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Les petits commerces face au déconfinement

Déconfinement PortugalDéconfinement Portugal
Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 3 juin 2020, mis à jour le 7 juin 2020

 
De nombreux petits commerces ont rouvert leurs portes le 4 mai dernier, à la grande joie des Lisboètes privés de vie de quartier pendant la quarantaine. Lepetitjournal.com est allé à la rencontre de ces commerçants pour savoir comment ils traversent les premières semaines de déconfinement.
 
Entre incertitudes, crainte d’une deuxième vague et optimisme forcé, les réactions des petits commerçants après presque trois semaines de déconfinement sont en demi-teinte. Pour certains, la crise sanitaire a eu des effets positifs et inattendus sur leur commerce, tandis qu’elle a muselé les affaires de beaucoup d’autres. Tous attendent que les semaines passent, que la peur s’atténue et que la vie reprenne son cours aussi normalement que possible.


Fernando, tenant d’une épicerie dans le quartier d’Arroios, compte sur les touristes pour revenir au Portugal.

« Moi et ma femme Rosa avons notre épicerie depuis plus de 30 ans. Pendant la quarantaine, nous sommes restés ouverts parce que nous vendons des produits alimentaires considérés comme étant « de première nécessité ». Cela a été un moment difficile pour nous, car nous sommes vieux, et l’idée d’être potentiellement en contact avec le virus chaque jour était vraiment effrayante. Mais nous ne pouvions pas nous permettre de fermer notre commerce, alors nous avons fait très attention afin de surmonter nos craintes. Au bout d’un moment, nous nous sommes habitués. Depuis que le déconfinement a commencé, nous avons plus de clients, mais ce n’est pas revenu comme avant, nos chiffres ont considérablement baissés. Le Portugal compte sur le tourisme, et nous aussi nous comptons sur les touristes. Ils reviendront j’en suis sûr, et la normalité aussi. Nous essayons de rester positifs. Aussi longtemps que nous pourrons payer le loyer, nous garderons la porte ouverte. »
 

Adèle, est gérante d’un petit hôtel près du jardin d’Estrela. Elle envisage de rentrer au Canada, son pays d’origine.

« C’est simple, l’hôtel est mort. Je ne peux même plus couvrir mes dépenses, j’ai dû renvoyer mes employés car je ne peux plus les payer. Aujourd’hui, la seule solution que j’ai trouvé pour sauver les meubles, c’est de louer les chambres au mois, pas cher évidemment, car la bulle immobilière n’a pas résisté au coronavirus. C’est terrible parce que les loyers reviennent enfin à des prix raisonnables, comme il y a quelques années, sauf que beaucoup de gens ont perdu leur boulot, ou font face à de graves difficultés financières, et qu’ils n’ont même plus les moyens de payer le loyer d’un appartement qu’ils pouvaient s’offrir il y a cinq ans. Je pense que nous allons au-devant d’une terrible crise économique globale, au Portugal et ailleurs. Le pire c’est que les impôts eux, n’ont quasiment pas baissés, donc mes revenus sont quasi nuls mais les factures continuent de tomber… c’est déprimant. Je ne sais absolument pas si je vais pouvoir reprendre mon activité là où je l’ai laissé en mars dernier. Après six merveilleuses années ici, j’envisage de quitter le Portugal et de rentrer au Canada, ça me brise le cœur rien que d’y penser ».
 

José, tient un café dans le quartier de la Mouraria, il essaie de rester positif jusqu’à l’année prochaine.

« Nous avons fermé le café le 18 mars et je viens seulement de rouvrir. J’aurais pu le faire avant mais j’ai préféré attendre un peu et faire des recherches pour savoir dans quelles conditions je pouvais relancer mon café – je trouvais que les informations données par le gouvernement n’étaient pas très claires et parfois difficilement applicables. Il y a beaucoup de conditions d’hygiène que la majorité des café de la Mouraria ne peuvent pas remplir par faute d’espace et de logistique. Cela n’a pas vraiment été pris en compte quand les politiciens ont établis toutes ces mesures.
Dans mon café, j’ai été contraint de retirer quelques tables pour pouvoir respecter la distance d’un mètre entre chacune, ne mettre qu’une chaise par table et je nettoie avec un produit désinfectant entre chaque client. Il y a aussi du gel hydroalcoolique à l’entrée et les gens n’entrent qu’avec des masques sur le visage. Au final, j’ai perdu 80% de ma clientèle mais je dois travailler d’arrache-pied pour que les 20% restant me permettent au moins de payer les factures. Evidemment ça ne suffit pas, mais que pouvons-nous faire ? J’essaie de me dire que ce qui est important, c’est la santé, c’est d’être en vie. J’ai beaucoup de chance d’avoir une famille et des gens qui m’ont soutenu pendant le confinement et qui continuent de me soutenir pendant le déconfinement. J’ai espoir que les choses s’am
éliorent petit à petit, et j’espère que l’année prochaine, je pourrais compenser les pertes de cette année. »

 

Martine, propriétaire du salon de coiffure Royale situé dans le quartier du Principe Real, déclare que dans le fond tout le monde joue le jeu et ça se passe bien.

 « La période du confinement a été compliquée pour nous, n’ayant reçu les appuis financiers que mi-mai, nous avons dû puiser dans nos économies personnelles pour payer les collaborateurs pendant toute cette période. Dès le début du déconfinement, nous avons eu beaucoup de rendez-vous, surtout des clients avec des besoins urgents et en même temps il a fallu s´adapter aux nouvelles mesures, les deux premières semaines n´ont pas été faciles. Maintenant, le flux de client a ralenti et nous n’avons pas encore récupéré nos clients habituels. Les mesures mises en place n´ont pas provoqué un grand changement dans notre fonctionnement puisque nous recevions déjà auparavant nos clients sur rendez-vous, notre espace est spacieux donc toute l´équipe peut travailler en maintenant une certaine distanciation. Nous avons un autre salon de coiffure à Caldas da Rainha plus petit et là-bas, par contre, l´équipe travaille par tour.  S’occuper de soi fait du bien au moral c’est certain ! Les clients viennent en toute confiance, il faut dire qu’on a les mains dans le shampooing toute la journée (rires) et puis on a des peignoirs et serviettes personnelles ainsi que des kits manucure pour chaque client. Nous sommes confiants pour la suite, les clients sont heureux de revenir. »

 

Cristina, propriétaire d’une boutique de fleurs dans le marché du Tijolo à Anjos, ne s’attendait pas à récupérer ses pertes aussi vite.

« Nous aurions pu rester ouvert pendant le confinement, car les fleuristes ont été considérés comme des commerces « essentiels ». Je sais que cela est étrange et même moi je n’ai pas compris toute de suite. Nous avons pourtant choisi de fermer trois semaines, car mon mari et moi avions peur. Pour des raisons financières, nous avons rouvert mi-avril, sans trop savoir comment les choses allaient tourner. À ma grande surprise les clients sont revenus tout de suite. Je pense que la quarantaine à eu ça de bon que les gens ont redécouvert les joies d’être chez eux, et de soigner leurs intérieurs, c’est là que j’interviens avec mes bouquets (rire). Les plantes sont toujours agréables et elles ont besoin de soin, donc c‘est joli et ça occupe ! Il y a eu beaucoup de funérailles aussi malheureusement,  donc on a vendu plus de fleurs qu’habituellement. Au final, j’ai réussi à compenser les trois semaines de fermeture en peu de temps. Je pense aussi que les gens ont changé leurs habitudes et qu’ils dépensent leur argent différemment. Puisqu’ils ne sortent plus et passent beaucoup de temps chez eux, ils n’hésitent pas à acheter des fleurs et des plantes pour rendre leur quotidien plus agréable. Ils sont aussi devenus plus patients qu’avant et moins pressés. Ils se sont habitués à faire la queue pour tout, et ils attendent sagement leur tour à l’extérieur de la boutique alors même qu’ils pourraient entrer. Je dirai globalement qu’ils sont très respectueux et responsables. »
 

Fatima, propriétaire d’une petite brasserie dans le quartier de Graça, se demande si les aides financières du gouvernement arriveront un jour.

« Nous avons été forcé de fermer pendant deux mois et nous avons rouvert le 18 mai. Les affaires vont très lentement et l’atmosphère est bizarre, mais c’est pour tout le monde pareil. Il n’y a plus grand monde dans les rues et quasiment plus de touristes à Graça, c’était la plus grosse manne financière de mon établissement. Quant aux locaux, ils ont peur d’aller au restaurant ou au café. Les commerces sont ouverts mais le virus est toujours là, tout le monde le sait. Les vieux restent à la maison, naturellement, ils ont peur, il n’y a que les jeunes qui sortent parce qu’ils veulent socialiser. D’un point de vue logistique, nous n’avons pas eu besoin de trop nous adapter, nous avons simplement changé la disposition des tables, mais étant donné que nous sommes plutôt un « fast food », cela n’a pas changé grand chose, les gens ne restaient jamais très longtemps de toute façon. C’est un peu étrange de voir les gens porter un masque quand ils entrent et puis l’enlever pour manger. Comment allons-nous survivre ? On ne sait pas vraiment. Ce qui est certain c’est que l’Europe envoie de l’argent au Portugal, mais que nous n’en voyons pas la couleur, alors que ce sont nous, les petits commerces, qui souffrons le plus de la situation. J’espère que petit à petit les choses vont aller mieux. Je me répète sans cesse « un jour après l’autre ». »
 

Raquel, pharmacienne dans le quartier de Rossio, ne s’inquiète pas pour l’avenir de l’industrie pharmaceutique.

« Il y a eu différentes phases pendant le confinement et après. D’abord, les gens ont paniqué au début de la crise, notamment après la fermeture des frontières, ils ont eu peur que les médicaments viennent à manquer, donc ils ont couru dans les pharmacies pour faire des stocks. Nous avons du établir une limite dans l’achat des médicaments pour ne pas encourager cette pratique. D’un point de vue financier, bien sûr que les pharmacies et les laboratoires ont fait de l’argent pendant la quarantaine. Les pharmacies n’auront pas souffert de la crise, bien au contraire, et s’ils trouvent un vaccin bientôt, les laboratoires vont encore s’enrichir. Nous avons été amené à modifier l’espace  pour l’accueil de tous ces gens. D’abord ils ont dû attendre et faire la queue dehors, rentrer les uns après les autres, puis petit à petit ils ont pu rentrer à plusieurs parce que les masques se sont popularisés et que les risques de contagion étaient moins élevés. Au fur et à mesure de l’avancée des évènements, nous avons rendu la pharmacie de plus en plus sécurisée au niveau des mesures d’hygiène. Nous nettoyons littéralement tout, notamment des choses que les gens touchent (la machine à carte bleue et une partie des produits en rayon) ça demande beaucoup de travail mais nous le faisons. Entre deux clients le comptoir est également désinfecté, par exemple.  Aujourd’hui les gens savent que les médicaments sont là et les choses reviennent un peu à la normale. D’ailleurs le flux de client est le même que l’année dernière à la même période. S’il y a une deuxième vague, peut être que les gens paniqueront moins que la première fois, mais nous n’en savons rien. Aujourd’hui ça va, demain nous verrons bien… »
 

 

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