Contexte économique aidant, les angoisses liées à la vie professionnelle, alliées à un rythme de vie particulier, empêcheraient les Espagnols de dormir sur leurs deux oreilles. Qu'en est-il vraiment ? Éléments de réponse avec Michèle Rodriguez, psychanalyste et psychothérapeute installée à Barcelone
(Michèle Rodriguez / Photo DR)
Lepetitjournal.com : Le contexte économique a-t-il des conséquences sur le sommeil des Espagnols ?
Michèle Rodriguez : Avec la qualité de vie telle qu'elle est aujourd'hui dans les pays occidentaux, les troubles du sommeil ont tendance à augmenter partout, et pas seulement en Espagne. Mais ici, avec la crise, c'est peut-être encore plus fort, oui.
Le mode de vie espagnol, certaines pratiques, la sieste par exemple, sont-elles génératrices de troubles du sommeil ?
La sieste, c'est un lieu commun ! Les gens n'ont pas un créneau sieste au cours de leur journée de travail. Il faut distinguer deux choses. D'une part, dans le domaine festif, et principalement chez les jeunes, il peut y avoir des problèmes liées à une situation décalée, lorsqu'ils font leur nuit en deux temps, et c'est là qu'on retrouve la pratique de la sieste, pendant les week-ends et les vacances. Il y a d'autre part les troubles pathologiques, tels l'apnée du sommeil ou les "impatiences", dont on sait depuis peu que la cause est neurologique. Et puis il y a les troubles liés à l'anxiété, aux problèmes personnels. C'est là que les Espagnols se distinguent des Français. Un Français va interpréter ses troubles comme un problème médical ou psychologique et consultera un médecin ou un psy. Un Espagnol ne va pas considérer les troubles du sommeil comme une pathologie et fera avec.
Quelles conséquences peuvent avoir les troubles du sommeil ?
Elles sont multiples : problèmes alimentaires, cardiaques, fatigues chroniques, accidents du travail, difficultés scolaires, de concentration, irritabilité, somnolence, perte d'appétit? Mais pas plus en Espagne qu'en France. En France, on ira plus facilement voir le médecin. Ça n'est pas pour rien si les Français sont parmi les premiers consommateurs de psychotropes et d'anxiolytiques .
Les Espagnols consomment moins de psychotropes et d'anxiolytiques ?
Non, mais moins en rapport avec les troubles du sommeil. En Espagne, si vous êtes en deuil et donc triste, on vous met sous antidépresseurs peut-être plus facilement qu'en France. Mais les troubles du sommeil n'étant pas considérés comme un vrai problème (les Espagnols dorment moins), ils consomment moins d´anxiolytiques ou d´hypnotiques que les Français. En tant que psychanalystes, on a la certitude que les médicaments en question ne soignent pas, ils anesthésient les symptômes. Combien de gens, sous antidépresseurs pendant des années sans que leurs problèmes soient traités psychiquement, ont vu leurs problèmes de sommeil devenir chroniques !
(Photo Le guide officiel de la sieste)
Vous avez vous-même observé une augmentation des angoisses liées à la crise ?
Oui, de façon visible. Dans notre société du bonheur, il est difficile de perdre. Perdre un proche, son emploi, son pouvoir d'achat, n'est pas accepté. Les gens dans ce dernier cas le vivent beaucoup plus mal qu'il y a 15 ans. C'est aussi ça l'impact de la crise : la consommation n'est plus là pour faire oublier les problèmes. Or les Espagnols, face à un problème, préfèrent ne pas savoir, et "faire la fête"... Tandis que certains se battent pour retrouver la Mémoire Historique, l´Espagne cultive plutôt l´oubli.
Y a-t-il des symptômes propres aux Français expatriés ?
Chez les femmes d'expatriés, oui. L´expatriation peut faire surgir les symptômes, à cause de l'arrachement, de la perte de leur environnement, de leur travail. Et chez les enfants aussi, ils sont confrontés à de nombreuses séparations. Il leur est difficile de construire des relations sociales alors quand ils savent qu'ils ne restent qu´un temps donné. Chez eux, le sommeil est, avec la scolarité et l'alimentation, un des moyens d´expression de leur angoisse.
Comment se règlent les troubles du sommeil ?
Au cas par cas. Il faut commencer par considérer ça comme un problème. En cas de symptômes médicaux, voir un médecin, ne pas prendre de somnifères qui ne feront qu'assommer le patient, mais un traitement lié à la pathologie. Et si ces troubles sont liés à des angoisses, conscientes ou inconscientes, il faudrait consulter dans le domaine psy.
Propos recueillis par Bruno Decottignies (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 22 novembre 2010