En collaboration avec Carmen Pineda, critique de cinéma établie en Espagne, lepetitjournal.com propose un petit tour d’actualité du 7e art dans la Péninsule. Cette semaine : le retour de Pedro Almodovar avec "Los amantes pasajeros" (Les amants passagers)
| Qui joue dans "Les amants passagers" ? Penelope Cruz L´actrice ne fait qu´une courte apparition en interprétant une employée de l´aéroport chargée de transporter les valises jusqu´à l´avion. Antonio Banderas Banderas, mari de P. Cruz dans le film, fait aussi un camée. Il est le responsable de préparer l´avion sur la piste pour qu´il puisse décoller sans problèmes mais une erreur aura des conséquences fatales... Carlos Areces C´est un des trois stewards homosexuels de l´avion. Gros et laid, il prie constamment la vierge pour que ses collègues abandonnent les drogues, l´alcool et les "chambres obscures". Raul Arevalo Steward homosexuel qui abuse des drogues et du sexe. Javier Cámara Un des acteurs fétiches de Pedro Almodovar. Il a déjà tourné avec lui dans "Parle avec elle" et "La mauvaise éducation". Tourmenté par sa relation sentimentale et homosexuelle avec le pilote de l´avion, Joserra (Javier Cámara) a un "vice" très dangereux: il est incapable de mentir. Il ne sait dire que la vérité, ce qui va souvent lui porter préjudice. Lola Dueñas Une autre actrice almodovarienne. Vue dans "Etreintes brisées", "Volver" et "Parle avec elle", elle a aussi travaillé en France, comme, par exemple, dans le film "Les femmes du 6ème étage". Dueñas incarne, ici, une passagère voyante, provinciale et vierge. Cecilia Roth Cette belle argentine est aussi une actrice fétiche d´Almodovar. Depuis le premier film du réalisateur, "Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón", en 1980, elle a tourné déjà sept fois avec lui. Dans le film, Roth joue le rôle d´une ex-actrice porno qui a couché, d´après elle, avec les 620 hommes les plus importants du pays. Antonio de la Torre L´acteur qui a eu deux nominations aux Goya de cette année, est Alex, le pilote de l´avion. Officiellement marié et avec deux enfants, il a aussi d´autres tendances… Miguel Ángel Silvestre Silvestre est un jeune acteur espagnol très connu par ses apparitions dans des séries de TV Beau garçon, il incarne un jeune marié qui se dirige au Méxique pour son voyage de noces. Il se révèlera tout un expert en drogues. Guillermo Toledo Cet acteur est un des plus "râleurs" du panorama cinématographique espagnol. Il s´engage dans toutes les manifestations ou revendications qui ont lieu. Il a même failli aller en prison pour avoir protester à la Chambre des Députés espagnole. Il joue, ici, le rôle d´un Don Juan, décrépit et ridicule. |
Après vingt ans de films dramatiques, Pedro Almodovar revient à ce qui a fait son succès : la comédie "pure", gay, débridée et coloriée. Dans l´attente d´un atterrissage d´urgence, les passagers et les membres de l´équipage d´un avion en route pour le Méxique pensent vivre leurs dernières heures, ce qui va provoquer en huis clos une catharsis générale délirante et surréaliste. Un retour en beauté d´Almodovar à la comédie ? Ou du "déjà vu" ?
De bonnes intentions
On ne peut pas nier que Pedro Almodovar a créé un cinéma original, transgresseur et avec une esthétique très particulière, un peu kitsch. Les histoires qu´il a toujours abordé, surtout dans ses comédies font partie de la chronique sociale de l´Espagne : la Movida des années 80, la libération des moeurs, de la sexualité, la liberté pour choisir sa propre vie, au-delà des conventions bourgeoises et catholiques... "Femmes au bord de la crise de nerfs" est l´exemple parfait de film amusant, loufoque et échevelé qui montrait une Espagne différente qui voulait rompre avec beaucoup de tabous. 25 ans après, Almodovar revient à cet esprit mais il a oublié que la société actuelle n´est plus celle des années 80. "Les amants passagers" n´a plus cette joie ou cette folie spontanée qui retrace la société du moment, même si le réalisateur essaie de montrer des affaires actuelles comme les escroqueries ou les scandales financières qui ont secoué l´Espagne récemment. Il est vrai que le film conserve toujours certaines critiques acerbes, une certaine folie impudente et impertinente, très caractéristiques d´Almodovar. Il y a quelques scènes amusantes et réussies comme la danse, sur le fond de la chanson "I´m so excited" des trois stewards homosexuels, personnages atypiques, qui se donnent corps et âme pour que le voyage soit le plus agréable possible pour les passagers, face à l´annonce angoissante d´un crash. Quelques moments spirituels surgissent de temps en temps grâce, en partie, aux interprétations de certains acteurs comme celles de Javier Cámara, Lola Dueñas ou Cecilia Roth qui sont, sans aucun doute, un des atouts du film.
Comédie caricaturale
Malheureusement, les bonnes intentions se diluent rapidement car on a l´impression de voir du réchauffé. Les scènes se déroulent maladroitement sans trop de rythme. Les moments ne sont pas bien ficelés et ils sont collés d´une façon artificielle. Une série de blagues mordantes, piquantes et de sketches humoristiques se suivent sans beaucoup de sens cinématographique. On dirait qu´Almodovar veut nous les raconter à tout prix et il nous les place là où il peut. Ce manque de légèreté, même si le scénario se veut profondément amusant et surréaliste, pèse beaucoup dans le film. Il y a trop d´artifice et peu de spontanéité. Les thèmes sont récurrents dans l´histoire et dans la filmographie d´Almodovar : en particulier les drogues (à travers lesquelles Almodovar remémore la nostalgie des années de la Movida) et le sexe, concrètement l´homosexualité. Dans "Les amants passagers", ces aspects deviennent obsessifs jusqu´au point de fatiguer le spectateur. Almodovar non seulement se répète mais il se transforme en une sorte de parodie de lui-même : l´esthétisme, à outrance, avec des éternels décors kitsch (des oranges, des bleus..), les attitudes homosexuelles caricaturales qui ont perdu leurs effets véritablement provocateurs, les camés inutiles comme ceux de Penélope Cruz et Antonio Banderas (plutôt marketing que cohérence du scénario et des bonnes interprétations ?)... "Les amants passagers" veulent être une comédie métaphorique du moment de crise morale et sociale que nous vivons dans l´actualité mais c´est raté. La solution almodovarienne d´échapper à nos angoisses et à nos peurs à travers une catharsis canalisée par la parole, le plaisir, la libération de la chair et des tabous, n´est pas convaincante. Dommage que le délire initial déchaîné et vital de Pedro Almodovar présente trop de failles.
Où le voir ? Sortie, aujourd´hui, 8 Mars 2013. Consultez l´affiche.
| Pour en savoir plus sur "Les amants passagers"… Un tournage "chaud" Le tournage s´est déroulé principalement dans le décor d´un avion, en plein été madrilène. L´espace était très étroit (il y avait des scènes avec 6 ou 7 acteurs qui devaient jouer dans un mètre carré). En plus, les températures dues à la canicule madrilène étaient extrêmement élevées. L´équipe voulait utiliser l´air conditionné constamment mais le bruit dérangeait tellement le tournage qu´il fallait l´arrêter tout le temps. Le maquillage était un autre souci car la sueur ne cessait de le gâcher. Les localisations "almodovariennes" du film L´avion du film fut reconstruit pièce à pièce car prendre un appareil d'occasion était trop cher. Les prix, dans ce cas- là, étaient exorbitants. Par exemple, un lavabo, 60.000 euros ou un téléphone de la cabine, 2.000 euros. Le procès de construction fut très long. Il dura 13 semaines. Il fallut, ensuite, adapter l´espace et "découper" l´avion pour que chaque pièce puisse bouger et s´adapter aux besoins de l´équipe de la photographie. Le résultat est un fabuleux Airbus A340. Mis à part le décor de l´avion et outre quelques scènes des aéroports de Barajas et de Ciudad Real, il y a à peine d´autres localisations dans le film. Un de ces emplacements, récurrent dans les films d´Almodovar est le Viaduc de Ségovie de la rue Bailen à Madrid (près du Palais Royal), aussi appelé, populairement "le pont des suicides". Chaque fois que le réalisateur veut parler de la mort ou montrer un suicide, c´est là qu´il tourne. Rien de plus métaphorique que cet endroit de Madrid d´où beaucoup de personnes, désespérées, se sont, trop souvent, jetées. Dans le film, le personnage d´une jeune femme, déséquilibrée et folle d´amour, essaie de se tuer en se lançant dans le vide. Almodovar a aussi choisi cette localisation dans "Matador" et dans "Les étreintes brisées". L´aéroport fantomatique de Ciudad Real, au beau milieu de la région de La Manche (Castille-La Manche) est montré comme un endroit désert construit sans aucun but. De fait, la construction de cet aéroport constitue un des scandales économiques et politiques les plus graves des dernières années en Espagne. Une dépense inutile pour faire un aéroport sans avions ni passagers qui dû fermer deux ans après son inauguration. Les clins d´oeils "almodovariens" Almodovar rend, dans son film, un hommage à quelques femmes de sa vie comme la grande chanteuse méxicaine Chavela Vargas (morte l´année dernière) et Blanca Sánchez, deux amies très chères au réalisateur. L´avion s´appelle "Chavela Blanca" en souvenir des deux femmes. Chavela Vargas a interpreté plusieurs chansons, très souvent des boléros, dans les films d´Almodovar :"Luz de luna" dans "Talons aiguilles" ou autres pièces, presque toujours tristes et mélancoliques, dans "En chair et en os", dans "La fleur de mon secret" et dans "Kika". La bande sonore de la filmographie d´Almodovar est en grande partie signée par Chavela Vargas. D´autre part, la compagnie aérienne s´appelle Península (Péninsule). A un moment donné, on peut lire "PE", le nom en abrégé de péninsule, qui coïncide avec le nom de Penélope , une des actrices fétiches du réalisateur. Cruz a déjà travaillé cinq fois avec Almodovar, devancée seulement par Antonio Banderas et Cecilia Roth (sept fois chacun). La musique du film La bande sonore du film a été faite par le compositeur Alberto Iglesias qui travaille depuis vingt ans avec le réalisateur espagnol. Pour la petite histoire, Iglesias est la personne, à titre individuel, qui a remporté le plus de Goya (10 au total). Dans le film, on peut écouter des compositions des Pointer Sisters (leur chanson "I´m so excited" est le leitmotiv du film), du groupe anglais, Metronomy et le rythme endiablé de Django Django. Drogues et Movida Dans le film, apparaît toute une variété de drogues : anxiolytiques, relaxants musculaires, mescaline (drogue hallucinogène), cocaïne... Sans compter l´alcool, évidemment. Almodovar, d´après ces propres mots, a voulu rappeler "la liberté qu´on avait pendant les années 80 en Espagne avec la Movida". L´esthétique du film Javier Mariscal, graphiste, peintre et auteur de bandes dessinées a créé l´identité esthétique de la compagnie aérienne du film. Mariscal est très connu pour avoir dessiné Cobi, la mascotte des Jeux Olympiques d´été de Barcelone de 1992. |
| Filmographie de Pedro Almodovar : Pedro Almodovar est né en 1949 dans le petit village de Calzada de Calatrava dans la province de Ciudad Real (communauté de Castille- La Manche). C´est le seul réalisateur espagnol à avoir obtenu deux Oscar : celui au meilleur film en langue étrangère pour "Todo sobre mi madre" ("Tout sur ma mère"), 1999 et celui au meilleur scénario original pour "Hable con ella" ("Parle avec elle"), 2002. En France, il a gagné quatre Césars (dont un d´honneur pour l´ensemble de sa carrière, en 1999) tandis qu´en Espagne, il a obtenu trois Goya. 1980 : Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier) 1982 : Laberinto de pasiones (Le Labyrinthe des passions) 1983 : Entre tinieblas (Dans les ténèbres) 1984 : Qué he hecho yo para merecer esto ? (Qu´est-ce que j´ai fait pour mériter ça ?) 1985 : Matador 1986 : La Ley del deseo (La Loi du désir) 1988 : Mujeres al borde de un ataque de nervios (Femmes au bord de la crise de nerfs) 1989 : Atame ! (Attache-moi!) 1991 : Tacones lejanos (Talons aiguilles) 1993 : Kika 1995 : La flor de mi secreto (La fleur de mon secret) 1997 : Carne trémula (En chair et en os) 1999 : Todo sobre mi madre (Tout sur ma mère) 2002 : Hable con ella (Parle avec elle) 2004 : La mala educación (La mauvaise éducation) 2006 : Volver 2009 : Los abrazos rotos (Etreintes brisées) 2011 : La piel que habito 2013 : Los amantes pasajeros (Les amants passagers) |
Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com
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