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Alan Glass, l’atelier du rêve : une rétrospective surréaliste au cœur de Montréal

Né à Montréal en 1932, Alan Glass grandit à Saint-Bruno-de-Montarville, entre nature et excentricité, dans une famille liée au prestigieux Mount Bruno Club. Très tôt, il part étudier aux Beaux-Arts, puis s’exile à Paris avant de s’ancrer au Mexique, où il vivra plus de cinquante ans. Disparu en 2023, il revient aujourd’hui dans sa ville natale à travers une rétrospective exceptionnelle au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Une centaine d’œuvres retracent le parcours d’un artiste libre et rêveur, dont l’univers dialogue avec l’invisible et révèle, dans l’assemblage patient des fragments du monde, ce que l’œil ne voit pas toujours.

Alan Glass (1932-2023), Sans titre, 1973Alan Glass (1932-2023), Sans titre, 1973
Alan Glass (1932-2023), Sans titre, 1973. Collection particulière. © Succession Alan Glass, 2025. Photo Paolo Gori
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 2 août 2025

 

 

Formé à l’École des beaux-arts de Montréal dans les années 1940, Alan Glass est l’un des premiers artistes québécois à faire le lien entre la modernité européenne et la sensibilité nord-américaine. Élève d’Alfred Pellan, il quitte Montréal à peine son diplôme en main, avec une bourse du gouvernement français. Direction Paris, où il s’immerge dans l’univers des surréalistes et fréquente Jean Benoît, Roland Giguère et Julien Gracq. « Il était profondément montréalais, mais l’appel du monde était plus fort », m’explique mon guide, Elisabeth Otto, conservatrice adjointe en art québécois et canadien au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). C’est le début d’un exil créatif qui le mènera jusqu’à Mexico.

 

Alan Glass dessin au stylo bille

Paris, nuits bleues et dessins au stylo

De 1952 à 1964, Alan Glass vit à Paris et s’imprègne de la scène artistique foisonnante de l’après-guerre. La nuit, il travaille comme portier au Club Saint-Germain, où il passe des heures à dessiner sur des carnets, souvent au stylo à bille. « Ce n’était pas l’homme le plus ponctuel pour ouvrir les portes, mais il était toujours en train de dessiner entre deux clients », raconte la légende.

C’est cette série de dessins abstraits et automatiques, réalisés entre 23 h et 3 h du matin, qui attire l’attention d’André Breton. Le pape du surréalisme l’encourage et l’introduit à la galerie Le Terrain Vague, où Glass expose pour la première fois. Un tournant décisif dans le Paris en noir et blanc qu’il disait aimer comme on aime un rêve qui bascule. Il noue aussi une amitié durable avec Aube Breton Elléouët, la fille d’André Breton, dont les propres boîtes surréalistes, comme celles de Mimi Parent, nourrissent alors ses propres recherches.

Ces liens tissés à Paris marqueront profondément son œuvre et sa vie : jusqu’à sa mort, Alan Glass restera fidèle à l’esprit du surréalisme. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des tout derniers artistes de ce mouvement à en avoir été un témoin direct et un praticien vivant.

Ces dessins, fragiles et réalisés au stylo à bille — un médium redoutablement instable car sans pigments — ont pourtant traversé les décennies. En 1962, Glass les confie à une amie québécoise, Micheline Beauchemin, artiste textile de renom. Ils disparaissent pendant des décennies, jusqu’à ce qu’un héritier les redécouvre par hasard dans une grange au Québec, bien après la mort de Beauchemin.

Leur remarquable état de conservation tient presque du miracle, tant ce type d'oeuvre est sensible à la lumière et au temps. Aujourd’hui exposés pour la première fois à Montréal, ces originaux venus tout droit du Paris des années 1960 fascinent par leur finesse, leur densité et leur liberté de trait. Leur simple présence vaut, à elle seule, le détour par cette exposition.

 

Inde, Sikkim et premiers pas vers Mexico

En 1962, Glass découvre le Mexique pour la première fois, poussé par une image saisissante : celle d’un crâne en sucre (calaverita de azúcar), fantastiquement décoré, aperçu dans un livre sur les traditions du Jour des Morts. Cette vision l’obsède et le conduit à travers l’Atlantique, où il réside un temps chez le réalisateur Alejandro Jodorowsky. Il y fait aussi la rencontre marquante de Leonora Carrington, complice du surréalisme et ancienne compagne de Max Ernst. 

 

Alan Glass boite

Mais c’est un long voyage en Inde et au Népal, entre 1968 et 1969, qui bouleverse radicalement sa pratique. Fasciné par l’imaginaire des temples du Sikkim, il abandonne la peinture pour se tourner vers la construction d’objets : collages, boîtes, autels miniatures. De retour à Mexico au début des années 1970, il s’y installe pour de bon. Il y vivra plus de cinquante ans, dans une vaste maison de 600 mètres carrés, à la fois lieu de vie, atelier, musée personnel et refuge d’objets magiques. Trois étages remplis de trouvailles : flacons de parfums anciens, figurines, textiles, végétaux séchés, poupées, œuvres inachevées, souvenirs de voyages ou cadeaux d’amis, soigneusement disposés ou entassés au fil du temps. À l’étage, un jardin suspendu. Sur le toit, une table où il continuait à dessiner, même nonagénaire.

 

Alan Glass dans son atelier

 

Aujourd’hui encore, cette maison-laboratoire n’a pas livré tous ses secrets. Depuis sa disparition, la succession découvre, pièce par pièce, des œuvres inconnues, des carnets, des correspondances, des objets transformés ou en attente d’assemblage. Un trésor en expansion, à l’image d’un artiste pour qui créer relevait autant de l’acte que de la lente révélation.

 

 

Vue de l’exposition Mondes et merveilles : le voyage surréaliste d’Alan Glass. © Succession Alan Glass, 2025. Photo MBAM, Julie Ciot
Vue de l’exposition Mondes et merveilles : le voyage surréaliste d’Alan Glass. © Succession Alan Glass, 2025. Photo MBAM, Julie Ciot

 

 

Une œuvre à l’image du monde : libre, foisonnante, habitée

L’exposition s’organise autour de trois grands thèmes : Le Voyage, Le Jardin de la déesse, et L’objet surréaliste. Dessins automatiques, aquarelles, collages, sculptures, œufs peints, assemblages… chaque pièce reflète un pan de la vie intérieure d’Alan Glass. On retrouve dans plusieurs œuvres des abeilles naturalisées, des poupées, des objets sacrés ou fétiches collectés dans les marchés aux puces. Placées sous cloche ou dans des vitrines, ces « boîtes magiques » combinent la théâtralité des attractions de carnaval à la mélancolie des cabinets d’histoire naturelle. « Ces constructions complexes recréent une sorte de monde en soi, qui invite à mieux découvrir celui qui nous entoure », confie la conservatrice. L’artiste y mêle objets précieux et matériaux pauvres, références savantes et symboles populaires, toujours dans une logique poétique et sensorielle, où chaque élément semble suspendu entre mystère et mémoire.

 

Alan Glass - Tisser la toile des rêves ou Qui tisse la toile des rêves ?, 1981. Collection particulière.

 

Une constellation d’amitiés, de gestes et de dons

Glass ne vendait pas ses œuvres : il les offrait, souvent. À des amis, à des voisins, à des compagnes d’atelier. Certaines pièces exposées à Montréal ont ainsi dormi plusieurs décennies dans des granges québécoises, avant d’être miraculeusement retrouvées. À travers ces fragments, on lit aussi une histoire de solidarité : des amis qui l’ont aidé à payer un loyer, à survivre dans les années 1960, à continuer à créer envers et contre tout. « Il avait une foi absolue dans ce qu’il faisait, même sans reconnaissance officielle », souligne un collectionneur. Ses œuvres sont aujourd’hui dispersées dans plus de 2 000 lieux, publics ou privés.

 

Alan Glass (1932-2023), Boite Sans titre, vers 2005. Collection particulière.

 

Les retrouvailles d’un artiste avec sa ville

La rétrospective du MBAM marque un moment d’émotion particulier. Non seulement parce qu’elle est la première organisée au Canada, mais surtout parce qu’elle ramène Alan Glass chez lui, à Montréal. C’est ici qu’il est né, qu’il s’est formé, qu’il a rêvé de partir. Et c’est ici que l’on découvre aujourd’hui, dans un parcours dense et magnifiquement scénographié, la cohérence d’une œuvre qui n’a jamais cessé de dialoguer avec le monde. « Il voulait peindre l’invisible », rappelle la conservatrice. Et il y est parvenu – sans jamais trahir son imaginaire.

 

Un hommage nécessaire et vibrant

Avec cette exposition, le Musée des beaux-arts de Montréal offre bien plus qu’un retour d’Alan Glass dans sa ville natale : il lui rend sa place. Grâce au travail des commissaires de l’exposition, à la générosité de nombreux collectionneurs et au soutien du MBAM, l’œuvre foisonnante de cet artiste singulier s’ouvre enfin au public québécois. Une reconnaissance posthume, mais essentielle, pour cet enfant de Montréal devenu citoyen du monde et sculpteur de rêves. Aujourd’hui encore, ses œuvres sont exposées dans les plus grands musées — du Musée d’Art Moderne de Paris au Metropolitan Museum de New York. Et si, dans cette confrontation entre objets et mémoire, entre gestes intimes et récits collectifs, se trouvait aussi une invitation pour le public montréalais à redécouvrir ses propres mythologies ?

 

 

Exposition Mondes et Merveilles - Le voyage surréaliste d'Alan Glass - Jusqu'au 28 septembre 2025

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