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Albert Dupontel : “La parole politique est réduite à des débats infantiles”

Albert Dupontel était l’invité du Ciné Lumière pour une avant-première de son dernier film, Second Tour, le 30 novembre 2023. Le film sera diffusé du 26 janvier au 9 février 2024 à l'Institut français de Londres. Le réalisateur se confie sur la création de son film, son attachement à la culture et son rapport à la politique : “La politique politicienne nous infantilise et nous culpabilise”.

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© Pathé
Écrit par Yoni Binh
Publié le 10 janvier 2024, mis à jour le 25 janvier 2024

Journaliste politique en disgrâce placée à la rubrique football, Mlle Pove (Cécile de France) est sollicitée pour suivre l'entre-deux tours de la campagne présidentielle. Le favori est Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel), héritier d'une puissante famille française et novice en politique. Troublée par ce candidat qu'elle a connu moins lisse, Mlle Pove se lance dans une enquête aussi étonnante que jubilatoire.

 

Comme vous l'avez raconté, l'idée de ce film vous est venue après le visionnage d’un documentaire sur la campagne de Robert Kennedy…

Albert Dupontel : Pendant le confinement, je suis tombé sur ce documentaire et j’ai trouvé le personnage admirable d'héroïsme, de courage et de détermination. Le jour de l’assassinat de Martin Luther King, Bobby Kennedy annonce sa mort lors d’un discours dans un ghetto noir d’Indianapolis. Sa sincérité et sa puissance sont bluffantes. Il y parle d'amour, de compassion, et cite de mémoire un poème d'Eschyle. Il a déclaré : "On a tué votre frère, on a tué le mien aussi. C'est un blanc qui l'a tué. Donc ce n'est pas une question de couleur de peau, c'est un pays qui manque d'amour". La seule ville des Etats-Unis où il n'y a pas eu d'émeutes ce soir-là est Indianapolis. 

Quand la parole politique possède ce niveau de puissance et de sincérité, elle a un effet. Personnellement, je n'ai jamais connu de parole politique telle. D'ailleurs, les gens sont souvent assassinés quand ils parlent de paix. On a plus de chance de rester en vie en parlant de guerre, qu'en parlant de paix.

 

Pourquoi est-ce important pour vous de montrer ces personnalités qui ont un fort courage politique ? 

Parce que cela me touche. Mais je ne voulais pas traiter ce sujet au premier degré parce que d'abord, je n'en suis pas capable, et que cela aurait été un discours de morale. Je voulais inventer une fable de type "et si Robert Kennedy n'avait rien dit de ce qu'il voulait faire ?". C'est complètement saugrenu, mais le cinéma part souvent d'idées saugrenues ! Et cela m'a permis d'aborder des thèmes qui me touchent, comme le petit coming-out écologique de ce film, qui est d'actualité et qui me préoccupe.

 

 

Votre film parle d’une campagne présidentielle qui est jugée soporifique par tout le monde et pour laquelle on prévoit un taux d’abstention record. Évidemment cela fait écho à la situation que l’on connaît aujourd’hui en France…

Cela fait plusieurs décennies que la politique ne passionne plus les gens, et malheureusement, cela fait le jeu de certains partis.

 

Les politiciens actuels ont le langage pour se mettre à distance de nous, et ne nous donnent pas la parole. C'est pour cela que je prends la parole, à mes risques et périls.

 

Dans une interview, vous avez cité Pierre Desproges et affirmé que “Si cela servait à quelque chose de voter, ce serait interdit”. Est-ce que, personnellement, la politique vous ennuie ? 

Ce n'est pas que la politique m'ennuie, puisque je fais des films qui en parlent. Mais ce qui ne me convient pas est la manière dont elle est pratiquée, avec le clivage droite/gauche notamment. L'écologie en France est de gauche, alors que c'est un sujet qui devrait être fédérateur et intéresser tout le monde. La parole politique est réduite à des débats infantiles. Si la politique consiste à commenter ce qui se passe autour et à le partager, je fais de la politique ! Pour ce qui est du vote, je n'en ai personnellement jamais eu envie. J'avais le choix entre Chirac et Mitterrand la première fois où j'ai pu voter. L'un avait été ministre pendant la guerre d'Algérie. Mon père était soldat et m'avait dit que cet homme était au courant de ce qui s'est passé, mais n'a jamais rien fait : c'était Mitterrand. Quant à l'autre, je ne l'avais jamais apprécié. La politique politicienne nous infantilise et nous culpabilise. Les politiciens actuels ont le langage pour se mettre à distance de nous, et ne nous donnent pas la parole. C'est pour cela que je prends la parole, à mes risques et périls. 

 

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Cécile de France et Nicolas Marié dans Second Tour (2023)

 

Dans Second Tour, vous vous mettez en scène dans le rôle du candidat Pierre-Henry Mercier, qui est issu d’une grande et puissante famille d’industriels français, mais qui cache un secret au grand public. Comment avez-vous créé ce personnage ?

Dans le film, on découvre que le personnage a une histoire particulière. Tous les personnages illustres de l'histoire, comme de Gaulle ou Napoléon, ont des histoires personnelles très fortes. Au cours du film, nous apprenons un élément sur la vie de Mercier qui fait tout basculer. Ce film est un roman de guerre assumé, avec des twists narratifs qui surprennent le spectateur.
 

Vous incarnez souvent les personnages principaux des films que vous réalisez. Est ce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi même ? 

Effectivement, je ne peux pas vous dire que pour Second Tour, j'ai assidûment cherché quelqu'un d'autre. Pour Au Revoir Là-Haut, je voulais un autre acteur, mais il m'a planté. Pour le rôle de Pierre-Henry Mercier, j'avais trouvé un acteur super, mais il n'était pas disponible avant un an. Donc à chaque fois, je m'y colle. Je ne vous cache pas que c'est fatiguant, j'aimerais vraiment lâcher prise par rapport à ça. Mais parfois, c'est voulu. Dans Adieu les cons, je voulais faire le rôle de Jean-Baptiste parce que c'est un inhibé dépressif, un personnage que je connais bien au quotidien !

 

La culture est l'expression d'une conscience à un moment donné de l'histoire de l'humanité. Alors il faut faire de la pédagogie avec !

 

Dans le film, vous abordez un grand nombre de problématiques qui touchent nos sociétés aujourd’hui, et notamment l’inaction climatique et les inégalités sociales. Pensez- vous que l’art peut encore changer le destin de l’humanité, notamment à la lueur des actualités ? 

Je ne pense pas vraiment. En revanche, ce qui reste de notre passage, ce sont les grands artistes (je ne parle pas de moi quand je dis ça !). Quelle meilleure façon de parler du XIXe siècle que les Impressionnistes ? L'art nous donne une vraie identité culturelle. Elle n'est pas patriotique, ni nationaliste ou ethnique. La culture est l'expression d'une conscience à un moment donné de l'histoire de l'humanité. Alors il faut faire de la pédagogie avec ! Quand mes enseignants m'ont appris Balzac à l'école, cela m'ennuyait. Mais quand j'ai redécouvert Balzac plus tard, j'ai trouvé ses ouvrages passionnants. Il faut raconter aux jeunes qui était Balzac. Connaître les grands artistes, de Mozart à Chaplin en passant par les Impressionnistes, est fondamental.
 

C'est donc une idée que vous essayez de garder à chaque fois que vous réalisez un film ? 

Cela me fait du bien de faire des films. Je n'ai pas d'ambition sociale. Quand je reçois des prix, je ne vais pas les chercher puisque je trouve que les prix sont une manière de formater le goût des gens, et je ne suis pas à l'aise par rapport à ça. Quand j'avais 22 ou 23 ans, j'étais étudiant en médecine et je me suis rendu compte du caractère éphémère de mon existence en étant dans l'ambiance des hôpitaux. Le seul refuge que j'avais, c'était d'aller dans une salle de cinéma. Je m'y sentais bien. Le cinéma me permettait de m'échapper du réel, qui est souvent une sorte de transhumance un peu suicidaire.

 

Vous n'avez pas d'ambition particulière lorsque vous réalisez vos films ?

Je n'ai aucune ambition. Quand mes films marchent, je suis content. Cela veut dire que j'ai réussi à communiquer avec les gens, à vulgariser ma pensée. Donc si vous avez passé un bon moment en regardant le film, je suis au summum de mon ambition.  

 

Le film que j'ai réalisé est mensonger, donc je m'applique à bien vous mentir.

 

Parlons de l'identité visuelle et de la photographie du film. La ressemblance avec les images d'Adieu les Cons est assez visible. Qu’est-ce que vous avez voulu retranscrire au spectateur en termes d’ambiance et d’image ? 

Ces deux films ont été tournés avec des éclairages urbains. Nous avons cherché à magnifier des décors qui ne sont pas très beaux : des parkings souterrains, des lampes de bureau... J'ai souhaité raconter une fable. Donc la grammaire du cinéma doit être la grammaire d'une fable. Ken Loach fait un cinéma de vérité. Il ne s'encombre pas par rapport à ça. Et il a raison. Il prend du Super 16, parce qu'il cherche la vérité. Le film que j'ai réalisé est mensonger, donc je m'applique à bien vous mentir. 

 

Cette esthétique très singulière nous a parfois donné l’impression que nous étions plongés au cœur d’un espace onirique duquel nous pourrions sortir en un claquement de doigt... 

Oui, parce que Second Tour est une fable. Je lis et j’entends souvent des critiques qui ont pris le film au premier degré. À leur décharge, le débat politique en France et même partout en Europe, est extrêmement vif. Mais je ne pensais pas une seconde que les gens auraient pu prendre ce discours au sérieux. 

 

Nous vous retrouvons aujourd’hui pour une diffusion du film à Londres, au Royaume-Uni. Est-ce qu’il y a des artistes britanniques qui vous ont influencé dans la manière dont vous réalisez vos films, dont vous interprétez vos personnages et choisissez vos thématiques ? 

Churchill est une figure historique extraordinaire. Les Monty Python sont des gens qui m'ont fait hurler de rire quand j'étais jeune. J'ai grandi dans les années 1970, j'ai eu beaucoup de chance ! Dans la bande dessinée, nous avions Gotlib, à la radio et à la TV, nous avions Pierre Desproges et Coluche. Et au cinéma, nous avions les Monty Python. Nous étions entourés d’une forme d'insolence et de vérité. 

Si je devais choisir un personnage historique britannique que j'aurais aimé être, je dirais le duc de Wellington, pour rater complètement la bataille de Waterloo afin que le Français, qui était très parlé en Europe, revienne à la mode.

 

 

Pour son prochain film, Albert Dupontel souhaite s’attaquer à “une affaire dans une famille”, qui “exprimera visuellement les préoccupations intimes sur la naissance et la mort”. Le projet est en cours de développement.

Second Tour sera diffusé au Ciné Lumière de l’Institut français de Londres à partir du 26 janvier 2023.