Du 5 au 16 octobre, la Festa do cinema Francês se déroulait au cinéma São Jorge de Lisbonne. Lors de cette 24e édition de la Festa le film "Capitães de Abril" réalisé par Maria de Medeiros a fait l'objet d'une projection le jeudi 12 octobre. A cette occasion, Lepetitjournal s'est entretenu, en exclusivité, avec l´actrice et réalisatrice Maria de Medeiros.


L'actrice et réalisatrice que vous connaissez certainement pour son rôle dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino était présente lors de la projection de ce film qu'elle a réalisé il y a 23 ans et qui a été nominé à Cannes l'année de sa sortie.
Le Président de la République portugaise, le ministre de la Culture et le secrétaire d´État à la Mer en compagnie de l'Ambassadrice Hélène Farnaud-Defromont étaient présents pour assister à la projection du film dont le visionnage relève aujourd'hui d'un devoir de mémoire. Il porte un message démocratique qui résonne encore davantage à l'aube de l'anniversaire des 50 ans de la Révolution du 25 Avril.
Le film de Maria de Medeiros sera également présenté à Porto, où la Festa do Cinema Francês se poursuit jusqu'au 31 octobre. Capitães de Abril y sera diffusé le 25 octobre.
Lepetitjournal : A l'aube de l'anniversaire des 50 ans de la Révolution des Oeillets, le long métrage que vous avez réalisé fait l'objet d'une rediffusion. Les 23 ans de recul sur sa réalisation vous offrent ils une perspective nouvelle sur ce film?
Maria de Medeiros: C'est un film qui a 23 ans, un film de jeunesse qui a été sélectionné à Cannes à sa sortie et qui a fait l'objet d'une attention internationale. Ici au Portugal il y a eu parfois une certaine résistance au fait qu'une actrice, plus jeune, s'empare de ce sujet. C'est aussi un film qui a été montré à Science Po en France, d'ailleurs le grand historien Yves Léonard spécialiste des transitions ibériques s'appuie beaucoup sur le film et me soutient car il sait combien le travail a été fait dans le souci de fidélité des protagonistes de la révolution. Mais tout évènement et encore plus une révolution aussi particulière que celle-ci offre des lectures différentes et qui changent au fil des années. C'est un processus naturel et sain, cela signifie que l'œuvre est vivante.

50 ans après la révolution, quel regard portez-vous sur cette liberté retrouvée?
Je pense que c'est vraiment un événement totalement portugais par ses caractéristiques, mais à portée européenne et mondiale. Il a montré au monde qu'on peut sortir de 48 ans de dictature sans provoquer de bain de sang, sans provoquer de régime de terreur, sans tomber dans la violence. C'est pratiquement unique dans l'histoire, qu'un coup d'État soit fait par des militaires qui instaurent une démocratie civile sans prendre le pouvoir. Souvent les révolutions provoquent des guerres, celle-ci avait pour but d'en arrêter une. Une guerre coloniale absolument sanglante qui durait depuis 13 ans dans d'immenses territoires africains. Ma vision de la Révolution des Oeillets, c'est une vision moderne. Dans un contexte de guerre froide où les deux blocs s'affrontaient, de jeunes militaires ont échappé au projet et à la vigilance des blocs. C'est une révolution faite à partir de la conscience et du sens des responsabilités de ceux qui l'ont impulsée. C'était inédit, et ça a surpris tout le monde. Pourtant, cela a duré peu de temps, presque 24 heures. A ce titre, j'ai voulu que mon film respecte les règles du théâtre classique avec une unité de temps de lieu et d'action. J'ai voulu raconter cette parenthèse de foi absolue en la conscience et en l'humanité bien que la guerre des blocs ait très vite repris après.
Vous parliez de modernité, l'état actuel de la démocratie au Portugal est-elle selon vous à la hauteur des espérances portées par cette révolution?
Au Portugal je dirais que oui, car cette démocratie tient, elle tient même plutôt bien. Le virus de l'extrême droite se propage un peu partout mais le Portugal y résiste, à ce titre le discours du Président aujourd'hui allait dans ce sens. Il y a un héritage démocratique qui est véritablement ancré dans la société portugaise.
A ce titre, le Président de la République portugaise et l'ambassadrice de France au Portugal étaient présents ce soir, pour assister à la projection. Y êtes-vous sensible ?
J'étais extrêmement touchée. Ce sont mes deux langues mes deux nationalités. Qu'un film tourné il y a 23 ans soit programmé dans un festival du cinéma français au Portugal comme avant-goût des célébrations des 50 ans du 25 Avril, c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Et qu'à ce haut niveau de représentation des deux pays, il y ait une attention portée à ce que ce film raconte, cela m'émeut évidemment.
Après la parution de ce film, vous avez enchaîné les court-métrages. Qu'est ce qui motive cet attrait pour le format court?
En effet, Capitaines d'Avril m'a demandé 13 ans d'obstination pour sa réalisation tout était lourd et compliqué. On a investi le centre de Lisbonne avec des chars d'assauts, des blindés, des centaines de figurants... Après tant de logistique je rêvais de retourner à un format léger, de pouvoir gérer moi-même la caméra. Le cinéma a cela de merveilleux qu'il peut être tout et son contraire: des logistiques insensées, des moyens une grande mobilisation, comme il peut être à taille humaine, on prend une caméra, on regarde le monde et on dit quelque chose de poétique à son sujet !

Aujourd'hui votre film est entré dans la culture cinématographique classique. Le visionner relève d'une forme de devoir de mémoire. En le réalisant, étiez-vous consciente de l'impact qu'il allait avoir?
Ce qui est certain, c'est que faire ce film était devenu une espèce d'objectif vital, une nécessité absolue que de raconter cette histoire du point de vue de ces militaires, dans leurs jeunesses, dans leur maladresse dans leur incroyable courage et leur sens de la responsabilité. Et comme « la guerre froide » a repris très vite après, eux-mêmes ont été écartés ou se sont écartés comme c'est le cas de Salgueiro Maia qui est retourné dans sa caserne.
Les récits et les narrations des uns et des autres ont pris beaucoup de place. Il fallait raconter l'histoire de leur point de vue et cela m'a véritablement enchanté à la lecture de leurs livres et journaux. Tous faisaient référence au cinéma dans leurs écrits. Tous disaient qu'ils s'étaient vus dans un film dont le style pouvait varier d'Oliver Stone à Charlie Chaplin. Réaliser ce film faisait d'autant plus sens dans ces conditions.
Le personnage de l'enfant porte une symbolique poétique et pleine d'espoir.. Cet enfant, c'est vous?
Oui, cet enfant c'était ma génération, nous tous qui avons vu nos parents fous de joie, vivre cette révolution. Cela a été évidemment une révolution géopolitique très importante mais cela a aussi été une révolution sociale. La société portugaise a subi une immense vague de divorce, les femmes criaient à la liberté sexuelle, les couples se sont défaits puis refaits. Nous, nous étions des enfants ballottés dans ce tourbillon, nous étions hyper politisés, et cet enfant est le symbole de notre point de vue sur nos parents. J'ai d'ailleurs dédié ce film à mes parents et à ma fille car je me suis vue comme un chaînon dans l'histoire.
Avez-vous de nouveaux projets en cours?
Oui, j'ai beaucoup travaillé sur le Brésil, notamment avec un projet pour la Commission d'Amnistie et Réparation au Brésil au moment où le Brésil s'est préoccupé de la réparation des victimes de la dictature militaires après les persécutions atroces qui ont eu lieu. D'une certaine façon, je sentais que cela répondait aux Capitaines d'Avril, puisque le Brésil était encore en pleine dictature lorsqu'on a fait la révolution au Portugal. Plus récemment j'ai fait un autre film sur le Brésil au moment où le pays basculait dans un régime d'extrême droite, avec les démons de la dictature qui refaisaient surface.
Maintenant, j'ai un projet qui a à voir avec la révolution cubaine. Une vision et un point de vue féminin sur cette révolution.
Peut-on vous considérer comme un soldat humaniste du cinéma international?
Oui peut-être, je n'y avais pas pensé! C'était sûrement inconscient au départ mais mes films dialoguent véritablement autour des droits humains et de la démocratie.
Vous ne vivez plus au Portugal depuis vos 18 ans, mais vous gardez un lien avec Lisbonne, Pouvez-vous partager un coup de cœur lisboète avec nos lecteurs?
Il y a tellement de choses que j'adore ici, le Portugal offre tellement de choses à découvrir, une telle variété au sein d'un petit territoire, mais j'adore par-dessus tout les musées de Lisbonne: le musée Calouste Gulbenkian, les musées de Arte Antiga, le nouveau musée MAAT sont des endroits que je recommande.
Consultez la programmation : www.festadocinemafrances.com
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