

À 52 ans, Luc Besson est sans conteste un des réalisateurs phares du cinéma français. Après Jeanne D'arc en 1999, il s'est attaqué dans The Lady (en salles aujourd'hui) à une icône mondiale en la personne de Aung San Suu Kyi. La sublime Michelle Yeoh campe cette femme politique birmane, symbole de l'opposition non-violente à la junte militaire, qui gouverne le pays depuis plus près de 50 ans
Michelle Yeoh et Luc Besson
Lepetitjournal.com - Racontez-nous la genèse de ce projet très ambitieux
Luc Besson - Pour une fois, j'ai été choisi par l'actrice ! Nous sommes amis avec Michelle (Yeoh, ndlr), nous nous voyons régulièrement. Il y a un peu plus de deux ans, elle m'a donné le scénario. Elle voulait juste me poser des questions de production, savoir ce qu'il était possible de faire. Car c'est un sujet compliqué. Elle voulait que je fasse la mise en scène, mais mon emploi du temps était trop chargé. Mais après avoir lu le scénario et avoir beaucoup pleuré, je l'ai rappelée pour lui dire que je venais de trouver un trou de dix-huit mois dans mon agenda !
Michelle Yeoh est admirable dans ce film. Pensiez-vous qu'il soit possible d'être aussi proche d'un personnage ?
C'est le rôle de sa vie. Je n'ai jamais vu une actrice donner autant. Elle est restée Aung San Suu Kyi pendant six mois. Lorsqu'elle rentrait à l'hôtel le soir, elle allait se coucher avec Gandhi. Elle ne voulait pas sortir de son personnage. C'est qui est touchant chez elle, c'est qu'elle aime profondément cette femme. Elle la respecte. La ressemblance physique est frappante. Elle a travaillé l'accent d'Oxford comme elle, le port de tête, la gestuelle, les mains? Nous avons d'ailleurs failli avoir deux trois crises cardiaques de Birmans qui en la voyant arriver se demandaient si ce n'était pas la vraie !
Aung San Suu Kyi était-elle au courant que vous réalisiez un film sur sa vie ?
Nous avons réussi à la prévenir oui. J'avais très peur que le gouvernement birman lui présente le film à travers les journaux locaux, d'une mauvaise manière. Je voulais qu'elle sache que c'était pour elle, pour sa cause. Je ne peux pas vous dire comment nous avons fait pour la joindre, mais ça nous a pris trois mois !
A-t-elle-participé, d'une manière ou d'une autre, à The Lady ?
Non, aucunement. J'ai eu la chance de la rencontrer après le tournage, une fois qu'elle a été libérée. Elle nous a accueillis comme ami, nous avons parlé de tout sauf du film. Nous ne voulions pas qu'elle puisse être accusée d'avoir participé au film. Sa famille veut avoir des visas pour venir la voir, elle ne pouvait pas prendre de risque. Ses deux fils sont au courant mais n'ont pas non plus participé au film.
Que pensez-vous d'elle, maintenant que vous l'avez rencontrée ?
Elle est très intelligente, elle connaît son pays, elle l'a sillonné de long en large, elle connaît toutes les ethnies. Elle a montré une dévotion incroyable pour son pays, elle sait ce qu'elle fait. Lorsque nous avons été en Corée du Sud pour montrer le film, c'était du délire. Aung San Suu Kyi est une icône absolue. Et Michelle Yeoh une rock star. Quand j'étais là-bas, j'avais l'impression d'être le manager des Rolling Stones !
L'Etat birman ne devrait pas être très réceptif à ce film. Avez-vous tout de même pu tourner quelques scènes sur place ?
Nous avons tourné en cachette, avec trois petites équipes, avant qu'ils ne sachent que nous allions faire un film. Nous avons compilé dix-sept heures de rush. Je voulais qu'il y ait des vraies images de la Birmanie. Il y a plus de 400.000 réfugiés birmans éparpillés partout dans le monde. Je tenais à ce qu'ils voient un peu de leur pays sur grand écran, car la plupart sont partis depuis des années. Le gros du tournage s'est lui déroulé en Thaïlande, à moins de 100 kilomètres de la frontière birmane.
Ce genre de sujet politique est-il difficile à traiter ?
J'estime que The Lady est une grande histoire d'amour, sur un fond politique. Le corps du film, c'est cette femme qui a cette mission de se donner à son peuple. Son histoire d'amour avec son pays, son père et son mari, c'est ça Aung San Suu Kyi. Politiquement, je voulais être très neutre, le plus proche de la vérité, sans prendre parti. Nous avons refait sa maison birmane à l'identique, tourné dans sa maison d'Oxford où elle habitait avant. J'ai essayé d'entourer ce film d'un maximum de vérité. C'est une façon de la respecter, car nous parlons quand même de sa vie privée. 
Ce film peut-il avoir un impact comparable à celui du Prix Nobel de la Paix reçu par Aung San Suu Kyi en 1991 ?
Il y a des gens qui travaillent depuis 30 ans pour la Birmanie : Amnesty International, Human Rights Watch, d'autres ONG, Hillary Clinton? C'est eux qui font le boulot, qui prennent des décisions comme le blocus économique. Ils votent des lois, des rapports, des chiffres. Mais il y a un outil qu'ils n'ont pas, c'est l'émotion. Les ONG ont endossé le film car ils ont besoin de cet outil émotion. Le cinéma rentre partout, il émeut, il sensibilise le public. C'est ça notre rôle. Mais le film en lui-même ne peut rien faire. Même s'il arrive au bon moment.
À titre personnel, vous aviez dit en 2006 que vous arrêtiez votre carrière de réalisateur. C'est ce genre de films qui vous fait continuer ?
Les artistes font et disent n'importe quoi, on ne peut pas compter dessus ! (rires). Plus sérieusement, je n'ai pas de plan de carrière. À un moment donné, je suis arrivé à 45 ans, j'étais en plateau depuis l'âge de 17 ans, je n'avais plus envie de tourner. J'étais fatigué, sec, sans rien à dire, sans plaisir. Je voulais vivre autre chose, voir des amis, les enfants grandir. Je ne savais pas si cela allait revenir. Heureusement pour moi, je ne suis pas accro à ça. Mais c'est bon de sentir que l'on a encore cet amour du film.
Ce film vous a-t-il changé ?
C'est elle qui m'a changé. C'est un bel être humain. Quand on voit aujourd'hui cette société qui s'effrite, qui manque de repères. On ne sait pas qui croire. Il y a tellement de magouilles, de mensonges? Quand vous rencontrez quelqu'un comme ça, vous essayez de vous mettre, ne serait-ce qu'à 10%, à sa hauteur.
Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) mercredi 30 novembre 2011
![]() De notre édition de Bangkok, CINEMA ? The Lady, l'icône birmane Aung San Suu Kyi vue de l'intérieur Libérée il y a un an après avoir passé plus de sept ans et demi en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi est désormais une figure de cinéma. Le film The Lady, tourné en partie en Thaïlande par Luc Besson, retrace la vie de l'icône de l'opposition birmane jouée par l'actrice d'origine malaisienne Michelle Yeoh. Ce long métrage attendu sortira le 30 novembre en France ... Lire la suite |
LE FILM
The Lady (2h07), de Luc Besson, avec Michelle Yeoh, David Thewlis, Jonathan Raggett, Jonathan Woodhouse?
Aung San Suu Kyi. Un nom, une icône, une image : celle de la persévérance et de la lutte contre la violence gratuite. La dame de Rangoon a dû quitter son pays suite à l'assassinat de son père, leader de la libération birmane, quelques mois avant l'indépendance en 1947. Elle n'avait que deux ans. En 1998, alors exilée en Angleterre, elle revient au pays pour veiller sa mère. La population voit dans son retour l'unique façon de restaurer la paix d'un pays englué dans la violence et la corruption. Choisie par le peuple, elle s'engage, milite. Et dérange, forcément. Assignée à résidence de 1989 à 2010, elle n'abandonne jamais le combat. Durant plus de deux heures, Luc Besson dresse un portrait tout en émotion de cette femme hors du commun, porté par l'amour. Celui de son mari en particulier, qui va la soutenir corps et âme, jusqu'à en mourir. Michelle Yeoh (Tigres et dragons), par son interprétation magistrale, défie les lois de l'émotion. De la bataille pour la démocratie à l'Oscar, il pourrait n'y avoir qu'un pas.



































