Mariano Rajoy a annoncé hier, lors d'une conférence de presse convoquée en urgence au palais de la Moncloa, l'abdication du roi d'Espagne Juan Carlos Ier. Monté sur le trône en novembre 1975 à la mort de Francisco Franco, ses dernières années au Palais de la Zarzuela ont été fragilisées par une impopularité croissante, sa santé fragile et de nombreux scandales?. Ainsi s'achèvent 39 ans de règne. Annonce historique mais attendue, qu'est ce qui a finalement poussé le Roi à céder la couronne à son fils hériter ? Alors que certains crient à la nécessité d'un référendum, faisons un tour du côté des prérogatives royales.
?Le roi Juan Carlos vient de me communiquer sa volonté de renoncer au trône et d'entamer le processus de succession?, a déclaré hier le chef du gouvernement en une phrase d'ouverture lapidaire. Il a évoqué ce moment comme ?une nouvelle page de l'Histoire? du pays et a enjoint ses concitoyens à accueillir cette annonce avec sérénité et ?reconnaissance? envers la personne du Roi. Il a décrit ce dernier comme une ?figure historique étroitement liée à la démocratie espagnole?.
Rajoy annonce l'abdication du roi d'Espagne por lemondefr
D'après Mariano Rajoy, le Roi a estimé qu'il s'agissait ?du meilleur moment pour que le changement à la tête de l'Etat et la transmission de la couronne au Prince des Asturies se fasse en toute normalité?. Si le Premier ministre a insisté sur le caractère ?normal? du processus de transmission, il est pourtant difficile de ne pas y voir un événement d'ampleur historique. Pour que le prince héritier Felipe de Asturias soit proclamé roi d'Espagne, une loi organique devra permettre et officialiser la succession. Pour ce faire, un Conseil des ministres ?exceptionnel? se réunira aujourd'hui.
Partir pour laisser place ?au renouveau? générationnel
Dans un message télévisé le roi Juan Carlos a indiqué les motifs de son abdication, remise plus tôt dans la matinée à Mariano Rajoy. Il a affirmé qu'il souhaitait céder le trône à son fils, à la faveur d'une génération plus jeune. ?Mon fils à la maturité, la préparation et le sens des responsabilités nécessaires pour prendre avec toutes les garanties la tête de l'Etat et ouvrir une nouvelle étape d'espoir où seront alliées l'expérience acquise et l'impulsion d'une nouvelle génération? a-t-il déclaré. Celui qui devrait monter sur le trône d'Espagne sous le nom de ?Felipe VI? a été présenté par son père comme la figure idéale, incarnation de la ?stabilité? et de ?nouvelles énergies?, pour insuffler ?un élan de renouveau, de dépassement [et] de correction des erreurs?. Il lui reviendra de restaurer l'image écornée de la royauté.
La crise économique a joué un rôle de révélateur quant au besoin d'un changement institutionnel, a expliqué Juan Carlos avant de souligner ?elle a laissé de profondes cicatrices dans le tissu social mais elle nous montre aussi la voie vers un avenir plein d'espoir?. C'est en janvier dernier, à l'occasion de son 76e anniversaire, que le désormais septième roi démissionnaire d'Espagne aurait pris la décision d'abdiquer dans les mois à venir, ?le temps de préparer le relai?. Moins de 6 mois plus tard, c'est donc chose faite. Il a également remercié les Espagnols pour la gratitude et le soutien qu'ils lui ont témoigné tout au long de son règne. Et d'ajouter : ?j'ai voulu être le roi de tous les Espagnols (?) je veux le meilleur pour l'Espagne à qui j'ai dédié ma vie entière?.
Juan Carlos Ier Il est né à Rome en 1938, où sa famille s'était exilée. Dans les années 50, Juan Carlos fut désigné comme futur roi par Francisco Franco, à condition de faire ses preuves dans les écoles militaires espagnoles. A la mort du dictateur, en novembre 1975, Juan Carlos monte sur le trône d'Espagne. Il est considéré comme un héros de la transition post-franquiste, notamment pour avoir nommé Adolfo Suarez à la tête de l'Exécutif et avoir mené l'Espagne vers la démocratie. Le 23 février 1981, une tentative de coup d'Etat militaire fait trembler la tout jeune démocratie espagnole : c'est alors que Juan Carlos Ier, par une allocation télévisée, demande à l'armée de défendre et soutenir le gouvernement légitime et démocratique. En oeuvrant pour la transition démocratique et en protégeant ce nouveau régime, Juan Carlos Ier a joui d'une forte popularité de la part de ses sujets. Depuis son enfance le prince Felipe (CC Agência Brasil) est pressenti pour prendre la place de son père : dernier des trois enfants mais fils unique de Juan Carlos 1er et de Sofía de Grèce, son éducation l'a préparé à monter sur le trône. Si l'héritier du trône âgé de 48 ans a suivi une formation militaire principalement dans la Marine, il est également diplômé de Droit à Madrid et a effectué un master de relations internationales dans la prestigieuse université de Georgetown, à Washington. Contrairement à son père, Felipe VI jouit d'une forte popularité en raison de son style de vie et de ses engagements caritatifs. Il a dépoussiéré l'image de la couronne en épousant en mai 2004 l'ex-journaliste Letizia Ortiz Rocasolano, roturière divorcée. De cette union sont nées deux filles : l'Infante Leonor de Borbón y Ortiz et sa benjamine Sofía. |
Poussé dehors par son impopularité ?
Il avait apporté sa pierre à l'édifice de la démocratie, construisant sa popularité sur son rôle dans la transition post-franquiste et sa capacité à construire le changement institutionnel, rappelle l'AFP. Mais cela n'aura pas suffi à empêcher aux récentes affaires de venir ternir la fin de son règne, éclaboussant la couronne. Fragilisé depuis quelques années par des scandales à répétition, le Roi laisse une royauté tourmentée à un fils qui a su rester à l'écart des débordements. A l'origine des ?erreurs? dont parle le Roi dans son discours, une partie de chasse à l'éléphant au Botswana et plus récemment l'affaire Iñaki Urdangarin, gendre du roi et époux de l'infante Cristina, autour d'un détournement présumé de fonds publics. Ou encore les rumeurs d'une liaison avec l'ancienne princesse allemande Corinna zu Sayn-Wittgenstein.
Les réactions : entre surprises, pressentiments et opportunisme
Si son abdication était attendue, elle a tout de même surpris bon nombre d'Espagnols, dont son propre entourage, rapporte El País. ?C'est vrai qu'il a été profondément affecté par le scandale avec Corina et était sur le point de jeter l'éponge afin de vivre comme il le voulait, et avec qui il voulait, les dernières années de sa vie, mais il ne l'a jamais fait et a toujours dit qu'il mourrait en étant Roi? a affirmé José Ortega, un proche de la famille royale.
François Hollande s'exprime
"Juan Carlos a incarné l'Espagne démocratique, à la naissance de laquelle il a pris une part déterminante. Artisan de la Transition après la dictature franquiste, il a mené son pays sur le chemin des libertés civiles et politiques, de l'intégration européenne et de la modernité", a déclaré hier le Président français.
Si le Parti Populaire soutient la succession de Felipe d'Asturies, les partis comme Izquierda Unida (IU), Podemos et Equo ont saisi l'occasion pour réclamer un référendum sur la monarchie. De fait, pour une frange de la jeune génération espagnole, la royauté n'est plus obligatoirement une évidence. "De nouveaux horizons s'ouvrent. Nous avons le devoir moral de ne pas nous taire. D'exiger une profonde réforme constitutionnelle", a ainsi déclaré Nino Torre, le secrétaire général des jeunes du PSOE. Le chef de file de Podemos Pablo Iglesias a affirmé peu de temps après la déclaration de Mariano Rajoy : "Nous avions dit que l'issue des élections du 25 mai révélait la putréfaction du régime de 78. Cette annonce a accéléré cette décomposition". Et d'ajouter : ?C'est le moment du changement démocratique?. Il a également appelé le PSOE à ne pas s'allier au Parti Populaire pour empêcher l'application de la loi Organique sur la succession, considérant que ?si le gouvernement estime que Felipe remporte la confiance des citoyens, qu'il invite les gens à voter". "Nous ne voulons pas d'une monarchie imposée par un dictateur. Pour la Troisième République", a posté Marina Albiol, député européenne de la coalition de gauche (IU), sur Twitter. Son coordinateur, Cayo Lara est apparu devant le drapeau tricolore républicain lors de son discours télévisé, affirmant qu'il est ?l'heure que le peuple décide et s'exprime?. Depuis la France, Jean-Luc Mélenchon a appelé à la mise en place de la 3e république espagnole.
De leur côté, les réactions sur les réseaux sociaux n'ont pas tardé à pleuvoir. Les esprits républicains ont ressorti le drapeau de la 2nde République espagnole. Sur Twitter, le duel entre royalistes et républicains s'est dessiné autour de deux mots-clés #VivaElRey pour les premiers contre #ReyAbdica pour les seconds. Des tweets comme ?nous ne voulons ni de toi ni de ton fils? Référendum maintenant? (d'@edugc_ainur) ou encore l'utilisation du #APorLaTerceraRepublica (?Pour la troisième république?) ont ainsi côtoyé les remerciements adressés au Roi. La satyre était de mise et certaines vidéos circulant sur les réseaux se sont fait les commentateurs de cette journée historique.
Mais le Roi, il sert à quoi ? L'Espagne étant une monarchie constitutionnelle, le Roi règne en monarque constitutionnel sans avoir de réels pouvoirs, explique le site Pouvoir Royal. Il est avant tout un symbole d'unité incarnant l'Etat espagnol et représentant le peuple. Il est chargé d'arbitrer le fonctionnement des institutions étatiques et selon la constitution de 1978, il possède également la fonction de commandant en chef des armées. Considéré comme étant au dessus des partis, c'est à lui que revient la charge de proposer un candidat à la présidence du gouvernement. Mais le parlement espagnol conserve le dernier mot et la fonction de donner ou non sa confiance au candidat. Le roi d'Espagne est présenté par la constitution comme un ?arbitre? et un ?modérateur? dont la fonction consultative est loin des arcanes exécutifs et législatifs du pouvoir. |
Laura LAVENNE (www.lepetitjournal.com ? Espagne) mardi 3 juin 2014
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