En appelant le gouvernement fédéral à accorder une clause grand-père pour prolonger les permis de travail, le ministre Jean-François Roberge tente de gagner du temps. Mais cette demande survient après une décision unilatérale du Québec : la fermeture brutale du Programme de l’expérience québécoise, pourtant présenté pendant des années comme une voie privilégiée vers la résidence permanente.


Dans un communiqué diffusé le 19 décembre, le ministre de l’Immigration affirme vouloir « rassurer » les travailleurs étrangers temporaires, en particulier à l’extérieur de Montréal et de Laval. Pour y parvenir, Québec réclame à Ottawa une clause grand-père permettant le renouvellement des permis de travail arrivant à échéance.
Jean-François Roberge insiste sur un point : le PEQ n’a jamais été un programme délivrant des permis de travail. Une précision juridiquement exacte, mais qui déplace le débat. Car la question posée depuis l’abolition du PEQ n’est pas celle des permis, mais bien celle de la promesse politique faite par le Québec lui-même.
Pendant des années, le gouvernement québécois est allé recruter à l’étranger — notamment en France — des infirmières, éducatrices, travailleurs spécialisés et diplômés francophones, en leur présentant le PEQ comme une voie claire, stable et lisible vers la résidence permanente. Cette voie a été fermée unilatéralement, sans clause de transition pour celles et ceux qui remplissaient les critères mais n’avaient pas encore déposé leur demande.
Du français à Ottawa : un déplacement du problème
Mardi encore, le premier ministre François Legault justifiait l’abolition du PEQ au nom d’un impératif central : renforcer le français et mieux contrôler l’immigration permanente. Le message était assumé. Selon le gouvernement, le PEQ ne permettait plus d’atteindre ces objectifs et devait être remplacé par un programme jugé plus rigoureux et mieux aligné sur les priorités linguistiques et régionales du Québec.
PEQ : François Legault ferme la porte à toute clause grand-père
Trois jours plus tard, le ton change. Dans son communiqué du 19 décembre, Jean-François Roberge met moins l’accent sur l’enjeu linguistique et désigne désormais les mesures restrictives du gouvernement fédéral comme la principale source de l’incertitude vécue par les travailleurs étrangers temporaires. Le problème ne serait plus la philosophie du PEQ, mais le refus d’Ottawa de renouveler les permis de travail.
Ce glissement de discours interroge. Car si, mardi, la situation était présentée comme la conséquence nécessaire d’un resserrement des règles au nom du français, elle devient aujourd’hui le résultat d’un blocage fédéral. Entre les deux, une réalité demeure inchangée : ce sont les mêmes travailleurs, francophones et recrutés par le Québec, qui se retrouvent pris entre deux niveaux de gouvernement — et entre deux récits politiques.
Donner du temps… après avoir changé les règles
Aujourd’hui, Québec affirme vouloir « donner du temps » pour permettre l’analyse des dossiers dans le cadre du nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ). Le ministre annonce des rondes d’invitations mensuelles dès 2026, avec une priorité accordée aux personnes déjà en emploi, parlant français et résidant hors Montréal et Laval.
Mais cette logique se heurte à une contradiction centrale : sans renouvellement des permis par Ottawa, ces mêmes travailleurs risquent de quitter le territoire avant même de pouvoir être sélectionnés. Autrement dit, le Québec pourrait perdre ceux qu’il dit vouloir retenir.
En réclamant une clause grand-père fédérale, le gouvernement québécois demande donc à Ottawa de compenser, dans l’urgence, les effets d’une décision qu’il a prise seul : l’abolition du PEQ sans mécanisme de transition équivalent.
Une confiance qui ne se décrète pas
À force de rappeler que le PEQ ne délivrait pas de permis de travail, le gouvernement évite la question essentielle : ce programme incarnait une promesse politique. Celle d’un parcours clair vers la résidence permanente pour des travailleurs que le Québec est allé chercher à l’étranger afin de répondre à ses propres pénuries de main-d’œuvre.
En demandant aujourd’hui à Ottawa de « donner du temps », Québec reconnaît implicitement que la fermeture brutale du PEQ a créé une zone de vulnérabilité. Mais le temps ne répare pas tout. Il ne restaure ni la confiance rompue, ni le sentiment d’avoir été utilisés puis écartés lorsque les règles ont changé.
La réussite du PSTQ ne se mesurera pas uniquement au nombre d’invitations envoyées ou à la prévisibilité des rondes mensuelles. Elle se jugera à une question simple, mais implacable : le Québec saura-t-il encore convaincre des travailleurs étrangers de croire à sa parole ?












