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Déclin du français, fin du PEQ : la langue au cœur d’un choix politique

« On croit en Dieu. Pour tout le reste, amenez-moi des données », disait W. Edwards Deming, statisticien américain. Au Québec, la question linguistique semble parfois relever davantage de la croyance que de l’analyse. À force d’être invoqué comme une évidence, le déclin du français est devenu un pilier du discours gouvernemental, structurant des décisions majeures en matière d’immigration et de francisation. Pourtant, derrière l’affirmation martelée par l’actuel Premier ministre, les chiffres racontent une histoire moins alarmiste. Reste alors une interrogation centrale : le diagnostic officiel repose-t-il sur une lecture rigoureuse des faits, ou sur une construction politique destinée à légitimer un virage restrictif ? Voyons ce qu’en pensent les faits.

Nombre de québécois parlant francais (1951-2021)Nombre de québécois parlant francais (1951-2021)
Nombre de québécois parlant français (1951-2021) - Illustrations Patrick Déry
Écrit par Lepetitjournal Montréal
Publié le 19 décembre 2025

 

 

Un mythe qui s’installe dans le débat public

Depuis plusieurs années, le mot « déclin » s’invite dans les tribunes politiques et médiatiques. François Legault n’hésite pas à décrire la situation linguistique comme alarmante, évoquant une « louisianisation » du Québec si rien n’est fait. Pour le Premier ministre actuel, ce déclin justifie des mesures fortes, y compris la suppression ou la restructuration de programmes d’immigration comme le PEQ, qui accordaient autrefois une voie rapide vers la résidence permanente. Cette rhétorique place le français au centre d’un présupposé danger imminent, donnant au débat une tonalité dramatique.

 

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Mais l’examen des données révèle une réalité plus nuancée. Contrairement à l’image d’un effondrement linguistique, le nombre de locuteurs francophones au Québec augmente encore en termes absolus, qu’il s’agisse de ceux qui parlent français ou de ceux qui ont le français comme première langue parlée ; les recensements montrent une progression continue depuis plusieurs décennies. 

 

Les chiffres : entre hausse absolue et baisse relative

La statistique est souvent citée pour dramatiser l’état du français : le pourcentage de personnes parlant français à la maison ou ayant le français comme langue maternelle semble baisser légèrement sur certaines périodes récentes. C’est sur cette base que certains affirment un « déclin ». Pourtant, ces pourcentages souffrent d’un effet de dilution dû à l’augmentation de la population totale, notamment d’immigrants allophones, sans que les francophones diminuent en nombre. 

 

La langue parlée le plus souvent à la maison, en pourcentage
La langue parlée le plus souvent à la maison, en pourcentage, reste l’indicateur le plus souvent utilisé par les politiciens pour prouver le « déclin » du français, notamment lorsqu’il est question de Montréal, même si la réalité est plus nuancée.

 

« Ce n’est pas parce qu’on ajoute un nombre important de résidents temporaires que la trajectoire du français est changée », souligne Patrick Déry. En réalité, le français reste la langue la plus parlée et comprise par une écrasante majorité de Québécois, et la proportion de francophones par rapport aux anglophones continue de pencher nettement en faveur du français lorsque l’on exclut les langues tierces du calcul. 

Sur plus d'un siècle en excluant les langues tierces
Sur plus d'un siècle en excluant les langues tierces, en pourcentage.

 

 

Politique et perception : où se situe le vrai débat ?

Le débat sur le « déclin » du français n’est pas seulement statistique : il est profondément politique. Pour François Legault, la menace linguistique sert de levier pour légitimer des choix politiques, y compris l’annulation du PEQ ou l’exigence de francisation renforcée pour les nouveaux arrivants. Derrière ces choix se dessine une vision identitaire du Québec qui cherche à protéger la langue par la politique plutôt que par la dynamique naturelle. Cette stratégie s’appuie sur des récits anxiogènes davantage que sur une lecture nuancée des faits.

L’opposition pointe quant à elle une instrumentalisation politicienne : réduire le débat à la baisse de quelques points de pourcentage, sans contextualiser les phénomènes démographiques, reviendrait à transformer une réalité complexe en « catéchisme politique ». 

 

Immigration et francisation : un faux débat ?

L’un des points d’achoppement les plus vifs concerne l’immigration. Selon les chiffres, une part importante des immigrants finissent par parler français et s’intégrer linguistiquement au Québec, notamment à travers l’éducation et la vie professionnelle. Pourtant, pour une partie de l’establishment politique, leur présence est perçue comme une menace au français, alors qu’elle pourrait être analysée comme une chance de renforcer sa diffusion.

L’annulation ou la modification de volets du PEQ s’inscrit dans cette logique : filtrer davantage pour privilégier des profils francophones. Mais cette approche soulève la question suivante : la politique linguistique québécoise se place-t-elle au service de la langue, ou s’érige-t-elle en rempart contre toute évolution socioculturelle ?

 

Entre mythe et réalité, une question ouverte

Au terme de l’analyse de Patrick Dery une évidence s’impose : le français au Québec n’est ni en chute libre ni à l’abri de tout défi. Il évolue dans un paysage complexe, où se croisent dynamiques démographiques, trajectoires migratoires, usages sociaux et récits politiques. Les données disponibles dessinent une réalité bien plus nuancée que celle d’un « déclin irréversible » souvent invoqué. Elles invitent moins à la panique qu’à une réflexion sur la stabilité, la transmission et l’adaptation de la langue dans une société en mutation.

Reste alors une question centrale, que le débat public esquive rarement : quelle cohérence y a-t-il à prétendre défendre le français en mettant à la porte… des Français et des francophones, formés, insérés et déjà intégrés linguistiquement ?

En érigeant la langue en rempart plutôt qu’en lien, le Québec risque-t-il de confondre protection et exclusion ? À l’heure où le PEQ est annulé au nom du français, le véritable enjeu n’est peut-être pas tant de savoir si la langue recule, mais si la politique linguistique choisie permet réellement de la faire vivre.






 

Analyse inspirée de l’article « Le français est-il en déclin au Québec ? » de Patrick Déry, publié sur son blog Avez-vous voté pour CA ?.

 

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