Le suicide français, fait beaucoup parler de lui en ce moment. Eric Zemmour y explique le déclin français à travers une analyse de la culture, de l'économie, de la politique, du sexe, du sport, etc. Il dénonce nos élites politiques, administratives, médiatiques et intellectuelles qui transforment depuis 40 ans le système et défont la France. De passage à Londres pour présenter ce livre, nous l'avons rencontré hier après-midi pour une interview.
(Lepetitjournal.com rencontre Eric Zemmour)
Lepetitjournal.com : Lorsqu'on lit votre livre, on comprend en quelque sorte que c'était mieux avant, que depuis mai 68 les élites politiques, intellectuelles, administratives, médiatiques et économiques ont participé à la déconstruction, à la dérision et à la destruction des structures traditionnelles. Mais n'est ce pas justement grâce à la déconstruction de certaines structures traditionnelles que depuis toujours l'Homme évolue ?
Eric Zemmour : (hésitation) Je n'avais pas vu ça comme ça. Je pense que l'Homme évolue d'abord, il faut bien mettre un signe à ces évolutions. Il y a des évolutions positives et des évolutions négatives. L'évolution n'est pas un bien en soi, premièrement. Deuxièmement, ce n'est pas dans la déconstruction qu'il évolue. Il détruit pour reconstruire. C'est ça ce qu'on fait toujours. Là, c'est pas ce qui se passe. Là on déconstruit et sur les ruines on ne construit rien. Ce que l'on construit c'est les ruines. C'est au nom de la liberté et de l'égalité et on laisse un champs de ruines sur lequel des nouveaux pouvoirs viennent dominer mais ça ne veut pas dire qu'on reconstruit vous comprenez ce que je veux dire ? C'est un monde qui est en perpétuelle déconstruction. C'est à dire que la destruction est devenue l'architecture nouvelle. Vous vous souvenez le mot qui amusait beaucoup Philippe Muray quand il parlait des "rebellocrates", vous savez c'est des gens qui se rebellent tout le temps et qui en fait sont les vrais patrons de la société. C'est un peu ça notre époque. C'est à dire que c'est les "rebellocrates" qui gouvernent. Ils passent leur temps à dire qu'ils se rebellent contre l'ordre établi mais l'ordre établi est détruit depuis des décennies. Mais ils ne construisent pas un nouvel ordre. En tous cas, ils construisent un nouveau pouvoir, ce qui est différent. Si vous avez lu mon livre, vous avez vu qu'il y a une partie consacrée à la destruction et une partie à l'édification des nouveaux pouvoirs. Ça ne veut pas dire que ces nouveaux pouvoirs sont positifs. Pour moi, ils sont absolument détestables et en plus très liberticides pour le coup. Mais c'est au nom de la liberté, au nom de l'égalité.
Mais pourquoi les élites voudraient-elles le mal des citoyens ?
Parce qu'elles méprisent le peuple. Vous savez il y a un Américain, Christopher Lasch, un grand sociologue américain qui avait écrit un livre qui s'appelait La Révolte des Elites. En fait, nous assistons depuis quelques décennies à une révolte des élites qui se révoltent contre les peuples d'où ils viennent et qui les méprisent et qui les rejettent dans l'exil intérieur de l'ignorance et du mépris. Nous assistons à ça dans tous les grands pays occidentaux ; en France, aux Etats Unis, en Angleterre etc. Mais en France particulièrement, il y a une tradition de guerre civile, de haine de classe, vous voyez c'est un pays très dur contrairement à tout ce que l'on croit, la douce France etc. Cela correspondait à l'idéologie de la Mondialisation. Qu'est ce que c'est la Mondialisation, la Mondialisation c'est des grandes métropoles très riches et tout le reste du territoire qui s'appauvrit mais tout le monde s'en moque puisqu'on n'a plus besoin des classes populaires pour faire tourner la machine économique des grandes métropoles mondialisées, puisque ça tourne par le monde autour, vous comprenez ? Donc elles ne veulent pas le bien des populations, elles le prétendent mais elles ne le veulent pas. Elles veulent leur bien à elles.
Les citoyens ne sont donc pour vous en aucun cas responsables de ce suicide français. Pourtant mai 68, qui est pour vous le commencement de ce suicide, est bien un mouvement issu d'une révolte étudiante.
Mais les étudiants étaient des fils de bourgeois. Il ne faut jamais oublier ça. Et l'alliance tant rêvée à l'époque avec la classe ouvrière n'a jamais fonctionné. En plus, si vous voulez, quand je dis qu'ils n'ont pas de responsabilité, non ce n'est pas vrai. Ils sont aussi responsables puisqu'ils se sont laissés fasciner, ils se sont laissés empoisonner, ils se sont laissés suicider par les classes dominantes. Donc il y a une responsabilité de tout le monde.
Comment voulez-vous stopper les déconstructeurs quand par exemple même l'Eglise sous l'impulsion du pape François voudrait assouplir sa position vis-à-vis des divorcés et des homosexuels ?
Mais même l'Eglise est atteinte par ce que je dénonce. Je pense que je n'arrêterai rien du tout. Je pense simplement que les classes populaires vont vivre de plus en plus en marge. Si vous voulez, on va avoir de plus en plus deux sociétés, même trois. Les gens se séparent de plus en plus, ils ne vivent plus au même rythme. Il faut bien comprendre ça puisqu'on a désintégré une Nation donc les gens ne vont petit à petit plus vivre au même rythme. C'est à dire qu'il va y avoir le rythme des métropoles mondialisées avec les élites qui en profitent, les immigrés autour qui vivent à ce rythme là aussi, de cette Mondialisation par le haut et cette Mondialisation par le bas. Et puis, les classes populaires, traditionnelles françaises qui vont vivre à côté, en marge et qui de plus en plus vont s'installer dans un autre univers.
On ne pourra donc pas stopper cela ?
Je pense qu'on ne pourra pas stopper ça et qu'il y a même des risques d'affrontement entre ces deux univers. Il y a un affrontement politique déjà.
Est-ce que vous accepteriez d'être le conseiller particulier d'un prochain Président de la République ?
C'est une question que je ne me pose pas. Je n'en sais rien, on verra bien.
Aujourd'hui, vous venez présenter votre livre à Londres, je suppose que de nombreuses personnes présentes sont des Français venus vivre, travailler et éduquer leurs enfants au Royaume-Uni dans un autre modèle que celui de la France. Est-ce que vous faites un lien entre ces personnes qui quittent la France et votre analyse ?
Bien sûr. C'est à la fois une preuve du mal-être français en en même temps, une autre preuve éclatante alors là du coup, de ce décalage que je viens de vous décrire. Les gens que je vais voir là pour la plupart, pas pour tous, sont dans les élites mondialisées dont je vous parle. Et ils sont venus carrément dans un autre pays. Ça va être intéressant d'ailleurs la discussion avec eux parce qu'ils poussent le raisonnement que je vous ai présenté là jusqu'au bout. Ils vont carrément dans un autre pays. On ne peut pas être plus détaché de son pays d'origine et du peuple d'origine. Mais c'est intéressant, j'ai hâte d'avoir cette conversation avec eux.
Propos recueillis par Raphaël Suspène (lepetitjournal.com/londres) mercredi 5 novembre 2014
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