Édition internationale

Clara, Salomé, Eva : trois parcours français à l’École supérieure de ballet du Québec

Clara, Salomé et Eva ont traversé l’Atlantique pour apprendre la danse classique à l’École supérieure de ballet du Québec (ESBQ). Trois âges, trois caractères, un même engagement total dans un quotidien où la discipline rivalise avec la passion. À travers leurs parcours, se dessine le visage d’une école devenue carrefour international de la formation en danse.

Clara, Eva et SaloméClara, Eva et Salomé
Clara, Eva et Salomé - Photos Gonzague Emmanuel Conte (Clara) et Éléonore Lussier-Thuot ESBQ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 27 décembre 2025

« En France, on nous forme beaucoup pour un seul modèle. Ici, on nous pousse chacun dans notre manière de danser » - Clara Pastoukhov  

Arrivée seule à Montréal à 19 ans après sept années de formation en France, Clara intègre directement le niveau Supérieur 1 de l’ESBQ. Ce qu’elle est venue chercher : une école qui lui permette d’exister autrement que dans le moule du Ballet de l’Opéra de Paris. « En France, on nous forme beaucoup pour un seul modèle. Ici, on nous pousse chacun dans notre manière de danser », explique-t-elle. Cette liberté corporelle, elle la vit comme une révélation.

À Montréal, elle découvre aussi un rapport plus direct, plus bienveillant. Logée à 45 minutes de l’école, elle s’adapte vite : « Les gens sont très accueillants. Je suis arrivée seule, mais je ne me suis jamais sentie isolée. » Son quotidien alterne entre le Cégep du Vieux-Montréal le matin et six jours de danse par semaine l’après-midi, avec des répétitions le samedi.

Sur scène, elle s’apprête à danser dans Casse-Noisette avec Les Grands Ballets Canadiens et participera au Projet Apprentis Chorégraphes (PAC) de l'ESBQ, où de jeunes chorégraphes créent des pièces sur mesure pour les élèves. À l’horizon, les auditions pour intégrer une compagnie professionnelle. « J’aimerais vraiment tenter les Grands Ballets. Et sinon, essayer ailleurs. »

 

 Clara Pastoukhov

 

 

 

ESBQ
Créée en 1966 à l’initiative de Ludmilla Chiriaeff, figure fondatrice de la danse au Québec, l’École supérieure de ballet du Québec (ESBQ) est est la toute première école professionnelle de danse de la province. Elle s’inscrit dès l’origine dans une volonté institutionnelle de doter le Québec d’une structure de formation capable d’alimenter durablement les compagnies professionnelles, à commencer par les Grands Ballets Canadiens.

 

 

Salomé

 

Salomé, 12 ans, la rigueur précoce d’une vocation

À 12 ans, Salomé est la benjamine du trio. Elle arrive de Nancy après un parcours déjà dense : conservatoire, auditions à l’Opéra de Paris, puis sélection à l’ESBQ à l’issue d’un stage d’été décisif. « En France, j’avais moins d’heures de danse. Ici, le rythme est beaucoup plus intense », reconnaît-elle. Désormais, ses journées s’organisent entre la danse le matin et les cours académiques l’après-midi.

Son père observe ces débuts avec un mélange d’admiration et de vigilance : « C’est beaucoup plus physique qu’en France. Elle avait de grosses courbatures au début. » Pourtant, la jeune danseuse s’accroche. « J’adore danser. Je veux devenir danseuse étoile. Même dans mon salon, je danse. » À Montréal, elle trouve aussi une ambiance qui la rassure : « Les profs sont plus sympas. J’ai plus d’amis. »

Derrière ce parcours se cache aussi une réalité administrative lourde : l’incertitude migratoire pèse sur sa famille. Mais dans le studio, Salomé ne doute pas. L’école est devenue son ancrage.

 

 

 

Eva


 

Eva, 15 ans, l’obsession de la précision

Après une enfance partagée entre Londres et Paris, Eva a été formée au Centre Goubé, tout en complétant sa formation par un à deux cours particuliers de ballet par semaine. Elle a intégré l’ESBQ à l’été 2024 après une audition sur vidéo, suivie d’un mois de stage d’intégration. Chez elle, la danse relève d’une exigence précoce et structurée. « J’ai toujours aimé être corrigée, observée, poussée vers le haut. » Dès le collège, elle jonglait déjà entre cours le matin, ballet l’après-midi et rattrapage des matières le soir.

À Montréal, le changement est radical. « Ici, les deux écoles communiquent. Tout est organisé pour qu’on puisse tenir académiquement et physiquement. » Elle enchaîne cours de danse classique, contemporain, répertoire et ateliers chorégraphiques, où elle explore l’improvisation et la création. Elle participera prochainement à un projet d’apprentie chorégraphe, le PAC dont nous parlions plus haut, qui sera présenté en février.

Cette saison, Eva dansera également dans Casse-Noisette, où elle interprète le même rôle que Clara. Son regard sur la formation est aigu « J’ai compris ici que le ballet était mille fois plus précis que je ne le pensais. » Et si son rêve reste la scène classique, elle garde un plan B en tête.

« La danse, c’est aussi le risque. Il faut se protéger. »


 

Studio de danse de l'ESBQ

 

 

Une scolarité aménagée, entre rigueur académique et exigence artistique

À l’ESBQ, la formation en danse ne se fait pas au détriment du parcours scolaire. Pour les élèves du collégial, comme Clara et Eva, la scolarité est assurée dans le cadre d’un partenariat structuré avec le Cégep du Vieux Montréal (CVM). Les étudiantes sont inscrites à un DEC en Danse – interprétation classique, qui confère un statut collégial complet : cours de formation générale, accès aux services étudiants et diplôme reconnu dans le réseau québécois. La formation artistique, elle, est dispensée à l’ESBQ, seule institution habilitée au Québec à offrir une formation professionnelle de haut niveau en ballet classique.

Pour les élèves du secondaire, comme Salomé, le même principe s’applique avec le Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, établissement privé partenaire de l’ESBQ. Les matinées sont consacrées à la danse intensive à l’école de ballet, tandis que les après-midis sont dédiés aux cours académiques. Ce montage permet aux jeunes danseuses d’obtenir un diplôme scolaire complet tout en suivant une formation artistique exigeante, dans un cadre où les deux institutions coordonnent leurs attentes et leurs horaires .


 

 

 

L’ESBQ, une école devenue carrefour international

Installée sur le Plateau Mont-Royal, l’École supérieure de ballet du Québec compte aujourd’hui plus de 150 élèves, venus de Montréal, du reste du Québec, mais aussi de France, de Belgique, du Japon, du Mexique ou encore de Turquie. Depuis cette année, l’école a lancé un nouveau programme « parcours multidanses », intégrant flamenco, street dance et danse commerciale, en plus de la filière classique.

Au-delà de la danse, l’ESBQ propose un accompagnement global : nutrition, santé mentale, préparation psychologique, rencontres avec des intervenants spécialisés. Eva témoigne : « On a accès à des nutritionnistes, des psychologues, des ateliers de cuisine. L’école prend vraiment soin de nous. » Une approche rare dans l’univers ultra-exigeant de la danse.

 

Studio de danse de l'ESBQ
Studio de danse de l'ESBQ

 

Danser loin de chez soi, grandir plus vite

Toutes le disent à leur manière : partir si jeune accélère tout. Le corps, la maturité, les décisions. Clara découvre l’indépendance, Salomé apprend la ténacité, Eva cultive la précision. Trois trajectoires différentes, mais un même fil : celui d’une jeunesse française qui choisit l’exil pour se construire autrement.

Dans les studios de l’ESBQ, un jour à la fois, avec rigueur, persévérance, et l'espoir de faire de la danse un métier. Reste une question : combien d’entre elles danseront un jour sur les plus grandes scènes… et sous quel drapeau ?

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