Olivier d'Agay : Le Petit Prince, un héritage familial porté à travers le monde

Selon vous, comment expliquer que Le Petit Prince continue, encore aujourd’hui, à toucher des générations si différentes à travers le monde ?

 

Je dirais que c’est le miracle du Petit Prince. C’est un livre magique, qui touche des êtres humains, peu importe leur culture, religion ou génération. Il aborde ce qui est fondamentalement humain, ce qui nous unit au-delà de nos différences. Cette universalité rend le texte intemporel, car il soulève des questions que chaque être humain se pose, qu’il soit Occidental, Inuit ou Américain.

 

L'âme du Petit Prince est-elle destinée à s’étendre et à toucher toujours plus de cultures à travers le monde ?

 

Complètement. L'âme du Petit Prince est l'âme de l'Homme, de l 'Humanité. Honnêtement, je vis cela tous les jours depuis 20 ans. Je voyage autour du monde et rencontre des fans du Petit Prince partout. Dans des pays très différents culturellement, comme l'Inde, partager cet amour pour le récit crée déjà une connexion forte. Après, tout devient plus facile. Et cette incroyable communauté mondiale se modernise constamment.

 

 

Aujourd 'hui, nous avons besoin d'icônes référentes. Le Petit Prince en fait partie, pour la protection de la planète et la paix. A priori, le conte est une expérience individuelle, c'est-à-dire que nous avons tous une histoire personnelle avec le conte. Mais maintenant, ça devient une expérience sociale. Et nous, notre devoir, est justement de rendre cette expérience toujours plus collective à travers ce type de spectacle. Nous avons des shows, des expositions, des spectacles de drones, un parc d'attractions, des espaces immersifs partout dans le monde, toujours dans l’optique de partager, ensemble.

 

Célébrons-nous réellement les 80 ans du conte, ou est-ce un anniversaire quelque peu arrangé… ?

 

Alors, c’est compliqué… (rires) Le conte est sorti pour la première fois à New York en 1943. Nous avons par ailleurs fêté les 80 ans, à New York, en 2023, avec le spectacle d’Anne Tournié à Broadway. Nous avons aussi inauguré une statue du Petit Prince officielle, sur la 5e avenue, un moment riche en émotions. 

En réalité, Le Petit Prince est sorti en France trois ans plus tard, principalement à cause de la guerre. Il n’a été publié officiellement qu’en avril 1946. En France, nous célébrerons les 80 ans du livre en 2026, mais nous avons déjà marqué l'événement à Londres, car c'est la capitale de l'entertainment. Je trouve génial que nous, les Français, puissions jouer à Londres dans notre langue. 

Attention ! Certains diront que c’est le 79e ou même le 72e anniversaire du conte, car étant le livre le plus traduit au monde, chaque pays le célèbre à sa manière.

 

Il est rare que nous rejetons une adaptation, car elles ajoutent généralement à la richesse du message de Saint-Exupéry.

En tant que petit-neveu d'Antoine de Saint-Exupéry, créateur du récit, comment percevez-vous cet héritage ? 

 

Comme une responsabilité familiale, mais aussi un honneur et une grande fierté personnelle. Après 40 ans d’action, nous estimons que la mission est accomplie. Notre objectif était de diffuser la pensée de Saint-Exupéry et du Petit Prince dans le monde entier. Bien que l’œuvre se diffuse d’elle-même, il a fallu l’accompagner, notamment à travers la Fondation Saint-Exupéry pour la Jeunesse, créée il y a 15 ans, qui agit dans une vingtaine de pays.

 

 

L’héritage d’Antoine de Saint-Exupéry est avant tout une responsabilité, qui est d’ailleurs au cœur de son œuvre : « Nous sommes responsables de ce que nous apprivoisons ». Nous avons apprivoisé sa mémoire et celle de millions de fans. La fondation incarne ce devoir, car nous avons reçu cet héritage un peu par hasard, et il nous revient de partager son message. Nous voulons diffuser ce message, pas seulement préserver l’œuvre, et les nombreuses adaptations artistiques sont un moyen puissant d’y parvenir. Ces initiatives enrichissent l’œuvre originale et permettent d'atteindre un public plus large. Les créateurs qui s’y consacrent sont passionnés, et il est rare que nous rejetions une adaptation, car elles ajoutent généralement à la richesse du message de Saint-Exupéry.

 

Y a-t-il des moments où vous vous sentez détaché de Saint-Exupéry, ou votre vie tourne parfois entièrement autour de l'œuvre ?

 

Il s’agit d’un travail personnel. Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 17 personnes, plus un réseau international d’agents. C'est un travail passionnant, enrichissant et un vrai bonheur. Travailler sur Le Petit Prince et l’héritage de Saint-Exupéry est une chance incroyable qui donne parfois du sens à notre vie, comme lorsque nous collaborons avec des ONG. 

Le livre a changé ma vie, comme il a changé celle de beaucoup de personnes que je rencontre. Mon engagement est total et je suis entièrement dédié à l’œuvre. Même si notre vie est très marquée par cet univers, ce n'est pas un poids. Au contraire, voir le Petit Prince présent partout est une immense fierté. 

 

Y a-t-il des aspects de la personnalité d’Antoine de Saint-Exupéry que vous aimeriez que le public connaisse mieux aujourd’hui ?

 

J’ai eu la chance d’avoir un oncle qui a connu Antoine de Saint-Exupéry personnellement et qui a transmis à ma famille des souvenirs précieux. Cela dit, l’homme reste difficile à cerner en lui-même, car il était plein de contradictions. Nous pouvons suivre son évolution à travers son œuvre, surtout vers la fin, avec des écrits très philosophiques comme Citadelle. Antoine de Saint-Exupéry est un homme complexe. Pilote, écrivain, journaliste, dessinateur, philosophe, aventurier… Il avait de multiples facettes. 

Aujourd’hui, je serais curieux de lui poser des questions pour mieux le comprendre. Ce que je sais est qu’il était extrêmement charismatique, un ami fidèle et une personne passionnée par la science. Un homme adoré par beaucoup, bien que ses relations avec les femmes aient été plus… compliquées. C’était un personnage hors du commun.

 

En évoquant les adaptations du récit, certaines vous ont-elles particulièrement marqué ?

Il y en a plusieurs qui me viennent en tête. Le film de 2015 avec Mark Osborne était génial, tout comme un ballet du Ballet de Montréal, il y a une dizaine d'années. Les opéras, notamment celui de Rachel Portman et celui de Lévinas en France, m'ont beaucoup marqué. J’ai aussi aimé la comédie musicale de Richard Cocciante en France, il y a 23 ans. Récemment, un spectacle immersif créé à Bordeaux par Culture Espace (leader mondial des shows immersifs), a attiré 130.000 personnes en un mois. 

 

 

À Londres, il y a eu une comédie musicale créée par le fils du compositeur de Phantom of the Opera qui était tout bonnement incroyable, tout comme l’opéra à Leningrad avec un enfant chanteur impressionnant. En France, une pièce jouée au Théâtre des Champs-Élysées en 2006 pour les 60 ans du livre a également été un grand succès. Enfin, une autre expérience marquante a été au Cambodge en 2001, où, après l’épisode des Khmers Rouges, Le Petit Prince a été réédité en langue khmère, et un spectacle de marionnettes a été créé pour célébrer cela.

 

Le show d'Anne Tournier est encore bien différent ! Comment cette version parvient-elle à capturer l'esprit du livre selon vous ? 

Premièrement, elle respecte le livre dans la chronologie et l'édition des chapitres. Par exemple, les scènes des planètes, qui sont courtes et intenses dans le livre, sont magnifiquement traduites sur scène, avec une ambiance bien singulière pour chaque planète. L’utilisation des éléments du livre, comme les moutons, les ballons et l’allumeur de réverbères, permet de retranscrire l’univers de manière immersive. 

 

 

Les mouvements des athlètes évoquent la gravité et l’espace, donnant l’impression de voyager à travers les planètes. Le respect de l’histoire, notamment celle de la rose et du pilote, est très poétique, tout en étant énergique. Le spectacle est exactement ce que je rêvais de voir. Ce qui m'a particulièrement touché est que, malgré l’humour et l’énergie, l’émotion est présente de manière très forte, comme dans le livre. Lors des premières projections, les spectateurs étaient en larmes, ce qui prouve que l'essence du Petit Prince a bien été capturée. Je suis sûr qu'Antoine de Saint-Exupéry serait ravi de voir qu'il a trouvé la réponse à ses interrogations sur l’espoir et l’humanité à travers ce livre. C’est triste qu’il ne l’ait jamais su, mais de sa petite planète, il doit être heureux d’avoir donné tant de sens aux gens.

 

Qu'attendez-vous de l’expérience londonienne, vis-à-vis de la perception du Petit Prince ?

Il s’agit là d’un secret, mais l’Angleterre est l’un des rares endroits où le conte n’a pas le même rayonnement qu’ailleurs, et ce, car il est français. Les Anglais, ayant inventé tant de choses dans l'entertainment et la culture, n’ont pas besoin de ce "petit truc français". 

Cependant, ils adorent le livre, et il y a une vraie reconnaissance pour l’œuvre. Je pense que nous pouvons encore plus conquérir le cœur des Britanniques, avec un beau spectacle créatif, même s’il est en français. Il y a une grande littérature pour enfants ici, et bien que Le Petit Prince soit un champion dans ce domaine, il reste lié à la culture française, donc j’ai hâte de voir ce que le show va donner sur place !