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Littérature Portugaise - Eliete ou la vie normale

Eliete ou la vie normale, Dulce Maria CardosoEliete ou la vie normale, Dulce Maria Cardoso
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 6 octobre 2020, mis à jour le 6 octobre 2020

 

Un nouveau roman de Dulce Maria Cardoso, une des voix les plus réputées de la littérature portugaise contemporaine, vient de paraître en français. Après Les cœurs arrachés, Les anges, Violeta et le très remarqué Le Retour, nous retrouvons son immense talent de conteuse dans Eliete, la vie normale.

 

Dulce Maria Cardoso

Petit à petit, les lecteurs français découvrent et respectent la littérature portugaise. Parmi les écrivains portugais qui défraient la chronique et que les éditeurs français n´ignorent plus, on trouve sans l´ombre d´un doute Dulce Maria Cardoso dont le roman précédent Le Retour a fait l´objet –à juste titre, d´ailleurs- des commentaires les plus dithyrambiques qui soient. Le titre évoquait le retour au Portugal, après l´indépendance des anciennes colonies africaines, de nombreux Portugais -souvent bredouilles- habitant surtout l´Angola ou le Mozambique, un peu à l´instar des pieds-noirs qui ont quitté l´Algérie en 1962. Pour les plus jeunes (ou du moins pour la plupart d´entre eux), la métropole était un pays qu´ils ne connaissaient pratiquement pas. Tout au plus y avaient-ils passé quelques semaines de vacances chez des proches avant la Révolution des Œillets, survenue le 25 avril 1974. Le rapatriement, ils l´ont naturellement vécu dans  la douleur d´autant plus qu´ils étaient vus d´ordinaire comme des intrus, vivant les premiers temps dans des chambres d´hôtel, devant endurer des files d´attente pour la distribution des repas ou des vêtements de seconde main. Par-dessus le marché, ces rapatriés étaient maintes fois victimes des quolibets de gens plutôt inhospitaliers. Cette expérience, Dulce Maria Cardoso l´a ressentie dans sa propre peau puisque, née en 1964 dans la région de Trás-os-Montes, au nord-est du Portugal, elle a passé son enfance en Angola d´où elle est rentrée après la décolonisation.

 

Avec Eliete, la vie normale, Dulce Maria Cardoso renoue avec des personnages forts et  hauts en couleur.

Ce roman, de par l´intrigue,  n´a apparemment aucun rapport avec le  précédent. Néanmoins, il y a parfois des références historiques et des caractéristiques les rapprochant un tant soit peu : l´État Nouveau (la période de la dictature de Salazar, puis de Caetano), la Révolution des Œillets, le lieu de l´intrigue (Cascais, la banlieue aisée de Lisbonne), la présence d´un narrateur à la première personne.  

Eliete a 42 ans, elle est mariée et a deux enfants. Née quatre mois après la Révolution des Œillets, elle représente la génération ayant grandi dans l´euphorie de l´adhésion du Portugal à la Communauté Économique Européenne (puis Union Européenne) en 1986, une époque où l´on croyait à la prospérité éternelle, où l’abondance des fonds communautaires faisait penser que la crise ne sévirait plus sur ce vieux pays plutôt pauvre qui se nourrissait de son passé glorieux de grands navigateurs et de grands conquérants. La génération d´Eliete a pourtant vécu de plein fouet la grande crise qu’a traversée le Portugal après 2008. Eliete mène une vie banale d´employée d´agence immobilière qui bascule cependant quand sa grand-mère bien-aimée se met à perdre la tête.

Dans l´ère de Tinder, Facebook, Instagram et WhatsApp, Eliete, comme tant d´autres, est une femme solitaire. Elle semble en plus étouffer dans son rôle de femme et de mère dévouée et délaissée. Elle s´interroge sur sa vie soi-disant normale, sur les rapports humains alors que ceux qui nous sont apparemment les plus proches nous deviennent  étrangers.

Dans une interview accordée à la télévision publique portugaise (RTP) en novembre 2018, lors de la parution du roman au Portugal, Dulce Maria Cardoso a affirmé qu´elle a avec ses personnages une relation similaire à celle qu´elle nourrit avec les gens et que Eliete, la vie normale est un roman sur l´identité d´une femme, mais aussi en quelque sorte sur l´identité d´un pays. Pour Dulce Maria Cardoso, tout –les sujets que l´on choisit pour les fictions que l´on écrit, l´éclosion des personnages, le rythme du récit– a besoin d´un temps de maturation. Sur cette fiction très particulière dont il est question ici, il est important, pour l´auteur, de mettre en exergue que la normalité sous-jacente à la trame du roman, comme toute normalité, dissimule une tyrannie, voire une perversité. Pourtant, la normalité n´en est pas moins séduisante : «J´ai toujours appartenu à des minorités, tout en étant nostalgique d´une normalité que je voyais chez les autres».  

Dulce Maria Cardoso laisse insinuer que Eliete, la vie normale -roman auquel le lecteur français a maintenant accès grâce aux éditions Chandeigne (au Portugal, il fut publié par Tinta da China)- est peut-être le premier volet d´une possible trilogie. Quoi qu´il en soit, elle s´impose indiscutablement comme une des valeurs sûres de la littérature portugaise contemporaine.

Dulce Maria Cardoso, Eliete, la vie normale, traduit du portugais par Elodie Dupau, éditions Chandeigne, Paris, septembre 2020.

 

 

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