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Claude Bussac (Photoespaña): "Notre défi sera de savoir nous adapter"

Claude BussacClaude Bussac
© Sebastián Bejarano
Écrit par Pablo Barrios
Publié le 28 mai 2020, mis à jour le 18 février 2021

La Directrice générale à Madrid de La Fabrica, organisateur entre autres du célèbre festival PhotoEspaña revient sur le maintien d'une activité culturelle en Espagne, dans le contexte difficile de la crise du Covid-19. Questions-réponses. 


lepetitjournal.com : L’initiative #PHEdesdemibalcón a eu un véritable succès sur les réseaux sociaux avec plus de 500.000 images envoyées par des milliers de participants. Croyez-vous que ce genre d’initiatives peut aider à réduire l’analphabétisme visuel ? 

Je pense surtout que ce genre d’initiative a l’avantage d’être une initiative qui est simple, qui est collective et qui avait pour ambition, simplement, de créer un petit peu d’espoir, et de créer un projet collectif, très démocratique. La photographie, maintenant, est un langage très démocratique. Tout le monde fait des photographies. Tout le monde utilise son smartphone pour faire des photos. Nous êtions tous confinés, c’était  une facon d’inciter les gens à utiliser leur aspect créatif, grâce à un moyen qui est la photographie et qui est vraiment accéssible à tout le monde. De ce côté-là, cela a été un succès qui nous a un peu dépassé. Nous ne nous attendions pas à un aussi grand succès. En même temps c’était une initiative collective incitant plusieurs villes d’Espagne à montrer une sélection de leurs meilleures photographies. Au total 48 villes ont participé, ce qui permet une exposition répartie sur tout le territoire, issue d'une sélection de ces images. Une qualité claire de ce projet a été cet élan collectif. Mais il n'y a pas d’ambition pédagogique. On ne prétend pas remédier l’analphabétisme visuel. D’ailleurs, je ne crois pas être très d’accord avec cela, même si ce n’est pas parce que tout le monde peut faire une photographie qu’on est tous photographes. Mais je pense aussi qu’il est important de partager des moments autour de la photographie, que c'est fantastique de voir autant d’images partagées par les gens. 

 


Très prochainement, les centres culturels et les musées vont progressivement pouvoir ouvrir leurs portes au public et de nombreux défis se poseront pour restaurer la confiance de ce dernier. Comment va réagir La Fabrica dans ce contexte ?

Elle va réagir comme toutes les autres institutions en respectant les mesures de garantie sanitaire qu’il faut suivre. Notre librairie ouvrira quand elle pourra, en contrôlant la jauge et en suivant les mesures qui doivent être adoptées. Pour ce qui est de nos activités comme le festival PhotoEspaña, ce sera la même chose, en contrôlant chaque institution au sein de laquelle nous travaillerons. Nous ferons exactement ce qui doit être fait. Notre défi sera de savoir nous adapter. Je pense que pour le public ce sera très agréable, je veux dire, de voir limité le nombre de gens qui pourront entrer dans une exposition. Ce seront des circonstances plus agréables pour voir les expositions, les musées. Nous mettrons en parallèle en place des activités de médiation pour pouvoir adapter et inviter. C’est plus au niveau de la gestion et de la rentabilité des activités que cela peut poser un problème. Mais, au niveau du contact du public, je pense que les gens vont devoir s’habituer à d’autres circonstances. 

 

À votre avis, pourquoi existe-t-il une grande résistance de la part du Gouvernement espagnol pour promouvoir des mesures spécifiques pour soutenir le secteur des arts visuels en Espagne ?  

Je ne sais pas si c’est vraiment une résistance ou si c’est plutôt une lenteur dans l’action. Je pense que dans un moment de crise comme celui que nous sommes en train de vivre, il y a eu une première réaction qui a été plutôt horizontale pour tous les secteurs, avec des mesures qui n’avaient jamais été prises, par exemple, pour les auto-entrepreneurs… C’est vrai cependant que de la part du Ministère de la culture, il y a eu énormément de lenteur à réagir. Il y a quelques jours, des mesures importantes ont été mises en place. Mais ces mesures ne touchent pas tous les secteurs, notamment, le secteur de l’art qui a été un peu écarté. Ce sont des mesures qui concernent le cinéma ou le spectacle vivant, plutôt que le secteur de l’art. 


Pensez-vous que cela peut être une conséquence des aides directes proportionnées par les Communautés Autonomes, due à la distribution territoriale du pouvoir en matière de politique culturelle en Espagne ?

Je pense que les deux choses se complètent. Le secteur culturel aura besoin de mesures qui doivent être prises à tous les niveaux des collectivités territoriales. La crise est tellement forte. On dit toujours que le secteur de la culture est un secteur en crise. Effectivement, c’est un secteur qui sait surfer un peu sur toutes ces vagues de la crise. Mais, c’est vrai que, là, la crise est très forte et il faudra absolument à tous les niveaux que soit mis en place de véritables politiques culturelles pour réanimer le secteur. Je crois que cela devrait être fait aux niveaux des mairies, des provinces, des Communautés Autonomes et, aussi, du Gouvernement, bien-sûr. 


La crise du Covid-19 a provoqué une baisse des sources de financement public et privé pour les institutions culturelles. Croyez-vous qu’il existe une opportunité pour créer un nouveau modèle de financement dans le contexte actuel pour la Fábrica ? Quelles sources de financement pourraient jouer un rôle majeur dans les prochaines années ?

À La Fabrica, nous avons toujours travaillé sur un modèle d’économie mixte, à la fois de financement public et de financement privé. En général, nos projets ont à peu près un schéma de 30-35 % public et le reste privé. Le problème qui se pose pour la culture, c’est que le secteur privé n’est pas doté en Espagne d’une loi de mécénat : ce n’est pas simple de trouver du financement privé. Et la crise touche à la fois le financement public, mais aussi le financement privé. Je ne sais pas trop comment sera le Post-Covid. Je ne sais pas trop ce qui va se passer. Je pense qu’entre tous les acteurs, il faudra réagir pour qu’il y ait une relance du secteur culturel. Mais, je pense que cela passe avant tout par une relance du secteur public.


On a assisté aussi à l’implantation de politiques et d’instruments digitaux. Quelles en sont les limites par rapport au degré d’engagement des audiences sur le court terme et le long terme ?

Je n’ai pas assez de recul pour le dire. Cela ne fait que deux mois qu’on utilise des instruments digitaux. Je pense qu’on pourra avoir une analyse correcte de cette situation dans quelques mois. De toutes façons cette crise nous oblige à repenser tous les projets en fonction de nouveaux instruments effectivement digitaux. Et d’avoir un regard un peu plus approfondi sur tous ces outils qui ont l’avantage de nous ouvrir sur d’autres audiences. Mais aussi qui ont le grand inconvénient de perdre un peu ce qui est l’essence de beaucoup de nos activités, à savoir le contact avec le public. Cela nous oblige, institutions culturelles et acteurs culturels, de réfléchir avec ces nouveaux instruments. De savoir mieux les utiliser. Et quelles en seront les limites, je crois que c’est une analyse qu’on fera dans quelques mois.
 

Quelles sont les conséquences de la digitalisation sur l’organisation, le fonctionnement, la structure des institutions culturelles et la coordination entre les différents départements ? Avez-vous employé un nouveau community manager pour faire face aux défis de la digitalisation ? 

Tout ce qui est digitalisation nous a permis de continuer à travailler, malgré le confinement. Tous les outils digitaux que nous avons pu utiliser pour le télétravail, pour le lancement de projets, l'ont été au niveau national. Nous n’avons pas employé un nouveau community manager : nous en avions déjà un, qui a travaillé de façon peut-être un petit peu plus intense, ces dernières semaines. Mais, pour le moment, le panorama n’a pas vraiment encore changé pour nous. Cette digitalisation nous a permis de pouvoir continuer les projets que nous avions en place. Concrètement, de ne pas arrêter de travailler pendant deux mois. Nos cours, par exemple, au Master de Photograhie ont pu continuer avec des classes à travers des plateformes digitales. On a continué à avoir nos réunions, à monter notre travail, on a pu télétravailler de façon tout à fait normale. Nous travaillons dans un secteur où justement, ce télétravail, nous a permis de pouvoir continuer exactement à un rythme habituel. Et nous avons créé de nouveaux projets digitaux : nous allons faire plusieurs projets à travers la Web, et certaines expositions vont être 100% digitales. Nous maintenons et comptons maintenir tout un côté de présence et de rencontre entre le public, les œuvres et le travail artistique.


Le nouvel agenda culturel de l’Union européenne, pour la période 2020 accordera des aides pour la mobilité des artistes à travers de l’Europe créative. Pouvez-vous nous parler de la plateforme "Futures", dont PhotoEspaña fait partie, et des artistes qui ont été sélectionnés pour cette édition ?

Oui nous avons effectivement fait partie de deux projets de Europa Creativa. Les trois dernières années, nous travaillions sur un projet, Trans Europa, où nous étions les leaders, et qui s'est terminé l’an dernier. C’était un projet d’atelier, de lecture de porte-folios dans plusieurs villes européennes et avec un résultat qui a été très satisfaisant. Il a été réalisé surtout dans le Nord de l’Europe et dans les pays limitrophes de la Grèce. 
Concernant "Futures", nous ne sommes pas leader de ce projet, mais nous en faisons partie en tant que participant avec plusieurs institutions européennes. C’est un projet qui est en train de se réinventer du fait de la crise du Covid, parce que justement il prévoyait beaucoup de mobilité d’artistes. Pour cette édition qui coïncidait avec le mois de juin, ils sont en train d’en faire un projet plutôt digital. Concernant Photoespaña, le maintien de notre festival physique en septembre a été décidé. Nous présenterons donc une exposition des artistes que nous avons sélectionnés. 


Quelles sont implications politiques, sociales, économiques et culturelles liées au fait de faire partie du projet de l’Union européenne de mobilité d’artistes ? 

Disons que c’est une implication à la fois politique, sociale et culturelle comme vous l’avez dit. Je pense que tout ce qui peut aider à la mobilité des artistes est important, non seulement pour leur diffusion internationale, mais aussi pour l’aide à la création dans un monde globalisé, et surtout international. Et la carrière d’un artiste passe par cet aspect d’internationalisation, à la fois pour sa formation, sa production, et puis ensuite pour sa diffusion. Le rôle des institutions comme les nôtres dans l’appui à cette internationalisation est essentiel. Ce type de projet comme "Europa Creativa", nous permettent d’avoir ce volet-là dans nos actions. On peut avoir comme c’est le cas pour Photoespaña, un volet formation, avec notre Master de Photographie, notre école de photographie, PIC, et le festival de photographie Photoespaña. On travaille sur plusieurs secteurs à la fois : la formation, la diffusion, la production. Ce genre de plateforme nous aide donc aussi à développer ce côté international. Cela nous permet de la facon la plus efficace de travailler en réseaux avec différentes institutions européennes ou internationales. On ne peut plus travailler simplement tournés sur nous-mêmes.


Comment-vous vous définiriez en tant que manager culturel ? À votre avis, quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon manager culturel ?

J’aurais du mal à m’auto-définir. Je pense que les qualités pour être un manager culturel, c’est déjà de comprendre le milieu culturel, c’est-à-dire le connaître et vouloir le défendre. Et je crois que la meilleure façon de nous définir, c’est que nous sommes des médiateurs. Je pense que notre rôle est de transmettre et de nous positionner entre les artistes et le public, mais aussi d’être entre les artistes et ceux qui financent les projets culturels. De jouer ce rôle de médiateur entre différents langages pour, à la fois, permettre d’avoir plus d’audience et de pouvoir construire des projets plus "sostenibles" -j’ai trop peur du terme francais soutenables- qui soient bien montés, disons, au niveau financier. Je pense que je l’interprèterais plus comme un travail de médiateur entre différents mondes…