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Leïla Slimani et Isabela Figueiredo: la question coloniale et l'émancipation féminine

Exposition de Sarah MaldororExposition de Sarah Maldoror
©C.Roux
Écrit par Camille Roux
Publié le 19 octobre 2022, mis à jour le 20 octobre 2022

Le 15 septembre dernier, la médiathèque de l'Institut Français du Portugal a accueilli les auteures Leïla Slimani et Isabela Figueiredo pour une conversation autour de l'un de leur ouvrage, respectivement la trilogie Le pays des autres et Carnet de Mémoires Coloniales. Animée par le journaliste, traducteur et éditeur Carlos Vaz Marques, cette conférence était axée principalement sur le colonialisme et l'émancipation féminine. Invitées à questionner leur identité, aussi bien de femme que de personne issue de famille ayant connu le colonialisme, leurs racines, mais aussi leur rapport au pays de naissance, ces deux auteures ont livré aux spectateurs un riche échange sur la société actuelle et son évolution.

 

Une réflexion profonde sur le colonialisme

Leïla Slimani, journaliste et écrivaine franco-marocaine, est née à Rabat, et y a effectué sa scolarité au lycée français Descartes. Elle se fait connaître par son roman Chanson Douce, qui décroche en 2016 le prestigieux prix Goncourt, une consécration pour l'auteure. Cependant, c'est autour de sa trilogie Le pays des autres que s'est axée cette conversation avec Isabela Figueiredo. Cette dernière, professeure de portugais et journaliste, est née au Mozambique, alors sous domination portugaise, jusqu'à l'indépendance du pays en 1975. Les deux auteures s'accordent sur un point qui les unit : elles sont toutes deux issues du colonialisme, et leur parcours aurait invraisemblablement été différent sans lui.

« Je n'ai pas compris », tels sont les premiers mots d'Isabela Figueiredo dans le prologue de son ouvrage Carnet de Mémoires Coloniales. Elle explique qu'elle aurait voulu comprendre pourquoi nous ne sommes pas tous égaux, pourquoi la petite fille occidentale vivant au Mozambique était privilégiée par rapport aux enfants qu'elle côtoyait. Écrire, c'est sans cesse se poser des questions, affirme de son côté Leïla Slimani, même si pour elle son incompréhension venait principalement de sa condition en tant que femme.

Pour Isabela Figueiredo, la rédaction de son livre fut assez complexe. Elle entretenait une relation ambivalente avec son père, qu'elle admirait, mais dont elle ne pouvait cesser de condamner les propos racistes et misogynes. Elle n'a d'ailleurs commencé à écrire qu'après son décès, et a lu le livre à sa mère en censurant certains passages pour ne pas la brusquer. On retrouve également ce tabou par rapport à la famille du côté de Leïla Slimani, qui ressentait ce besoin d'écrire mais qui ne voulait pas heurter sa mère en s'inspirant des parcours identitaires des membres de sa famille pour la rédaction de son roman, même s'il demeure en grande partie un ouvrage de fiction. Il est parfois difficile de mettre en lumière le passé familial, dans ses bons comme dans ses mauvais aspects.

Les deux auteures s'accordent ainsi sur de nombreux points, et notamment sur le fait que le poison du colonialisme perdure, comme en témoigne la montée de l'extrême droite en Europe, et notamment en France, où le Front National ne cesse de se renforcer depuis l'accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de 2002 face à Jacques Chirac. Leïla Slimani l'affirme, « on vote contre celui qu'on ne connaît pas », et accorde ainsi une grande importance à l'inclusivité et à la diversité ethnique des jeunes générations.

 

Conférence à l´IFP, Leïla Slimani et Isabela Figueiredo
©C.Roux


La place des femmes dans la société

Pour Leïla Slimani, l'émancipation des femmes passe par le savoir et les livres. Grande admiratrice de Simone de Beauvoir, elle s'éveille et prend conscience de sa condition après avoir lu son ouvrage Le Deuxième Sexe, un essai existentialiste et féministe paru en 1949. Durant son enfance, Leïla Slimani ne comprenait pas la différence de traitement entre les filles et les garçons. « C'est comme ça », lui répondait-on. Cet arbitraire ne lui convenait pas, et elle ne l'acceptait pas. Dans le deuxième volet de sa trilogie intitulé Regardez-nous danser, elle fait d'ailleurs le choix de centrer le roman sur le personnage d'Aïcha, qui incarne sa mère, et en fait une femme puissante qui suit des études en France et devient docteur en gynécologie obstétrique au Maroc. Elle marque ainsi l'ambivalence avec Mathilde, la mère d'Aïcha, qui a le sentiment de ne jamais s'être réellement émancipée de sa condition de femme au foyer. De son côté Isabela Figueiredo ressentait ce même désir d'émancipation, puisqu'elle affirme qu'elle ne voulait pas être comme les autres femmes, ni être comme sa mère. Elle ressentait une distance ethnique, mais également une distance du genre, « je me sentais en dehors du monde des autres », affirme-t-elle.


Sarah Maldoror : une cinéaste engagée pour l'émancipation des minorités  

Dans la continuité de ces deux sujets sociétaux majeurs, la galerie Torreão Nascente da Cordoaria Nacional de Lisbonne accueille jusqu'au 27 novembre 2022, et dans le cadre de la Temporada Portugal-França, une exposition sur la vie et l'oeuvre de la cinéaste Sarah Maldoror intitulée « Sarah Maldoror - Cinéma Tricontinental ».  Les spectateurs peuvent y découvrir une rétrospective de son oeuvre, de sa vie et de ses aspirations, avec pour point central son engagement pour les mouvements anti-impérialistes et la décolonisation.  A la suite au décès de Sarah Maldoror en avril 2020, le Palais de Tokyo de Paris lui avait déjà consacré une exposition en novembre 2021.

Née Marguerite Sarah Ducados dans le Gers en France, Sarah Maldoror, de son nom de scène, était une cinéaste et réalisatrice française engagée. Elle est notamment la fondatrice de la troupe de théâtre « Les Griots », première troupe noire de Paris en 1958. Elle trouve en son mari Mario Pinto de Andrade un compagnon partageant le même combat d'idée. Poète et homme politique angolais influent, il fonde le MPLA, Mouvement Pour la Libération de l' Angola, et en devient le premier président, en 1956. Sarah Maldoror, comme Leïla Slimani et Isabela Figueiredo, incarne une figure féminine engagée contre le colonialisme et dont l'oeuvre a permis de mettre en valeur le rôle de la  femme et les minorités.


A visiter jusqu´au 27 Novembre 2022 - Entrée libre du mardi au dimanche 10h-13h puis 14h-18h.

Pour en savoir plus :
https://galeriasmunicipais.pt/exposicoes/sarah-maldoror-cinema-tricontinental/
https://temporadaportugalfranca.pt/evenement/sarah-maldoror-cinema-tricontinental/

 

Publié le 19 octobre 2022, mis à jour le 20 octobre 2022

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