C’est l’histoire d’une ascension fulgurante… suivie d’une chute vertigineuse. "Emilia Pérez", la dernière comédie musicale de Jacques Audiard, avait tout pour décrocher la lune : une intrigue originale, un casting flamboyant et treize nominations aux Oscars, un record pour un film non anglophone. Mais à moins d’un mois de la cérémonie, le rêve tourne au cauchemar. Emilia Pérez ne fait plus la une pour son succès, mais pour une double polémique : d’un côté, des tweets racistes de l'Espagnole Karla Sofía Gascón, son actrice principale, refont surface ; de l’autre, une accusation d’appropriation culturelle qui hérisse le Mexique, où se déroule pourtant l’intrigue. Face à cette vision jugée caricaturale, la riposte ne s’est pas fait attendre : un court-métrage satirique mexicain, "Johanne Sacreblu", tourne en ridicule le regard européen sur l’Amérique latine et connaît un succès fulgurant. Une consécration annoncée qui vire à la controverse généralisée… et à une revanche par l’humour.


Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Emilia Pérez, la dernière comédie musicale de Jacques Audiard, avait tout d’un phénomène : un narcotrafiquant en quête de rédemption qui orchestre sa propre disparition pour entreprendre une transition de genre, une mise en scène flamboyante, un casting étincelant… et surtout un exploit historique. Avec treize nominations aux Oscars 2025, le film devenait le long-métrage non-anglophone le plus nommé de l’histoire de la prestigieuse cérémonie.
Dès sa projection à Cannes, Emilia Pérez avait électrisé la Croisette, décrochant le Prix du Jury et propulsant l'actrice espagnole Karla Sofía Gascón au rang de première femme trans à remporter un Prix d’interprétation féminine. Hollywood, sous le charme, lui avait ensuite déroulé le tapis rouge : quatre Golden Globes, des critiques dithyrambiques, une route royale vers les Oscars.
Mais ce qui s’annonçait comme une apothéose tourne au désastre médiatique. Entre les révélations de tweets racistes de son actrice principale et les accusations d’appropriation culturelle, le film s’est attiré les foudres d’une partie du public. Et la réponse la plus mordante est venue du Mexique lui-même : avec son court-métrage Johanne Sacreblu, la réalisatrice Camila Aurora González a décidé de retourner le miroir en caricaturant, à son tour, les clichés français. Une satire grinçante qui, en quelques semaines, a pris des allures de phénomène viral.
L’affaire de l'actrice espagnole Karla Sofía Gascón
La tempête médiatique éclate fin janvier, lorsque d’anciens tweets de Karla Sofía Gascón, sont exhumés sur le réseau social X. Des messages, publiés entre 2020 et 2021, aux propos sans équivoque envers les musulmans, les afro-américains et George Floyd. Ainsi, en 2020, entre deux posts anodins, l’actrice s’indigne de la présence musulmane en Espagne : “Quand je vais chercher ma fille à l’école, il y a de plus en plus de femmes voilées et en longues jupes. L’année prochaine, on enseignera l’arabe à la place de l’anglais.” Et un autre tweet de qualifer l’Islam de “foyer d’infection pour l’humanité, qu’il est urgent de soigner.”
Gascón s’attaque aussi à George Floyd, dont la mort avait provoqué un séisme mondial, en le qualifiant d’”escroc toxicomane.” En 2021, les Oscars n’échappent pas non plus à ses remarques acerbes : “Les #Oscars ressemblent de plus en plus à une cérémonie de films indépendants et contestataires, je ne savais pas si je regardais un festival afro-coréen, une manifestation Black Lives Matter ou la journée internationale des droits des femmes. À part ça, c’était un gala très moche.”
Des propos qui suscitent l’indignation
Les réactions au sein de l’industrie sont immédiates. Le ministre espagnol de la Culture, Ernest Urtasun, déclare que ces tweets ne reflètent pas les valeurs du pays. Zoe Saldaña, partenaire de Gascón dans le film, se dit "triste et déçue." Quant à Jacques Audiard, il condamne des propos "inexcusables", "absolument détestables et qui méritent d'être détester" et admet ne pas avoir parlé à son actrice depuis la polémique.
Face au tollé général, Karla Sofía Gascón publie des excuses dans Variety, affirmant qu’elle regrette ses propos et qu’elle a "toujours lutté pour un monde meilleur." Mais à Hollywood, les remords ne suffisent pas toujours à rattraper le passé. Netflix, distributeur du film, coupe aussitôt les ponts en l'excluant de la campagne de promotion des Oscars. Karla Sofía Gascón n'a d'ailleurs pas assisté aux prix Goya célébrés à Grenade ce 8 février.
Clichés, stéréotypes et eurocentrisme… Emilia Pérez sous le feu des critiques
Si les tweets de Karla Sofía Gascón ont suffi à plomber l’image du film, ils ne sont pourtant pas les seuls à alimenter la tempête médiatique. Depuis sa révélation à Cannes, Emilia Pérez fait face à des critiques sur la manière dont il représente le Mexique. Le film est accusé de caricaturer la culture mexicaine, en ayant été entièrement tourné en France et écrit par un réalisateur ne parlant pas espagnol. Certains critiques ont même ironisé en affirmant que le long-métrage semblait avoir été écrit "avec Google Translate".
L’autre point qui fâche ? Le traitement de la guerre des cartels. Sujet brûlant au Mexique, il est ici transformé en comédie musicale, un choix qui passe mal. Le scénariste mexicain Héctor Guillén résume le malaise en une phrase lapidaire sur les réseaux sociaux : “500.000 morts, et la France décide d’en faire une comédie musicale. Aucun Mexicain dans l’équipe du film.” Une vision perçue comme eurocentrée, totalement déconnectée de la réalité locale.
Johanne Sacreblu : la revanche mexicaine
Mais la réponse la plus mordante ne vient pas des critiques, elle vient d’un film. Depuis le 25 janvier, Johanne Sacreblu, un court-métrage satirique signé Camila Aurora González, connaît un succès fulgurant. Le principe ? Appliquer à la France la même recette que Emilia Pérez a infligée au Mexique.
L’histoire suit une femme transgenre, héritière de l’empire des baguettes, qui tombe amoureuse d’un jeune roi des croissants en pleine ascension. Truffé de clichés sur les Français – marinières, camemberts, grèves, hygiène douteuse – Johanne Sacreblu illustre ce que les Mexicains reprochent à Emilia Pérez : une vision caricaturale d’un pays, filtrée à travers un prisme étranger. Le succès du film est fulgurant. Tant et si bien que Camila Aurora González a annoncé qu’elle allait transformer Johanne Sacreblu en long-métrage, avec plus de scènes absurdes et une satire encore plus mordante.
Une actrice rattrapée par ses tweets, un pays qui se moque et un court-métrage qui prend sa revanche… À ce stade, Emilia Pérez ressemble moins à une comédie musicale qu’à une tragédie shakespearienne. Reste à savoir si les Oscars trancheront en faveur du drame ou de la farce.
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