Le 28 avril, l’Espagne vacille : plus de courant, plus de repères. Dans la capitale, Leila, expatriée, raconte sa journée à l’arrêt. Une chronique entre talons sur pavés, radios à piles, et réflexions sur notre fragile confort moderne.


Ce lundi 28 avril avait pourtant commencé comme un lundi typique (oui, même expatriée à Madrid, on peut connaître la routine !) : au bureau, entre réunions et cafés avec les collègues. Puis, à 12h40, survient la panne de courant. On le prend sur le ton de l’humour (deux mois plus tôt, nous avions déjà connu une panne similaire). Pourtant, au bout de vingt minutes et sans retour du courant, on s’aperçoit que quelque chose cloche. Travaillant dans le secteur des énergies renouvelables, nous sommes rapidement informés qu’il s’agit d’une panne à l’échelle nationale, affectant aussi certains pays frontaliers. Avant que mon réseau ne fasse des siennes, j’ai juste le temps de contacter ma mère à Paris, qui m’assure que tout fonctionne parfaitement de son côté.
Madrid débranchée
Une heure s’est écoulée depuis la coupure. Au bureau, on se regarde, un peu désœuvrés. On vérifie tout de même que personne n’est coincé dans les ascenseurs et, après concertation, on décide de rentrer à la maison. Ayant la chance de vivre dans le centre de Madrid, mon retour se fera à pied. Pour la petite touche comique : cela devait évidemment arriver le jour où j’avais décidé de porter des talons !
Malgré tout, ce retour à la maison est ponctué de scènes qui ont des airs d’école buissonnière : des conducteurs qui circulent sans feu de signalisation mais avec vigilance et courtoisie, des gens attablés en terrasse de bars et restaurants également impactés, un air de dolce vita malgré tout. Certains commerces mettent leur radio à piles à disposition afin que chacun puisse suivre l’actualité.
Il convient tout de même de préciser que le beau temps y était pour beaucoup. Par temps de pluie, les scènes auraient sans doute été très différentes. Aussi, je pense que, foncièrement, chacun imaginait que la panne ne durerait que quelques heures. En revenant sur le déroulé de cette journée, je m’aperçois que je suis passée par différentes phases :
Quatre phases et une coupure : ce que m’a appris une journée sans électricité
La phase de positivisme/relativisme : la combinaison de la joie de vivre espagnole et du beau temps m’a permis de dédramatiser la situation. Après tout, une déconnexion imposée n’est peut-être pas une si mauvaise chose dans ce monde hyperconnecté. Au contraire, je suis témoin d’un regain de lien social et de solidarité dans les rues, avec cette ambiance festive de quartier. Constat ou déni ? À vous d’en juger.
La phase pratique/stratégique : au fil des heures, des questions très concrètes surgissent. Ai-je de quoi me nourrir sans cuisson ? De l’argent liquide pour payer ? De quoi m’éclairer (bougies, lampe torche) ? Une batterie portable ? On réalise les limites de notre mode de vie insouciant et notre tendance à tout prendre pour acquis. En Espagne, le paiement sans contact est très répandu : je n’ai presque jamais d’espèces sur moi. Par chance, ce jour-là, un billet qui traînait dans mon sac m’a bien dépannée. Je commence à me créer une liste de tâches… avec, en tête, passer chez Leroy Merlin pour acheter une lampe torche !
La phase de micro-panique : le soleil commence à se coucher, comme l’espoir d’un retour rapide à la normale. J’ai un voyage prévu le lendemain et aucun moyen de savoir si mon vol est maintenu ou annulé. J’allume quelques bougies, je prépare ma valise “au cas où”, et je me mets à bouquiner.
La phase d’acceptation/résignation : 23h. Avec un réseau téléphonique qui va et vient, j’apprends par des amis que le courant est revenu dans plusieurs quartiers… sauf le mien, visiblement. Consciente que je n’ai aucun contrôle sur la situation, je décide d’aller me coucher, en espérant que tout rentrera dans l’ordre pendant la nuit et que je pourrai rejoindre l’aéroport le lendemain matin.
23h30 : Résignée et sur le point de m’endormir, j’entends soudain des cris et des applaudissements. Fiat lux ! Le courant revient, et avec lui le soulagement.
Mine de rien, cette journée anormale a été riche, source d’un mélange d’émotions. Il est temps de se reposer avant de reprendre un rythme “normal”. Mais cette coupure a été une bonne piqûre de rappel : ce que l’on tient pour acquis peut disparaître en un instant. Et, sans sombrer dans une panique façon pandémie Covid, il est peut-être sage de toujours disposer de quelques alternatives en réserve… au cas où.
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