Édition internationale
  • 0
  • 1

StopCovid : Faut-il traquer les Français pour contrôler la pandémie ?

stopcovid application coronavirusstopcovid application coronavirus
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 27 avril 2020, mis à jour le 19 octobre 2020

Alors que les parlementaires vont se pencher sur la question du traçage des personnes contaminées avec l’application StopCovid, qu’en est-il dans le reste du monde ? La technologie peut-elle prévenir une nouvelle vague ou faut-il davantage craindre pour ses données personnelles ?

Alors que la fin du confinement est pour le moment fixée au 11 mai, la question du traçage des Français contaminés par le Covid-19 se pose dès ce mardi à l’Assemblée Nationale. Comment protéger les Français tout en ne mettant pas en danger leurs libertés ?

Comment marche StopCovid ?

L’application StopCovid, développée par le laboratoire français de l’Inria, doit permettre lors du déconfinement de répertorier les contacts avec des malades du coronavirus. Les personnes l’ayant téléchargée sur leur smartphone recevront une alerte après un contact avec une personne testée positive au Covid-19 et également en possession de l’application. Cette technologie basée sur le Bluetooth pose cependant de nombreuses questions de gestion des données et d’efficacité. Sur le premier point, la Cnil a jugé l’application « conforme » mais seulement si l’utilisation de l’application reste volontaire et anonyme. Mais de l’aveu même de Bruno Sportisse, PDG de l’Inria : «La réalité est que des failles existent dans tous les systèmes». Comment assurer dans ces conditions que les données des utilisateurs ne seront pas détournées ou que l’identité des malades ne sera pas révélée ?

L’efficacité de StopCovid est également dépendante de son utilisation massive. L'Académie nationale de médecine a ainsi souligné : « l’efficacité du traçage dépendra pour une large part de l'acceptation et de l'adhésion confiante de la population ». Une confiance actuellement mise à mal par plusieurs sondages d'opinion. L’application StopCovid ne pourra de toute façon s’accompagner que de tests systématisés si on veut pouvoir aider les personnes non-contaminées et en particulier les plus vulnérables, à se protéger du coronavirus.

stopcovid application coronavirus

Les applications de traçage à l’étranger

Alors que le débat fait rage en France, qu’en est-il à l’étranger ? Les solutions imaginées ou déjà en utilisation sont-elles efficaces ? En Chine, il est désormais obligatoire de fournir un QR Code de "bonne santé" à l'entrée de l'ensemble des lieux publics et résidences d’habitation. L’application Alipay Health Code délivre un QR Code de couleur différente en fonction des déplacements de l’utilisateur enregistrés par le GPS de son téléphone. Elle évalue ainsi les risques de contamination et en fonction le nombre de jours de confinement recommandés à l’utilisateur. L’obligation de téléchargement a été suivie diligemment par la population chinoise, habituée aux outils de traçage d’un gouvernement adepte de la cyber-surveillance.

La Corée du Sud a également adopté une approche stricte. Suite à un dépistage massif de sa population, les autorités sud-coréennes ont pu retracer l’itinéraire des personnes contaminées, en utilisant la géolocalisation mais aussi les caméras de surveillance. Les Sud-Coréens sont ainsi prévenus par texto s’ils ont croisé quelqu’un testé positif et même à quelle occasion. Les détails communiqués étaient tellement précis que Séoul a préféré les limiter par la suite pour éviter toute stigmatisation, ce qui aurait pu dissuader la population de se faire dépister.

En Inde, une application de traçage, Aarogya Setu (à traduire par « pont vers les soins de santé »), a été lancée le 2 avril dernier et a été téléchargée par plus de 60 millions d’utilisateurs. Elle est disponible en 11 langues dont le hindi et l’anglais. Cette application alerte l’utilisateur lorsqu’il s’approche d’une personne testée positive au COVID-19 et lui indique les mesures à prendre pour éviter la contagion. Elle utilise le Bluetooth et le système de géolocalisation du téléphone. Récemment, le gouvernement a annoncé que toutes les informations et les services relatifs au COVID-19 seraient intégrés dans Aarogya Setu, et, en particulier, un service de téléconsultation médicale.

En Australie, le ministre fédéral a rendu disponible dimanche soir COVIDSafe, une application mobile permettant le traçage au sein de la population de la propagation du coronavirus. Les Australiens se sont rapidement mobilisés, avec plus d'un million de téléchargements les trois premières heures, près de deux millions en moins de 24 heures.

L’application utilisée à Singapour a été à l’inspiration de StopCovid en France. TraceTogether n’utilise pas de géolocalisation mais enregistre via la technologie Bluetooth les contacts de l’utilisateur avec d’autres personnes ayant des symptômes ou testées positives au Covid-19 et qui se sont signalées comme telle via l’application.

Taïwan a préféré miser sur un traçage électronique pour les personnes en quarantaine, afin de s’assurer qu’elles ne quittaient pas leur domicile. La Pologne a suivi le même chemin en obligeant les personnes en quarantaine à prendre un selfie pour prouver qu’elles sont bien chez elles.

Le débat fait, quant à lui, encore rage dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis où de grandes entreprises technologiques, Google en tête, sont en négociation avec le gouvernement américain sur la création d’un système permettant de suivre la propagation du virus en utilisant la géolocalisation des Américains. Notre édition de New York vous en apporte un décryptage.

 

La technologie ne remplace pas le bon sens, ni l’humain.

 

Paula Forteza, députée des Français d’Amérique Latine et des Caraïbes, et spécialiste des questions numériques a accepté de nous répondre sur le sujet.

Pensez-vous que l'application StopCovid soit efficace pour réduire la propagation du Covid-19 ?

Je ne le crois pas. Plusieurs limites technologiques subsistent: le seuil minimal d’utilisateurs requis (environ 60% de la population); la précision de mesure de distance avec le Bluetooth (la transmission virale se fait à moins de 2 mètres, ce qui est délicat à connaître cet outil); la possibilité de « faux-positifs » et « faux-négatifs » (personnes détectées par erreur) qui en découlerait pourrait altérer l’efficacité collective de l’application.

 

Quels sont les risques de la mise en place de cette application StopCovid ?

Ils sont nombreux. Ils sont d’abord individuels: rien ne permet de garantir l’anonymat de ces données à 100%. La sécurité de ce dispositif est aussi très largement contestée par les experts techniques, notamment ceux qui sont en train de concevoir le protocole ROBERT à l’INRIA (protocole qui constituerait le support pour l’application gouvernementale). Ils sont ensuite profondément sociétaux et éthiques: une telle technologie utilisée en temps de crise pourrait avoir des incidences majeures par la suite. C’est ce qu’on appelle un « effet de cliquet »: on rend acceptable socialement un usage à un moment, dans un contexte précis, et cet usage perdure et s’étend à d’autres cas. Enfin, ils sont politiques. Je ne crois pas que ce soit à l’Etat de jouer ce rôle, notamment dans le rapport de force avec les GAFA: l’Etat doit réguler, permettre aux utilisateurs de reprendre le contrôle sur leurs données, pas l’inverse.

 

Quelles sont les propositions technologiques qui vous paraissent plus à même de combattre cette pandémie ?

La technologie ne combattra pas, à elle seule, la pandémie. Prenons garde à ne pas succomber à cette facilité de croire que la technologie est une solution à tous nos problèmes. Elle peut aider à plusieurs niveaux. Au niveau individuel, la technologie permet de maintenir le lien à distance (téléconsultation, télétravail, téléenseignement). Elle permet au niveau de groupes, de communautés, d’organiser des solidarités, de diffuser des bonnes pratiques. C’est le cas notamment des plateformes d’entraide et de solidarité comme celle que j’ai crée pour les Français de l’étranger. La technologie peut éclairer la décision politique: des données agrégées peuvent permettre de modéliser des comportements, des flux, alerter sur des zones de concentration de cas viraux, etc. La technologie ne remplace pas le bon sens, ni l’humain. Ne faisons pas le raisonnement inverse.

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions