Cinq mois après la panne qui a plongé l’Espagne et le Portugal dans le noir, un rapport européen livre ses premières conclusions. Ni sabotage, ni excès de renouvelables : le 28 avril, une série de surtensions incontrôlées a révélé les fragilités d’un réseau électrique ibérique à la limite de la rupture.


Midi trente-trois, le 28 avril. En Espagne comme au Portugal, les écrans s’éteignent, les feux de signalisation se figent, les réseaux tombent. En quelques minutes, une surtension venue du sud fait vaciller tout le système électrique ibérique. Cinq mois plus tard, la Réseau européen des gestionnaires de transport d’électricité (ENTSO-E) livre un rapport préliminaire sur ce que les experts qualifient désormais de panne la plus grave survenue en Europe depuis vingt ans.
Une panne inédite en Europe
L’enquête écarte l’hypothèse d’une défaillance de production ou d’une dépendance excessive aux énergies renouvelables. À l’origine, une succession de fluctuations de tension, puis une réaction en chaîne de déconnexions automatiques qui ont échappé à tout contrôle. Les mesures d’urgence mises en œuvre pour stabiliser le système — notamment la réduction des exportations vers la France — n’ont pas eu l’effet escompté, accentuant la surtension et précipitant l’effondrement du réseau.
« Ce qui s’est passé est totalement nouveau », a reconnu Damián Cortinas, président d’ENTSO-E. « Le problème ne vient pas des renouvelables, mais du manque de contrôle de la tension. Nous devons disposer de moyens de régulation comparables à ceux de la production classique. Ce type de surtension en cascade, menant à une panne totale, n’avait jamais été observé en Europe. »
Une onde de choc à l’échelle ibérique
Tout est allé très vite. En quelques secondes, le sud de l’Espagne a vu des installations solaires, thermiques et éoliennes se déconnecter en série. Moins de vingt secondes plus tard, 2,5 gigawatts de production renouvelable avaient disparu du réseau. Les interconnexions avec le Maroc et la France ont sauté à leur tour, aggravant la panne.
L’impact a été immédiat : la péninsule entière s’est retrouvée sans électricité, les connexions internet et la téléphonie mobile tombant simultanément. Seules les Baléares, les Canaries, Ceuta et Melilla ont été épargnées.
Le jour où tout s’est éteint en Espagne : récits d'une journée inoubliable
Le rôle contesté de Red Eléctrica
Le rapport d’ENTSO-E ne cherche pas à désigner de coupables, mais il pointe plusieurs décisions qui ont, selon lui, aggravé la crise. L’opérateur national Red Eléctrica (REE) avait prévu de maintenir en service une centrale à gaz, « Térmica 4 », pour stabiliser la tension en Andalousie occidentale. La veille du blackout, l’unité a été mise à l’arrêt pour un problème technique — sans qu’aucune autre ne soit activée en remplacement.
Le lendemain matin, REE a estimé qu’une seconde centrale de réserve (« Térmica 5 ») n’était pas nécessaire. Lorsque les premières oscillations ont été détectées, l’entreprise a tenté d’en connecter une autre équipée d’un dispositif de régulation (PSS). Mais la synchronisation n’aurait pu intervenir avant 14 heures, bien trop tard pour enrayer la chute du réseau.
Dans l’urgence, REE a réduit les exportations vers la France, reconfiguré certaines lignes et modifié le fonctionnement du lien électrique franco-espagnol. Des mesures qui ont atténué les oscillations, reconnaît ENTSO-E, mais qui ont aussi contribué à accroître la tension générale sur le réseau ibérique — jusqu’à l’effondrement.
Une enquête encore ouverte sur les failles du réseau européen
L’analyse, menée par un panel de 45 experts européens, s’est appuyée sur une quantité exceptionnelle de données, parfois difficiles d’accès pour des raisons de confidentialité. Le rapport final, attendu au premier trimestre 2026, doit approfondir les causes de l’incident et formuler des recommandations pour renforcer la résilience du réseau électrique européen.
Pour la Commission européenne, l’épisode marque un tournant. Le commissaire à l’Énergie, Dan Jørgensen, estime que « le système énergétique européen fait face à de nouveaux défis » et appelle à « tirer les leçons de cet incident pour éviter qu’il ne se reproduise ».
Les conclusions d’ENTSO-E sont sans appel : la panne du 28 avril n’a pas été causée par les renouvelables, mais par un enchaînement de défaillances dans le contrôle de la tension. Un rappel brutal que la modernisation du réseau européen avance plus vite que sa capacité à se protéger.
Sur le même sujet

















