La nouvelle loi organique concernant l'accès à l'avortement, présentée en décembre dernier en conseil des ministres, devrait réduire de façon considérable les options des femmes espagnoles souhaitant mettre un terme à une grossesse non désirée. Une forte mobilisation contre le projet de loi, qui devrait être voté dans les prochains mois, s'est sans surprise organisée au sein de la société civile espagnole. Côté français aussi, de nombreuses voix se sont déjà élevées pour condamner l'initiative du gouvernement Rajoy. Un appui sans précédent pour les activistes ibères. L'Hexagone se convertira-t-il pour autant en terre d'accueil pour les Espagnoles souhaitant pratiquer une IVG ? Cela reste à prouver.
Depuis 2010, l'avortement est permis en Espagne jusqu'à la 14e semaine de grossesse, et jusqu'à la 22e en cas de danger pour la santé de la mère ou pour celle du f?tus. Si la réforme du gouvernement de Rajoy est approuvée, le droit à l'avortement se retrouvera fortement limité. Le planning familial français a résumé dans un récent communiqué de presse, les conditions sous lesquelles les femmes pourraient alors avoir recours à l'IVG :
- Grave danger encouru par la femme pour sa vie ou sa santé physique ou psychologique : le texte impose que le diagnostic soit émis par deux médecins différents et étrangers à l'établissement pratiquant l'avortement;
- Viol, à la condition est que la victime ait déposé plainte;
- Malformation f?tale, sous réserve de deux rapports médicaux -l'un sur la mère et l'autre sur le f?tus, qui confirmeront le motif d'interruption de grossesse.
La ministre française des Droits des femmes intervient dans le débat
Les restrictions implicites liées à ce projet de loi ont justifié une mobilisation sans précédent en Espagne, des débats houleux au Parlement et des prises de position antagonistes au sein même du PP, à l'initiative pourtant du projet de loi. Plus surprenant, c'est depuis la France que certaines des critiques les plus acerbes ont été formulées contre la nouvelle loi organique de "protection de la vie et des droits de la femme enceinte", plus simplement rebaptisée "loi anti-avortement" par nombre de ses détracteurs. A commencer par Najat Vallaud-Belkacem, actuelle ministre française des Droits des femmes, qui a fait part fin décembre de "sa vive préoccupation" concernant le projet de loi, via une lettre adressée à son homologue espagnole. Depuis, un grand nombre d'associations féministes françaises ont elles aussi apporté leur soutien aux Espagnoles et de nombreuses manifestations ont été organisées en France devant les consulats du royaume, en décembre et à nouveau en ce début d'année (elles sont encore notamment prévues à Bordeaux, Nantes et Marseille pour samedi prochain).
VIDEO. NVB "émue" et "choquée" (à 10'27")
Une mobilisation qui n'est pas passée inaperçue de ce côté-ci des Pyrénées. Montserrat Boix, responsable du journal féministe "Mujeres en red" et coordinatrice avec la France de la plateforme "Decidir nos hace libres" (décider nous rend libres) estime ainsi que les manifestations de soutien venues de France ont été les plus importantes reçues à ce jour par le mouvement de contestation. "Il y a une connexion avec nos voisines françaises, qui connaissent actuellement leurs propres fronts de lutte pour l'égalité des genres", juge-t-elle. Marie-Pierre Martinet, Secrétaire Générale du Planning familial en France, confirme l'implication des organisations françaises concernant le projet de loi espagnol. Pour elle, "la France a une forte culture de militantisme autour de cette question", rappelant ainsi que "la France est l'un des rares pays d'Europe où la décision d'avorter appartient aux femmes" (et n'est donc pas conditionnée par une décision médicale). Stéphanie, Française de Madrid, confirme les dires de la secrétaire générale : "Je trouve que cela revient à enlever à la femme une liberté, des choix. Son corps lui appartient", juge-t-elle à propos du projet de loi.
Où avorteront les femmes à qui la loi n'autorise plus de pratiquer une IVG ?
Elles étaient 112.390 Espagnoles en 2012 à pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Moins de 10% d'entre elles respecteraient les conditions fixées par la nouvelle loi. Que va-t-il advenir des quelque 100.000 femmes qui chaque année souhaitent pratiquer une IVG ? La mobilisation en France augure-t-elle un tourisme abortif vers l'Hexagone, si la loi passe en l'état ? "Les Espagnoles souhaitant avorter seront bien obligées de se rendre à l'étranger", confirme Montserrat Boix. "De par sa proximité géographique, la France pourrait en effet se convertir en un pays de prédilection pour l'avortement", ratifie quant à elle Marisa Soleto, directrice de "Fundación mujeres" et membre de la plateforme "Decidir nos hace libres". Cette juriste évoque par ailleurs un tourisme latent déjà existant, qui pousse les Espagnoles en troisième trimestre de gestation, confrontées à des grossesses finalement déclarées non viables, à déjà avorter dans l'Hexagone. Une dizaine de cas annuels étaient ainsi recensés par le quotidien El Pais dans un article datant de 2008. "La France est déjà une référence en question d'avortement", avance Marisa Soleto.
En France, l'IVG "ni valorisé, ni rentable"
La presse espagnole a déjà fait écho de cliniques portugaises préparant l'arrivée massive d'Espagnoles souhaitant pratiquer l'IVG hors des frontières du pays. Un commerce qui, s'il pourrait s'avérer juteux pour le voisin lusitanien, n'aurait, selon Marie-Pierre Martinet, aucun intérêt côté français. "L'acte n'y est pas valorisé, ni rentable", explique-t-elle. "Les établissements fonctionnant selon une logique de rentabilité, très peu de cliniques privées pratiquent en France l'IVG". Les Pays-Bas, la Grande Bretagne ou le susnommé Portugal pourraient donc à cet égard proposer des offres et des alternatives plus variées pour les intéressées.
Autre question : les Espagnoles pratiquant un IVG en France seraient-elles remboursées par la sécurité sociale ? Peu probable. Même si les organisations féministes planchent encore sur la question, tout porte à croire que les soins non inclus dans "le catalogue sanitaire" espagnol, ne sauraient être remboursés dans un autre pays de l'UE. "Il existe des accords européens d'accès aux soins pour les résidents de l'UE via la carte vitale européenne mais à condition que les actes soient légaux dans le pays d'origine", ratifie Marie-Pierre Martinet. "Si la loi de Gallardón passe", conclut Marisa Soleto, "l'accès à l'avortement sera possible en fonction des seuls critères économiques". Une discrimination "intolérable", selon la juriste.
Le tourisme abortif des Françaises vers l'Espagne
Dernière facette d'une loi qui soulève décidément des enjeux à caractère européen : le tourisme abortif de la part des Françaises vers l'Espagne, pour pratiquer une interruption de grossesse au-delà de la 12e semaine, limite imposée par la législation tricolore. "On estime qu'elles sont chaque année entre 3 et 4000 à sortir de l'Hexagone pour pratiquer une interruption de grossesse à l'étranger", commente Marie-Pierre Martinet. La Catalogne constituerait une terre d'accueil facilement accessible, avec des cliniques de haut niveau. Une option qui disparaîtrait donc avec la nouvelle loi.
Françaises ou Espagnoles, elles tiennent à ce jour toutes le même discours : la loi n'est pas encore passée et l'heure est encore à la pression, à la mobilisation. L'enjeu, quant à lui, transcende clairement les frontières ibères. Il est posé à l'échelle du continent et devrait prendre place dans les débats des prochaines élections européennes, en mai.
VG (www.lepetitjournal.com - Espagne) Jeudi 9 janvier 2013
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