Édition internationale

À Madrid, un Picasso disparu retrouvé dans la loge d’une concierge

Pendant vingt jours, Nature morte à la guitare, un petit Picasso de 1919 estimé à 600.000 euros, a sommeillé dans la loge d’une concierge madrilène. Dolores, 69 ans, pensait simplement avoir mis de côté un colis oublié par un voisin. Jusqu’au jour où la police, soupçonnant un vol international, a frappé à sa porte.

le picasso disparu à Madridle picasso disparu à Madrid
Fragment de Naturaleza muerta con guitarra', 1919, de Pablo Picasso, DR.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 31 octobre 2025, mis à jour le 5 novembre 2025

Le 3 octobre, à Madrid, Dolores remarque un paquet posé contre la grille de l’immeuble où elle veille depuis plus de vingt ans, dans le quartier tranquille de Chamartín. Aucun nom, un emballage soigné : rien de suspect, rien d’exceptionnel.
« Je croyais que c’était un miroir ou un colis Amazon », sourit-elle aujourd’hui, un peu gênée.

Par réflexe, elle dépose l’objet dans sa loge exiguë — deux mètres carrés saturés de journaux, de bons de livraison et de clés de voisins — avant de passer à autre chose. Quelques jours plus tard, une voisine se plaint d’un paquet manquant. Dolores repense à celui qu’elle a mis de côté. Mais avant même qu’elle ne puisse le signaler, la police frappe à sa porte.
 

 

Un Picasso dans le hall d’un immeuble à Madrid

Depuis une dizaine de jours, la police espagnole cherchait désespérément Nature morte à la guitare, un petit Picasso de 1919, à peine plus grand qu’une carte postale — 12,7 sur 9,8 centimètres —, volatilisé entre Madrid et Grenade. Les enquêteurs penchaient pour la piste d’un vol international.

L’œuvre, estimée à 600.000 euros, se trouvait pourtant à deux pas de là, sagement rangée dans le hall d’un immeuble madrilène. « Le colis n’était pas à moi, je n’avais aucune raison de l’ouvrir », raconte Dolores sur Telecinco, encore incrédule. « C’était un paquet comme un autre. Jamais je n’aurais imaginé qu’il contenait un Picasso. »


 

Dix policiers, une loge et un malentendu

Le 22 octobre, une dizaine de policiers frappent à la porte de la loge. Dolores et son mari Armando, 71 ans, sont séparés, interrogés pendant des heures sur leurs allées et venues, leurs habitudes, leurs voisins. « J’ai eu très peur, je commence à peine à m’en remettre », confie la concierge. Le couple, d’origine péruvienne, est encore soupçonné d’appartenir à un réseau international de voleurs d’art — une hypothèse nourrie par un malencontreux hasard : quelques jours plus tôt, un vol de bijoux secouait le musée du Louvre. L’absence de traces du tableau faisant le reste…

Au terme de l’enquête, la police finit par lever le doute : pas de cambriolage, pas de bande organisée. Le Picasso n’avait jamais quitté l’immeuble. Il avait simplement été oublié là, dans le hall, entre deux livraisons.

Peinte à la gouache et à la mine de plomb sur papier, Nature morte à la guitare devait être exposée à Grenade dans l’exposition Bodegón. L’éternité de l’inerte. Malgré ses modestes dimensions, cette œuvre est considérée comme l’un des premiers exemples du cubisme, où Picasso explore les formes géométriques pour représenter la réalité. 


 

Le jour où un chef-d’œuvre a volé sa tranquillité

L’histoire pourrait prêter à sourire, un simple quiproquo digne d’une comédie, si elle n’avait pas bouleversé la vie de Dolores et d’Armando. « Nous sommes des gens honnêtes, nous n’avons fait que travailler toute notre vie », répète-t-elle à El País. « Maintenant, je ne ramasse plus aucun colis, même s’il allait exploser. »

Ce geste banal — mettre de côté un paquet oublié — les a propulsés, bien malgré eux, au cœur d’une enquête internationale et d’un déluge médiatique. Le tableau a depuis retrouvé ses propriétaires, qui assurent leur reconnaissance envers le couple. Mais pour Dolores, le soulagement reste teinté d’amertume : « Je veux juste que mon nom soit lavé, et qu’au Pérou, personne ne pense que j’ai voulu voler un Picasso. » Dans sa loge minuscule, entre journaux et clés de voisins, Dolores rêve simplement de retrouver la tranquillité qu’un chef-d’œuvre lui a volée.
 

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