Sofiane Boubahlouli est parti pour un périple au long cours, qui le mène, sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, de Boulay, en Moselle, à Alger, d'où est originaire son père. Au total, 5.600 km, dont une bonne moitié ont déjà été parcourus. L'aventurier, après avoir atteint la Galice, descendra le long de la Péninsule, entre Espagne et Portugal, jusqu'à l'Afrique. A mi-parcours, il nous livre le témoignage d'une expérience humaine et spirituelle unique.
Après avoir traversé la France à pied sur plus de 2.000 km, j’ai longé une partie des Pyrénées pour traverser la frontière espagnole. J'ai passé ma dernière nuit côté français, le 9 décembre, dans les couloirs de la DRIR au Col du Somport, pour me protéger d’une tempête de neige...
La neige jusqu’aux genoux, direction Jaca en empruntant le "camino Navarro". Une nouvelle architecture, un nouveau langage, une nouvelle culture, de nouveaux paysages s’offraient à moi. Quelle surprise, de voir ces églises gothiques richement décorées et très fréquentées, la "siesta" entre 14h et 16h, ces villages sur des collines, ces paysages désertiques. Ruesta m’a particulièrement surpris avec son château et son village abandonnés après la construction du barrage Yesa dans les années 60.
Ce fut également, la rencontre avec un "clochard du chemin", qui vagabondait sur le "Camino" depuis plus de 10 ans, en faisant la manche pour survivre.
Pèlerin reconnu
Le camping et le bivouac étant interdits en Espagne, je me suis dirigé vers des "albergues" municipales (5 à 6 euros) et "donativo" (libre participation), destinées exclusivement aux pèlerins. J'avais un "crédencial" (passeport jacquaire), qui me permettait d’être reconnu en tant que pèlerin et d’acquérir la "Compostela". A chaque étape importante, je la faisais tamponner par une autorité compétente (mairie, auberge, office de tourisme).
A partir de Puente La Reina, début du "Camino Francés", fréquenté par plus de 300.000 personnes par an, j’ai rencontré des marcheurs venant du monde entier.
J’ai marché avec un Allemand qui avait fait le chemin plus de 15 fois, un couple de Russes, un Coréen à la recherche d’une femme, un prêtre polonais, un Américain d’origine coréenne, un Français allant avec une charrette tout en se nourrissant uniquement de plantes…
La marche jusqu’à León est psychologique et se prête à l’introspection avec ses longues étendues désertiques, ses villages abandonnés, ses églises fermées, et l’absence de communication avec les locaux. Ma rencontre avec l’hospitalier italien trilingue d’un "donativo" à Grayon fut extraordinaire : nous avons préparé un repas collectif avec tous les pèlerins et avons dormi sans le toit de l’église. Tous les hospitaliers font ce travail bénévolement et doivent obligatoirement avoir marché le "Camino francés".
La messe de Noël
Le 24 décembre, les sœurs du monastère de León, nous ont invités à la messe de Noël avec ses chants grégoriens et nous ont conviés à un excellent repas à la fin de celle-ci. León, marque le début de la Galice, où l’on ressent les influences celtiques dans l’architecture de ses villages et ses murets en pierres. Avec une violente tempête de neige à Manjarin, j’ai décidé avec cinq autres pèlerins de marcher ensemble, pour des raisons de sécurité, notamment pour aider un Japonais de 80 ans.
J’ai eu une infection du pied qui m’a poussé à me faire soigner à l’hôpital. En retard avec mon ami Florien, venu de Nancy pour marcher quatre jours avec moi jusqu’à Saint Jacques de Compostelle, j’ai dû accélérer le rythme et marcher 110 km en 2 jours.
Je suis allé jusqu’au phare de Finisterre, le point le plus à l’ouest du monde, où j’ai ressenti une forte énergie positive, et je suis revenu à Saint Jacques de Compostelle en passant par Muxia.
Cette arrivée marque la fin de la première moitié de mon aventure vers Alger avec 3.000km, déjà parcourus. Malheureusement, pour des raisons familiales, j’ai dû rentrer en urgence à Metz pour trois semaines.
Après trois ans d’aventure, je participais pour la première fois à une institution millénaire, avec ses codes et ses coutumes. Nous avions tous nos propres buts ou objectifs, mais nous avancions tous vers la même direction : Saint Jacques de Compostelle, et si on image, vers le bonheur. Cette partie collective de mon aventure a répondu à de nombreuses questions en suspens. Je comprends désormais le sens de la magie du chemin de Saint Jacques de Compostelle.