

Juliette Binoche (Paris, 1964), une des actrices françaises les plus internationales, a joué dans des films essentiels du cinéma d'auteur européen comme ?Trois couleurs, bleu? (Krysztof Kieslowski), ?Caché? (Michael Haneke) ou ?Fatale? (Louis Malle). Binoche a aussi participé à des films commerciaux comme ?Le patient anglais? d'Anthony Minghella, qui lui a valu l'Oscar à la meilleure actrice, ou ?Chocolat? de Lasse Hallström. Primée dans les principaux festivals de cinéma du monde et ayant gagné aussi plusieurs Césars, Juliette Binoche est venue, pour la première fois en Espagne pour parler d'un film : ?Nadie quiere la noche? d'Isabel Coixet où elle interprète le personnage de Joséphine Peary qui, en 1908, voyagea au Pôle Nord à la recherche de son mari, l'explorateur Robert Peary.
Lepetitjournal.com :Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce rôle et dans ce film ?
Juliette Binoche (photo lepetitjournal.com) : La situation est extrême dans le film et je trouve que l'humanité va vers l'extrême aussi. Il me semblait important de raconter cette histoire qui est la nôtre, car on va dans le noir. Il faut faire un retournement essentiel intérieur, qui est celui de l'amour. Il faut embrasser son ennemi, l'opposé qui est au fond de nous. L'histoire symbolise pour moi très bien ce retournement fondamental que nous devons faire. C'est un film d'urgence. Même si ça a été un film difficile à faire sur le plan financier, sur le plan des studios? Dans l'essence même du film, il y a quelque chose de nécessaire. Isabel et moi ça fait un moment qu'on se connaît et on avait envie de travailler ensemble. Son amour pour l'être humain fait que j'ai dit oui. J'étais prête pour l'aventure.
Comment a été votre ?voyage? interprétatif ?
D'abord il a fallu avoir beaucoup d'imagination parce que nous avons quand même fini de tourner à Tenerife et en plein mois de juin ! Mais le froid est quelque chose qui se crée. Cela fait partie des méandres et de l'aventure des acteurs de devoir s'adapter et de s'imaginer l'impossible. On a tourné aussi en Norvège où on a senti l'espace. Au fur et à mesure du tournage, on est allés aux studios en Bulgarie et on a commencé à être plus à l'étroit. Et, à la fin, on a tourné à Tenerife dans l'igloo. C'est vrai que la situation physique aide beaucoup à la situation intérieure que doivent vivre les personnages. Vers la fin du film, j'ai même fait un régime ! Au fur et à mesure du tournage, c'est vrai qu'il y avait quelque chose de très dur émotionnellement... Plus que je ne pensais. J'ai fait d'autres films durs émotionnellement comme ?Camille Claudel?, mais celui-ci a été très éprouvant. Peut-être parce qu'il y avait ce côté physique. Un mois après la fin du tournage, j'étais toujours émotionnellement dans le film, alors que ça ne m'arrive pratiquement jamais. Mais, ce qui m'a plu dans l'histoire c'est de commencer à une extrémité et de finir à une autre. C'est une femme qui part de l'orgueil, de la suprématie de l'homme blanc, et arrive à l'humilité la plus extrême. Les personnages extrêmes m'intéressent car c'est là qu'on voit qui on est vraiment. Ce sont eux qui nous permettent comme spectateur de voir l'impossible.
Quel type de femme est Joséphine, votre personnage ?
Au début, elle croit avoir une force suprême qui va la faire passer toutes les montagnes de glace. Elle croit à son pouvoir comme si elle avait un dieu perché quelque part qui va l'aider. Ce qui est magnifique c'est aussi l'idée de retrouver son mari, cette figure de proue, qu'elle n'a pas vu depuis des années. Ce couple, c'était comme le Brad Pitt et l'Angela Jolie de l'époque. Elle va vers cette aventure folle. Pour moi, c'était important de montrer qu'il y a quelque chose d'irrationnel chez elle mais en même temps, il y a de l'amour. Ce qui m'a plu c'est que dans cette confrontation à elle-même, tandis que le froid et la nuit arrivent, qu'elle est confrontée à son ennemi nº 1, la maîtresse de son mari, le fait d'être coincée dans un endroit a constitué pour moi un laboratoire émotionnel exceptionnel. On peut voir tout ce qui peut se passer dans l'être humain : l'envie de la tuer, les crises de jalousie, une façon de retourner les choses, la malice, la folie qui gagne par moments entre la faim, le froid? Tout cela m'a donné envie. Joséphine, malgré tout son orgueil, de par les circonstances, est face à une partie d'elle même qu'elle n'imaginait pas traverser. Elle devient encore plus humaine à la fin. Elle a gagné quelque chose en perdant son honneur, son orgueil. Joséphine commence le film comme un paon et finit comme un chien. Au début, elle a un sens moral, le bien d'un côté, le mal de l'autre. A la fin, elle prend tout dans son c?ur, le mal et le bien, et n'en fait que du bien.
On dit de vous que vous êtes la reine du cinéma d'auteur.
J'ai eu une chance inouïe de rencontrer des auteurs magnifiques qui ont vu en moi des choses que je ne voyais pas encore. Je pense qu'on est révélé quand on est acteur grâce à une façon d'être vu, d'être regardé. En tous cas, je suis très émue d'être ici car je ne suis jamais venue en Espagne pour parler d'un film ni pour faire des interviews.
Membre-électeur de l´Académie Francophone du Cinema (Association des trophées francophones du cinema) qui décerne chaque année dix prix dédiés au cinema des pays de la francophonie. Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com







