De Madrid au monde : Fabienne Fourquet (2btube), stratège de la creator economy

Dix ans plus tard, la société compte 80 collaborateurs repartis entre l’Équateur, le Mexique et l’Espagne, et anime un portefeuille de chaînes numériques  pesant 500 millions d’abonnés et plus de 5 milliards de vues mensuelles y compris Youtube, Meta, Spotify, Tik Tok, et autres. Dans ses bureaux de Madrid, un compteur géant affiche en temps réel les chiffres d’audience cumulés : une matérialisation presque hypnotique de la puissance du secteur. "Aujourd’hui il suffit de posséder un téléphone pour avoir accès à une audience potentiellement mondiale", rappelle-t-elle. Pour Fabienne, le message est clair : le contenu est devenu un produit de consommation courante, pierre angulaire de la relation entre marques, plateformes et créateurs. 2btube y joue un role clé, fournissant des services de production de contenus et un accompagnement stratégique à ses chaînes, tout en développant également son propre contenu IP.

Une trajectoire internationale forgée dans le feu des nouveaux médias

Son parcours dans les médias commence à New York, à une époque où le numérique n’existe encore que comme promesse. "New York, c’est ma ville ! Quand tu arrives à 23 ans à NY, c’est une sensation unique", raconte-t-elle. La jeune diplômée y découvre un monde où les idées circulent vite, très vite, et où le pragmatisme domine. "J’ai beaucoup appris des Américains et de leur façon de travailler, beaucoup plus orientée sur le résultat. Le système américain, c’est moins de lourdeurs et de procédures, et plus d’efficacité".

J’ai beaucoup appris des Américains et de leur façon de travailler, beaucoup plus orientée sur le résultat

Elle est alors aux premières loges d’une révolution qui n’a pas encore de nom. À une époque où les smartphones n’existent pas et où les chaînes refusent de publier leurs contenus sur YouTube, elle perçoit déjà les enjeux des plateformes naissantes. Là où beaucoup voient une menace ou un gadget, elle voit un formidable espace d’expansion. "Les médias traditionnels ont un retard évident sur l’adoption des plateformes digitales", analyse-t-elle. Dans un secteur encore hiérarchisé par la télévision linéaire, cette intuition relève presque de la dissidence. Mais elle s’y tient : "Il faut être là où le trafic existe".
 
Après New York viendront Londres, Paris et Singapour, autant de villes où elle approfondit sa compréhension des mutations du secteur audiovisuel, de la distribution internationale et des usages numériques. Cette succession de métropoles mondiales, contrebalancée par ses retours réguliers dans les Pyrénées, forge chez elle un équilibre singulier : un pied dans l’hypermondialisation, l’autre dans un rapport au réel et aux territoires qui ne l’a jamais quittée.

2014 : naît 2btube, pionnier hispanophone dans un marché encore vierge

Lorsqu’après son passage chez Canal + elle cofonde 2btube en 2014, les plateformes vidéo n’ont pas encore acquis le statut d’autoroutes mondiales de la culture contemporaine. "Lorsque nous avons créé 2btube avec Bastian Manintveld, nous avions déjà pour mission de professionnaliser les contenus digitaux des univers hispanophones. Nous avons fait ce choix après avoir observé qu’il n’existait pas encore d’acteur actif sur ce créneau en Amérique latine", explique-t-elle. L’intuition est double : d’un côté, l’explosion à venir des créateurs ; de l’autre, le potentiel d’un marché mondial hispanophone de 600 millions de personnes.

On est deux guiris à avoir monté une boîte en Espagne

"On est deux guiris à avoir monté une boîte en Espagne", sourit-elle aujourd’hui. Dix ans plus tard, le pari est largement gagné. Le groupe est devenu un hub de référence pour les créateurs, les marques et les plateformes, avec une expertise rare sur les comportements d’audience. "Notre vraie différence, c’est que ça fait 10 ans que l’on travaille avec les plateformes, et les plateformes, c’est les audiences. On est au fait du moindre changement d’algorithme, de l’évolution de tout ce qui génère l’audience sur ces interfaces". Et dans un environnement où les règles changent chaque semaine, ces savoirs et savoir-faire valent de l’or.

Des campagnes emblématiques qui ont transformé les usages des marques

Le succès de 2btube repose notamment sur une série de campagnes pionnières qui ont montré, dès ses débuts, la puissance des créateurs. Fabienne Fourquet aime rappeler qu’il faut "adapter le storytelling à la plateforme", un principe simple mais encore aujourd’hui sous-estimé par certaines entreprises.
 
Parmi ces réalisations figure ainsi le lancement du compte TikTok de Renault Trucks, conçu pour révéler l’univers mécanique et industriel de la marque aussi bien au grand public qu'à ses propres utilisateurs -les chauffeurs. L’opération surprend, fonctionne et trouve naturellement son audience grâce à la juste appropriation des codes de la plateforme.
 
Autre succès : Sabor a fútbol by Mahou, un canal pensé pour la célèbre bière madrilène, qui associe culture football, proximité émotionnelle et contenus natifs. L’initiative s’impose rapidement comme un espace de référence pour les fans.
 
Mais c’est peut-être avec PlayStation España que 2btube signe l’un de ses plus beaux coups : la création de Conexión Play, devenue la plus grande chaîne YouTube de la marque en Espagne et la deuxième au monde en nombre d’abonnés. L’opération combine stratégies d’engagement, culture gaming et production régulière de formats originaux, parfaitement calibrés pour YouTube.
 
Ces succès reposent sur un principe que Fabienne Fourquet résume en une formule devenue un mantra interne : "Content is king, but audience is queen". Autrement dit : un bon contenu n’a de valeur que s’il sait rencontrer son public.

La Creator Economy ou Économie des créateurs  : un nouveau continent économique

Depuis dix ans, Fabienne Fourquet observe en première ligne la montée en puissance de la "creator economy", cette constellation immense et décentralisée de talents qui produit, fédère, influence, divertit et, de plus en plus, structure des marchés entiers. "Aujourd’hui, dans le monde, 200 millions de créateurs sont des professionnels, c’est l’équivalent du 7e pays le plus peuplé de la planète, après le Brésil", rappelle-t-elle.

Les créateurs deviennent les marques de demain

Dans ce paysage bouleversé, les créateurs deviennent des marques, parfois même plus puissantes que les marques historiques. "Les créateurs deviennent les marques de demain", résume-t-elle. Leur proposition de valeur : une relation directe avec l’audience, une agilité extrême, et une capacité à générer de la confiance au moment où les consommateurs s’éloignent des discours publicitaires traditionnels.
 
En Espagne seulement, le marché de l’influence représente désormais 100 millions d’euros par an, avec 60 000 créateurs actifs. "Ce sont 60 000 créateurs de contenus avec lesquels nous pouvons travailler main dans la main", souligne-t-elle. Cette dynamique explique l’évolution du modèle 2btube : "En 10 ans on a beaucoup fait évoluer notre modèle. Désormais, on se recentre sur le soutien technologique aux créateurs, aux marques et aux médias".

Présider la French Tech Madrid : connecter, amplifier, ouvrir

Depuis 2024, Fabienne Fourquet préside la French Tech Madrid. Une mission qu’elle aborde avec le même mélange de pragmatisme international et d’attention aux écosystèmes locaux. Ses objectifs sont clairs : renforcer la visibilité des start-up françaises en Espagne, créer davantage de synergies entre les entrepreneurs installés dans la capitale, et positionner Madrid comme un véritable carrefour franco-hispanique de l’innovation.

Madrid, 5e ville européenne en nombre de start-up

Elle rappelle que la capitale espagnole est aujourd’hui la 5e ville européenne en nombre de start-up, avec plus de 3 400 entreprises actives, 6 licornes et plus de 2,5 milliards d’euros d’investissements annuels. Plus de 120 entreprises françaises y sont déjà implantées. L’enjeu, selon elle, est de les faire dialoguer davantage avec l’écosystème local.

Business entre Frenchies

C’est tout le sens des actions menées par la French Tech Madrid : des afterworks réguliers, des petits déjeuners tech organisés avec l’ESCP, des tables rondes thématiques – dont une journée dédiée à l’IA –, mais aussi un Welcome Guide lancé en 2025 pour aider les nouveaux arrivants, et un futur répertoire des start-up et scale-ups françaises destiné à favoriser le "business entre Frenchies". Mais Fabienne Fourquet insiste également sur l’importance de la parité : elle souhaite accroître la visibilité des femmes entrepreneures de la communauté.

Le futur : un horizon mondial fait d’algorithmes... de football et de social shopping

Interrogée sur les perspectives de 2btube, elle sourit : "Pour 2btube, future is bright". Et de dérouler les raisons de cet optimisme. D’abord YouTube, qui a célébré en 2025 ses vingt ans, et s’est affirmé comme le média dominant d’une nouvelle génération. Ensuite, la Coupe du monde de football 2026 aux États-Unis, au Canada et... au Mexique, qui devrait générer un pic de trafic massif dans l’univers hispanophone. "Nous travaillons déjà, avec toutes nos chaînes YouTube et toutes nos équipes hispanophones, à un inventaire de vidéos premiums autour du foot, où nous sommes déjà très bien positionnés : nous gérons par exemple 80 % des clubs de la Liga espagnole". Enfin, une montée en puissance du social shopping : "Toutes les marques sont en train de revoir leur parcours utilisateur et nous avons un rôle primordial à jouer, en les aidant à performer au niveau de la visibilité, de l’engagement, de la conversion et de l’acte d’achat", décrypte la fondatrice de 2btube. Bref, celle qui a quitté un village des Pyrénées pour conquérir les plateformes mondiales a encore un large horizon à transformer.