouillette, Dale Beugin et Jackie Dawson, ont livré un bilan lucide : les avancées sont réelles, mais loin d’être suffisantes. La prochaine décennie décidera du sort de l’engagement historique adopté à Paris, désormais mis à l’épreuve de la réalité.

Paul-Emile Delcourt, Quentin Gautier, S.E. Michel Miraillet,Caroline Brouillette, Jackie Dawson, Dale Beugin, Hon. Catherine McKenna, S.E. Carlos Alberto Franco França, Paul-Emile Delcourt, Quentin Gautier, S.E. Michel Miraillet,Caroline Brouillette, Jackie Dawson, Dale Beugin, Hon. Catherine McKenna, S.E. Carlos Alberto Franco França,
Paul-Emile Delcourt, S.E. Carlos Alberto Franco França, Quentin Gautier, Hon. Catherine McKenna, Dale Beugin, Jackie Dawson, Caroline Brouillette, S.E. Michel Miraillet - Photo LPJ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 12 décembre 2025

 

 

« Nous avons vécu la décennie du constat. La prochaine doit être celle de l’action collective. » - Hon. Catherine McKenna

 

En ouverture, S.E. Michel Miraillet, ambassadeur de France au Canada, a rappelé la portée historique de l’Accord de Paris : « Pour la première fois, le monde s’est donné un cadre juridique universel pour contenir la hausse des températures. Reste à transformer cet élan en résultats tangibles ». La France, a-t-il insisté, continue de défendre « un multilatéralisme inclusif fondé sur la science, la solidarité et la transparence », en droite ligne du bilan diplomatique présenté dans les documents officiels diffusés lors de l’événement

 

 S.E. Carlos Alberto Franco França
 S.E. Carlos Alberto Franco França, ambassadeur du Brésil au Canada

 

Prenant ensuite la parole, S.E. Carlos Alberto Franco França, ambassadeur du Brésil au Canada, a évoqué l’héritage de la COP30 de Belém, rappelant que le Brésil, à la tête d’un pays vulnérable mais décisif pour le climat mondial, entend « faire converger ambition environnementale, justice sociale et développement durable ». Son intervention a souligné l’importance des alliances internationales pour maintenir vivante la dynamique Paris–Belém, pierre angulaire de la décennie à venir.

 

 

Quentin Gautier (modérateur), Hon. Catherine McKenna, Dale Beugin, Jackie Dawson,,Caroline Brouillette.
Quentin Gautier (modérateur), Hon. Catherine McKenna, Dale Beugin, Jackie Dawson, Caroline Brouillette.

 

 

Un panel d’experts réunissant science, politique et société civile

Après les allocutions diplomatiques, l’événement a laissé place à un panel d’une rare complémentarité, rassemblant quatre figures incontournables du climat au Canada. L’hon. Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement et présidente du Groupe d’experts de l’ONU sur la neutralité carbone, y côtoyait Caroline Brouillette, directrice générale du Réseau Action Climat Canada, Dale Beugin, vice-président exécutif de l’Institut climatique du Canada, ainsi que Jackie Dawson, professeure à l’Université d’Ottawa et titulaire d’une Chaire de recherche du Canada.

Ce panel avait été soigneusement préparé et orchestré par Paul-Emile Delcourt, conseiller politique à l’ambassade de France, et Quentin Gautier, conseiller développement durable, qui ont assuré la conception et l’animation des échanges. Leur travail en amont a permis de structurer un dialogue exigeant, mêlant analyse scientifique, retours diplomatiques, perspectives économiques et enjeux sociaux.

Grâce à leur modération précise, chaque intervenant a pu apporter un éclairage distinct — mais complémentaire — sur les dix années écoulées depuis la COP21 et sur les défis qui s’ouvrent désormais.

 

 

Une trajectoire mondiale infléchie, mais encore insuffisante

Parmi les éclairages apportés par les experts réunis, la question de la trajectoire climatique mondiale a occupé une place centrale. Sur ce point, Dale Beugin a rappelé l’effet structurant de l’Accord de Paris :
« Nous sommes passés d’une trajectoire de +4 °C à une perspective de 2,3 à 2,5 °C. Un progrès majeur, mais encore très éloigné des 1,5 °C inscrits à Paris. »

Les données diplomatiques françaises abondent dans ce sens : les engagements adoptés à Belém ouvrent pour la première fois la voie à une réduction absolue des émissions mondiales d’ici 2035. Mais Dale nuance immédiatement :

 

« L’ambition ne suffit plus. La crédibilité des politiques climatiques dépendra de leur stabilité, de leur lisibilité et de la fin des oscillations partisanes. »

 

 

Une transition économique désormais irréversible

Caroline Brouillette a élargi la perspective au monde économique : « En 2015, le charbon était l’énergie la moins chère. Aujourd’hui, les investissements dans les énergies propres dépassent deux fois ceux consacrés au fossile. La transition n’est plus une hypothèse : elle est en marche. »

Cette dynamique rejoint les chiffres mis en avant par la diplomatie française : 2 000 milliards de dollars investis dans les énergies décarbonées en 2025, des solutions désormais compétitives dans les secteurs clefs — transports, agriculture, industrie, protection des forêts et des océans

Caroline Brouillette a toutefois martelé l’enjeu fondamental de justice climatique :

 

« Le climat ne peut pas être un projet technocratique. Il doit être un projet de société, compris, soutenu et porté par tous. »

 

L’Arctique comme avant-poste du dérèglement

Dans un silence tangible, Jackie Dawson a livré l’intervention la plus alarmante de la matinée. Professeure à l’Université d’Ottawa, titulaire d’une Chaire de recherche du Canada et spécialiste des transformations sociales et environnementales du Nord, elle a dressé un portrait saisissant d’un Arctique en bascule.

« Le Canada, nation arctique, vit un basculement que la planète n’a pas connu depuis des millénaires », a-t-elle affirmé, rappelant que la région se réchauffe près de quatre fois plus vite que le reste du globe. Elle a décrit une fonte estivale de la banquise désormais proche du point de non-retour, l’accélération de la désintégration du pergélisol, la modification des routes maritimes, et la pression croissante sur les communautés nordiques — infrastructure fragilisée, sécurité alimentaire menacée, impacts culturels profonds.

Mais son message le plus percutant concernait la portée mondiale de ces dérèglements :
« Ce qui se passe dans l’Arctique ne reste jamais dans l’Arctique », a-t-elle insisté. Les perturbations des courants océaniques, les variations rapides de l’albédo, ou encore les émissions massives de carbone liées à la fonte du pergélisol ont, selon elle, « des répercussions directes sur les systèmes climatiques, économiques et sociaux bien au-delà du Nord ».

Face à cette accélération, Dawson a lancé un appel ferme :  la recherche arctique doit être coopérative, stable et protégée des tensions géopolitiques.

 

« Si nous perdons notre capacité d’observer l’Arctique, nous perdons la boussole scientifique de l’ensemble du système climatique ».

 

 

Hon. Catherine McKenna
L’hon. Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement et présidente du Groupe d’experts de l’ONU sur la neutralité carbone


 

Catherine McKenna : mobiliser aussi les leaders religieux, communautaires et culturels

Figure centrale de l’événement, Catherine McKenna, ancienne ministre canadienne de l’Environnement et présidente du Groupe d’experts de l’ONU sur les engagements zéro émission nette, a multiplié les appels à une mobilisation large — au-delà des acteurs institutionnels.

« Nous ne gagnerons pas la bataille climatique uniquement avec des gouvernements et des entreprises », a-t-elle lancé. Pour elle, l’un des leviers les plus sous-estimés est le rôle des leaders religieux, communautaires, culturels et éducatifs. « Ils parlent à des millions de personnes, souvent bien plus efficacement que les décideurs politiques. Nous devons les associer, les écouter et leur donner les moyens d’amplifier le message. Sans eux, l’action climatique restera technocratique et déconnectée ».

McKenna a insisté sur la nécessité d’un récit partagé : « Le climat doit être raconté dans les églises, les mosquées, les synagogues, les salles communautaires, les écoles, les bibliothèques. C’est ainsi que naît une véritable culture de la transition. »

 

Après dix ans, l’heure de vérité

Au fil des interventions, une conviction a émergé : l’Accord de Paris n’a pas perdu sa force, mais il entre dans sa phase décisive.

La France et le Brésil, codirigeant la rencontre, ont rappelé l’importance d’une diplomatie ambitieuse. Les intervenants, eux, ont montré que la prochaine décennie dépendra tout autant des politiques publiques que de la mobilisation citoyenne, scientifique, économique… et spirituelle.

Catherine McKenna l’a résumé avec gravité :

« Nous avons vécu la décennie du constat. La prochaine doit être celle de l’action collective — sans quoi l’histoire jugera sévèrement notre inaction. »

Reste une question — simple, mais essentielle : la génération qui a signé l’Accord de Paris saura-t-elle enfin le mettre en œuvre ?

 

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