En ces temps si particuliers, où le confinement à la maison est devenu une obligation et requiert -au moins temporairement- une réorganisation complète non seulement de nos habitudes mais aussi de notre rapport au monde, à nous mêmes et à l'autre, nous interroge sur notre présent mais aussi sur quoi sera fait l'avenir, nous avons recueilli les témoignages de Français installés dans différentes provinces d'Espagne, pour savoir comment ils vivent cette expérience inédite.
Ne nous leurrons pas, les premiers jours du confinement sont les plus faciles. À cet égard, les Français que nous avons interrogés ne se laissent globalement pas abattre et font particulièrement preuve de sérénité, ainsi que d'une grande capacité d'adaptation. Tout s'est portant enchaîné si vite... "Depuis samedi, le confinement s’est installé. Le Gotico s’est vidé, personne dans les rues depuis. Ayant pressenti que cela allait arriver, j’avais fait mes courses et acheté un peu de stock (...) nous étions parés. Depuis la famille vaque à ses occupations", relate Brigitte, depuis son confinement à Barcelone.
Au début c’était excitant
Car il y aura un avant et un après confinement, indubitablement. "Au début c’était excitant", déclare même Olivier, confiné à Barcelone. "Les débuts sont souvent supportables avec l’adrénaline de la nouveauté", complète Quentin, confiné à Madrid. "La nouvelle du confinement était sans surprise mais il nous a fallu un peu de temps pour comprendre les changements que ce nouveau mode de vie allait apporter", évoque pour sa part Stéphanie, confinée avec sa fille de 13 ans dans la Communauté de Madrid. "J'essaye de comprendre ce qui se passe, mais je n'y arrive pas, car c'est l'inconnu", déplore Michelle, confinée à Barcelone. "Je ne sais même pas ce qui se passera demain, si je serai malade ou pas. Et le monde entier est dans la même situation. Dur à réaliser... non je ne peux pas encore", se rappelle-t-elle. De fait, avons-nous réellement réalisé ce que cette nouvelle situation implique ? Il nous faudra certainement encore du temps pour intégrer l'ensemble des implications de cette nouvelle donne.
En attendant, après le choc des premiers jours, place à l'adaptation : pour Florence, confinée à Madrid, "le temps est à l'organisation pour que tout le monde s'y retrouve", une étape par laquelle de nombreuses familles seront certainement passées. Il s'agit d'aménager la maison pour que chacun puisse y développer ses activités dans les meilleures conditions, combiner l'activité professionnelle et la garde des enfants, gérer sa santé physique et intelectuelle au mieux, mais aussi s'occuper, voire tuer l'ennui. Dans cette dynamique de réorganisation, tout n'est pas négatif, loin de là. Le confinement oblige à l'imagination, fait appel à notre capacité de nous réinventer. "Nous avons réaménagé l'appartement pour faciliter l'étude et la séance de sport quotidienne dans le salon : l'entrée pour le concours de fléchettes, le bureau des enfants en table de ping pong", continue Florence. "On doit trouver d’autres occupations à nos soirées : le jogging remplacé par de la gym d’intérieur, le verre en terrasse par de la cuisine en couple ou une partie de Risk", évoque Quentin. "Mon appartement n’a jamais été aussi propre et aussi ordonné et c’est aussi l’occasion pour faire du tri dans les papiers", complète Julie, confinée dans la capitale catalane.
Ne pas se perdre dans un temps qui ne compte plus
Pour autant confinement n'est pas synonyme de vacances, même si la nouvelle situation peut à bien des égards s'avérer trompeuse. Nathalie, confinée à Gran Canaria, évoque ainsi la mise en place d'un "planning journalier, afin de ne pas se perdre dans un temps qui ne compte plus". "Il faut reprendre ses esprits et trouver une routine", corrobore Stéphanie. "Pas toujours facile pour les enfants de se mettre à travailler et d’être motivé pour faire les devoirs en autonomie", analyse néanmoins, depuis son confinement à Barcelone, Juliette. "On peut apprendre de nouvelles chose. Moi, j’ai commencé à apprendre le portugais et j’approfondis mon anglais", exprime Elina, 13 ans. Et d'ajouter : "Il y a aussi l'école à la maison, que personnellement je trouve plus difficile que quand on le fait en classe. Mais dès qu’on est organisé normalement tout se passe bien." L'éducation des enfants constitue de fait une préocupation centrale pour les parents. D'une part, parce que ces mêmes enfants ne doivent pas prendre de retard dans lacquisition des connaissances, notamment pour les plus âgés d'entre eux, et d'autre part, il faut bien l'admettre, parce que l'on ne peut pas être au four et au moulin. Tandis que les enfants étudient, les parents vaquent à leurs tâches propres, à savoir souvent le travail et l'entretien de la maison.
L'école à la maison
A cet égard, le témoignage de François, confiné à Madrid, est particulièrement éclairant : "Enseignant dans un lycée français, le confinement se passe donc à essayer de maintenir le lien avec mes élèves, en particulier mes Terminales qui ont le Bac en juin. L'ensemble de mes collègues est mobilisé, ce n'est pas le travail qui manque pour ces jeunes obligés de rester chez eux. Et, jusqu'à présent, le travail est fait et rendu. Mais ce n'est pas suffisant, je le sens bien avec mes propres enfants, ils ont besoin d'autre chose, de rendez vous en ligne qui marquent un rythme pour eux, qui les aident à s'organiser dans l'océan des demandes de professeurs et alors qu'ils sont seuls chez eux. C'est une des choses les plus difficiles à apprendre, l'autonomie. J'ai donc commencé les cours en ligne par vidéo et ils ont apprécié. C'est cela qu'ils veulent, me disent-ils, je les ai trouvés d'ailleurs très attentifs, même très sages et froids dans leurs interventions. Ce sont des jeunes, peut-être plus insouciants que d'autres a priori mais, qui sait, aussi sont ils préoccupés. Ils ont peut être envie de parler de ce qu'il se passe avec quelqu'un d'autre que leurs parents. C'est ça aussi un enseignant. Dans un cours normal, on sent son public, sa classe. On module l'offre son ton en fonction de ce lien permanent avec le groupe. Là, derrière les écrans, on a juste une vague impression au son de la voix. Certains ont peut être complètement décroché, mais comment les accompagner, avoir une approche individualisée aussi ? Bref, il va falloir tâtonner, inventer, s'adapter, pour eux". "Les instituteurs font un travail remarquable, ça demande beaucoup d’investissement de part et d’autre mais ça se passe bien", estime Anne Charlotte, confinée dans la capitale espagnole. "Les enfants sont très occupés les jours de classe et la mise en place d'une continuité pédagogique a été rapide et efficace, en particulier au Primaire du Lycée français", déclare Gabrielle, confinée à Madrid elle aussi. "Je félicite les maitresses au passage", précise-t-elle.
Parallèlement, la continuité de l'activité professionnelle est au cœur des préoccupations des parents. "La situation économique nous inquiète, et en bons entrepreneurs nous pensons aux conséquences sur les entreprises et l’économie mondiale", explique ainsi Brigitte. "L’activité touristique de mon entreprise est à l’arrêt, et je me rends compte que ce sera pour bien plus de 15 jours avant que les visiteurs ne reviennent", raconte Olivier de Barcelone, qui évoque l'obligation de se défaire temporairement d’une partie de son staff : "Se séparer des gens à qui j’ai demandé de me faire confiance est la décision la plus dure que j’ai eu à prendre de toute ma carrière". "Notre petite entreprise de 9 salariés est déjà très affectée par la crise du Coronavirus. Nous avons pris le temps de la réflexion ce week-end en accord avec l'équipe et avons décidé de continuer l'activité de notre boutique en ligne. Ce sont des décisions délicates à prendre dans lesquelles entrent en jeu tant la question de notre responsabilité dans le freinage de l'épidémie, que celle du maintient des emplois et bien entendu celle du service à nos client.es. Face à l'incertitude, notre priorité est d'appliquer les consignes et de soutenir notre équipe", raconte Marion de Bilbao. Et de poser un constat inquiètant : "Depuis quelques jours on nous taxe d'opportunistes car nous continuons à vendre. Mais pour nous il est clair que notre responsabilité est de maintenir notre projet en vie et d'envoyer un message de confiance à nos client.es et nos fournisseurs. Sinon nous allons tous dans le mur".
Pour les salariés en télétravail, ceux qui ont la chance de conserver leur emploi, ou ceux qui malheureusement l'ont perdu, la vie continue : il est nécessaire "d'avancer dans un monde qui semble à l’arrêt", comme le dit bien Nathalie. "Mon conjoint dans le salon en télétravail et moi je gravite autour bien occupée avec les tâches quotidienne de la maison, les activités manuelles comme la couture, l’apprentissage de l’espagnol et du sport à la maison (gym yoga...)", commente Lucile, récemment débarquée à Madrid où elle est désormais confinée avec sa famille. Charline, employée d'une startup et confinée à Saragosse relate : "En ce qui me concerne, travailler m'occupe déjà 8h par jour. J'ai dû changer un peu ma façon de travailler et m'adapter aux nouvelles mesures, car en effet les ventes ont diminué. Mon conjoint était dans l'hôtellerie, il ne travaille plus. Pour lui c'est un peu plus long, il en profite pour voir des films, jouer avec le chat, ranger la maison". Gabrielle, responsable de Madrid Accueil, explique le fonctionnement auquel a été contraint l'association de se plier : "Je télétravaille comme la plupart de mon équipe, et nous préparons le passage des visites que nous avions programmé en version virtuelle. Nos réunions mensuelles auront lieu en Visio jusqu'à nouvel ordre, et nous réfléchissons à une version virtuelle de notre AG également"...
Rester positifs
Le confinement a ainsi fait explosé l'usage des outils de communication mis à notre disposition, pour le télétravail notamment, mais aussi pour garder le contact avec les siens et assurer une certaine vie sociale. Notamment pour les ados, chez qui elle est généralement intense : "Ils ont besoin des réseaux sociaux pour compenser l'absence de leurs amis, et leurs parents ne peuvent à mon sens combler ce manque. Difficile pourtant d'accepter cette relation qu'ils ont au téléphone. Nous avons donc là aussi dû nous mettre d'accord sur une limite", commente Gabrielle. "Heureusement que nous avons nos téléphones pour communiquer avec la famille et les amis, où qu’ils soient", analyse Nathalie. "Pour ma part je parle chaque jour avec le Canada, les USA, l’Angleterre, l’Afrique, les Antilles... Nous prenons le temps de prendre des nouvelles, d’échanger, de rire aussi afin d’éviter le flot d'informations anxiogènes... et rester optimistes et positifs". "Les Whatsapp thématiques s’animent aussi pour des conseils ou des suggestions", raconte Brigitte, qui évoque aussi "les cours de gym sur Youtube, les visites des grands musées online, les vidéos drôles sur le sujet venant du monde entier et qui nous font sourire", ou encore "un apéro virtuel en prévision, pour garder le lien avec les amis".
"On se concentre sur l’essentiel en attendant le retour à une vie normale", résume assez bien Anne Charlotte de Madrid. Pourtant, et alors qu'on nous a beaucoup parlé, ces dernières années et avec l'avènement de l'intelligence artificielle, du changement de paradigme auquel allait se trouver confrontée notre société, c'est du jour au lendemain un changement de paradigme d'un tout autre ordre auquel nous devons brutalement faire face. "C’est somme toute une expérience qui permet de faire des choses différemment et d’apprendre à vivre autrement", estime avec optimisme Juliette de Barcelone. "Puisse cette période de vie compliquée nous rassurer sur nos ressources humaines", espère Nathalie, qui souligne la nécessité "d'essayer de penser à reconstruire un monde meilleur". "Nous sommes tous concernés et nous sommes convaincus qu’il y aura un avant après le Coronavirus. C’est souhaitable. Comment ? difficile à dire. L’histoire reste à écrire", rebondit Brigitte depuis Barcelone. En attendant -ou en préparant- l'avenir, le côté angoissant d'une situation dont la durée et les contours restent encore incertains, n'échappe à personne. "Il y a des moments où mon cœur se serre et les larmes me montent aux yeux. Je dois réagir, mais ce n'est pas simple", confie Michelle. "On craque parfois, on pleure un peu et on se dit que demain ca ira mieux", déclare Stéphanie.
Rendez-vous à 20h sur le balcon
Une maxime circule beaucoup ces derniers temps sur les réseaux sociaux espagnols : "On a demandé à nos grand-parents d'aller à la guerre, on nous demande seulement de rester à la maison". Des témoignages recueillis pour cet article, ressort aussi un message sous-jacent : nous nous devons d'être à la hauteur de cette épreuve, de nous serrer les coudes et d'être solidaires. Aussi, quand la détresse surgit et les prend au dépourvu, c'est vers ceux qui souffrent le plus que la pensée des Français d'Espagne se dirige, mais aussi vers ceux qui luttent au quotidien pour les protéger contre un fléau invisible encore, contre cette menace impalpable qui les tient confinés à la maison. "Je repense à Anne Franck, dont j’ai visité la maison à Amsterdam", illustre ainsi Olivier. "Eux sont restés près de 2 ans dans un endroit où j’ai souffert de claustrophobie en le visitant. Les imaginer là, à se cacher, sans bruit la journée ! Alors nous, ma femme, mes 3 enfants et moi, nous sommes bien lotis", juge-t-il. Face à ce qu'elle appelle ses "problèmes de riche", Lucile relativise quant à elle en évoquant "tous ces gens qui sont contraints de mettre en stand-by leur activité, sans revenu", et de souhaiter que "l'Etat espagnol les aidera". "Je pense qu'il est essentiel de maintenir à flot le petit commerce de proximité, en particulier celui qui est tenu par nos compatriotes", défend aussi Gabrielle, la présidente de Madrid Accueil. "L'heure est à la solidarité et à la pensée positive", appuie Marion, l'entrepreneuse de Bilbao. "Ne restons pas isolés, parlons de tout et de rien", défend Nathalie depuis les Canaries. "Dans mon quartier il y a quelques voisins musiciens qui a 12h et 17h jouent à leur fenêtre, c'est sympa, tout le monde les applaudit et ça nous fait nous évader pendant 10 minutes", évoque Charline depuis Saragosse. "Je crois que chacun doit contribuer de manière individuelle à cette effort collectif" glisse de son côté Anne Charlotte, la maman madrilène, qui ajouter penser régulièrement "aux personnes fragiles à qui ce virus ne fera pas de cadeau et à tout le personnel médical qui œuvre sans relâche". "Je pense que cette expérience nous unira plus que jamais", défend Maryline, traductrice dans la capitale aragonaise. "C'est d'ailleurs le cas tous les soirs à 20 h lorsque nous sortons tous sur nos balcons pour applaudir les médecins et les infirmiers". "Comme tout le monde en Espagne, on sort sur le balcon à 20h pour applaudir le personnel sanitaire et tous ces héros sans cape qui luttent pour nous sortir de cette situation", renchérit Stéphanie, la responsable de l'association FLAM à Madrid. Pour les confinés français en Espagne, ce rendez-vous sur le balcon à 20h est en quelque sorte devenu le symbole de la résistance et de l'espoir.