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La Guardia Civil : une brève histoire de la Benemérita

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Membres de la Guardia civil, en 1922
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 9 juin 2020, mis à jour le 9 juin 2020

La semaine dernière, la porte parole du gouvernement, la socialiste Maria Montero, a réaffirmé la confiance de l’Exécutif envers la Guardia Civil. La Benemérita, de son surnom, est, dans ce contexte de crise sanitaire, au centre de l’actualité. Il faut dire que les liens entre le pouvoir politique et la Guardia Civil sont anciens, complexes et parfois conflictuels.

Retour sur l’histoire de l’institution au costume kaki et au tricorne qui, en cent cinquante ans d’existence, a suivi les intenses soubresauts de l’Espagne contemporaine. 

 
Une naissance dans le fracas du XIXe siècle 

Le milieu du XIXe siècle est une période particulièrement agitée en Europe. L’Espagne ne fait pas exception, ce qui pousse les dirigeants, inquiets pour leur longévité au pouvoir, à garantir  l’ordre et la sécurité. L’armée régulière ne peut à elle seule remplir une fonction intérieure qui n’est, en théorie, pas la sienne et la police est affectée au milieu urbain. Pourtant, les campagnes de la Péninsule grondent souvent et sont le terrain de chasse des bandits.

C’est pourquoi, sous le règne d’Isabelle II, un nouveau corps de sécurité est créé : la Guardia Civil. Il s’agira d’une force de police au service du pouvoir civil. En l’occurrence au service du général Narvaez, président du gouvernement et ministre de la guerre : la séparation entre le politique et le militaire n’est pas à l’ordre du jour. 

Il en va de même pour la toute nouvelle Guardia Civil. Il s’agit, à l’instar de la gendarmerie française dont Narvaez ce serait d’ailleurs inspirée, d’une institution militaire. C’est ainsi, logiquement, un militaire qui la mettra véritablement en place : le duc d’Ahumada est le véritable fondateur de ce corps. Ce dernier a des idées assez précises afin que cette nouvelle force soit efficace et opérationnelle : il insiste notamment ainsi sur la nécessité de fournir à ces membres des salaires suffisamment élevés pour éviter la corruption mais aussi sur l’alphabétisation des hommes ainsi que leur bonne réputation.  Ahumada sera le premier Inspecteur Général de la garde.

Les premiers temps sont agités, l’époque étant à l’éclosion ça et là de rébellions et complots contre la jeune monarque Isabelle II. La Guardia Civil est ainsi sur tous les fronts : en plus de lutter contre le banditisme qui gangrène les campagnes, elle doit aussi mater les agitations populaires et éteindre les complots politiques. Les méthodes répressives fermes de la garde lui attirent applaudissements et critiques. Cela sera une constante dans son histoire.
 
Son rôle ne se limitant pas à la répression, la Guardia Civil apporte son appui opérationnel dans la crise du choléra en 1865 ou pendant le tremblement de terre à Grenade à la fin du siècle.
 

Dans les troubles de la guerre civile

Le XXe siècle n’est pas plus apaisé que le précédent. Les régimes sont font et se défont. Révoltes et révolutions sont monnaies courantes. Comme l’armée et les forces de police, la Guardia Civil suit et s’adapte aux commotions d’une époque agitée. Elle gagne en 1929 son surnom de Benemérita : elle reçoit cette année-là la Grande Croix de l’Ordre Civil de la Bienfaisance pour ces actions de secours au service de la population.

Lorsque la guerre civile espagnole éclate, en 1936, la Guardia Civil est, à l’image de la société toute entière, divisée entre soutien au gouvernement républicain et adhésion au coup d’Etat militaire franquiste.  Selon les historiens, les effectifs sont partagés à moitié. 

Toujours est-il que l’Inspecteur Général de la Benemérita, Sebastián Pozas, reste fidèle au gouvernement légitime de l’Espagne. Cette Guardia Civil loyaliste change alors de nom : ce sera la Garde Nationale Républicaine. 

Après la victoire des troupes du général Franco et sa mainmise assurée sur le pays, la Guardia Civil est rétablie, réorganisée et purgée des derniers éléments suspects. Un budget conséquent lui est alloué. A ses missions traditionnelles de force de police, lui est ajoutée une tâche essentielle pour le nouveau régime : la traque des dissidents républicains dans les campagnes et maquis. La Benemérita remplit cette mission méthodiquement et les dernières proches de résistance sont neutralisées au début des années 1950. 

Enfin, la modernisation des moyens de communication suivant son cours, le gouvernement confie à la Guardia Civil le contrôle du trafic routier qui reste aujourd’hui, à l’instar de notre gendarmerie, une de ses missions les plus visibles par les citoyens.  
 

Le défi terroriste

Entre 1968 et 2011, le groupe terroriste ETA  a tué près de 900 personnes. La majorité de ces crimes ont été commis après la fin de la dictature et les forces de sécurité, singulièrement visées comme représentantes de l’Etat espagnol honni, payèrent un très lourd tribut. En 1987, un attentat proche d’une caserne de la Guardia Civil fait onze morts dont quatre enfants.

La lutte contre les terroristes sera une mission clef de la Benemérita pendant ses années sombres. Ainsi une Unité Antiterroriste Rurale est créée en son sein dès 1978. La Guardia Civil aura une influence déterminante dans la fin des attaques d’ETA.

 
Une institution habituée des controverses

Remise en contexte. Quand elle naît, la Guardia Civil est la nouvelle institution policière d’une Espagne où l’appareil militaire joue un rôle fondamental dans les affaires du pays. L’armée peut faire et défaire les gouvernements et elle le prouvera à plusieurs reprises. D’ailleurs, la Benemérita sera parfois associée à ces changements radicaux : c’est le cas en 1854 où son commandant Manuel Buceta participa activement au putsch. 

Par ailleurs, la Guardia Civil est envoyée par les dirigeants pour mater un certain nombre de grèves et manifestations qui éclosent massivement à la charnière entre les XIXe et XXe siècle.  Les méthodes employées, parfois brutales, attiseront de la part de la classe ouvrière et de la gauche naissante par extension, une méfiance et même une hostilité à l’égard de l’institution. La garde se retrouve accusée par ses détracteurs d’assassiner des opposants et de monter de fausses affaires criminelles pour réprimer à bon compte. La mauvaise image de la Guardia Civil sera savamment entretenue par certains dissidents, artistes et écrivains forcés de s’exiler en dehors d’Espagne. L’institution est alors présentée comme fourmillant de gardes vicieux, réactionnaires et violents.

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Copie d'écran Youtube


Plus récemment, une affaire eut un retentissement extraordinaire dans l’Espagne post franquiste : celle du coup d’Etat manqué du 23 février (ou 23F) 1981. Cette tentative de putsch fit revenir sur le devant de la scène la Guardia Civil. Une publicité dont elle se serait bien passée. 

En effet, un des siens, le lieutenant-colonel Antonio Tejero, fut un des protagonistes de la conspiration du 23-F. L’événement, qui consista notamment en l’attaque du Congrès des Députés (notre Assemblée nationale), fut filmé. Apparurent alors, sur les télévisions du monde entier, les images du garde civil, sa moustache et son tricorne, tirant en l’air dans le Parlement retenu en otage. Une image désastreuse pour l’institution qui en pâtit encore de nos jours. 


Controverse aux temps du Coronavirus

Quelques décennies plus tard, les controverses ne sont pas terminées pour la Guardia Civil. En pleine crise du Coronavirus, les passes d’armes entre le gouvernement et la Benemérita ont abouti au renvoi du colonel Pérez de los Cobos, chef de la garde de la région de Madrid.

Ce dernier est tenu responsable d’avoir fait fuité une partie du rapport que sa hiérarchie préparait sur les conséquences de la manifestation féministe du 8 mars au début de la crise sanitaire. Le limogeage de Pérez de los Cobos a entraîné une intense polémique, toujours en cours, entre le gouvernement et l’opposition de droite, traditionnellement favorable à la Benemérita. Au sein même de la coalition gouvernementale, si les ministres socialistes, à l’image de la porte-parole, affichent leur soutien à l’institution au tricorne, les membres d’Unidas Podemos sont bien plus critiques envers une Guardia Civil dont ils se méfient davantage. 

La Guardia Civil, après cent cinquante ans d’une histoire mouvementée n’a pas encore fini de faire parler d’elle et d’attiser admiration, méfiance ou hostilité.


 
 

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