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La femme et l'oiseau : un roman d'Isabelle Sorente

Isabelle-SorenteIsabelle-Sorente
©éditions Jean-Claude Lattès
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 30 septembre 2021, mis à jour le 30 septembre 2021

Chroniqueuse à France-Inter, fondatrice en 2008 de la revue Ravages, et auteur d´une douzaine de livres, Isabelle Sorente vient de publier aux éditions Jean-Claude Lattès La femme et l´oiseau, un des romans les plus intéressants de cette rentrée littéraire. C´est sans doute, comme nous le présente l´éditeur, «un grand roman envoûtant sur les Malgré-nous du passé et ceux du présent, pris au piège de combats qu´ils n´ont pas choisis, héritiers de la violence et d´un lien mystique à la nature».


Isabelle Sorente, écrivaine

Passionnée par les mathématiques, ancienne élève du Corps de l´aviation civile où elle a passé son brevet de pilote privé, rien ne prédisposait Isabelle Sorente, née à Marseille en 1972, à devenir écrivain. Néanmoins, ses pièces de théâtre, puis le succès de son premier roman L, consacré au thème de l’addiction et à l’infantilisation des femmes dans une société conformiste, l´a définitivement tournée vers l’écriture.

Les romans d'Isabelle Sorente traitent notamment de la cruauté des phénomènes contemporains, comme dans La Prière de septembre, et ils exposent des personnages confrontés à leur démesure (Le Cœur de l'ogre), à leur fantaisie (Panique) ou à leur propre pouvoir de métamorphose (Transformations d'une femme). Son roman Le complexe de la sorcière, paru en 2020, oscille entre travail de mémoire collective sur les chasses aux sorcières et l´introspection de la narratrice sur sa propre expérience de la persécution.


La femme et l´oiseau : un roman envoûtant

Le roman La femme et l´oiseau, porté par un langage poétique fin et chatoyant, met en scène une histoire qui nous envoûte dès les premières pages. Lorsque sa fille, Vina, est exclue du lycée pour avoir menacé un camarade de classe, Elisabeth, une productrice de documentaires, veuve, décide de se réfugier avec elle en Alsace chez Thomas, son grand-oncle. La jeune fille, une adolescente qui cherche ses repères et qui veut donner un sens à sa vie, sachant qu´une autre femme qu´Elisabeth, l´Indienne Anju Prasad, l´a portée dans son ventre, la jeune fille donc, qui, on l´a vu, répond au nom de Vina, est aussitôt fascinée par cet arrière grand-oncle, cet homme mystérieux qu´elle ne connaissait pas, qui communique avec les oiseaux et semble lire les pensées. Avant l´arrivée de sa petite-nièce et de la fille de celle-ci, Thomas ne partageait ses secrets qu´avec les faucons qu´il nourrissait chaque jour. Il est très vieux, il a 91 ans, et pourtant il semble un éternel jeune homme. Il se remémore souvent le temps où il fut un jeune soldat. Contre son gré puisqu´il fut enrôlé de force, à l´âge de 18 ans.

Thomas a fait partie avec son frère Alex des Malgré-nous, une réalité peu évoquée en dehors de l´Alsace. Les Malgré-nous étaient des Mosellans et des Alsaciens qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, ont été contraints de rejoindre la Wehrmacht, l´armée allemande. Ils étaient pris dans une guerre qui n´était pas la leur. Certains Alsaciens et Mosellans simulaient des accidents pour ne pas avoir à porter l´uniforme allemand : des pieds et des mains écrasés (par des marteaux, entre deux portes) qui les rendaient parfois inaptes à vie, des hépatites soudaines, enfin boire de l´huile chaude ou du vin glacé. Pour Thomas et Alex, c´était trop tard, un officier les ayant vus couper du bois devant la maison. Depuis la fin de la guerre, les Malgré-nous ont quand même fini par bénéficier heureusement des mêmes droits que les Français ayant combattu dans l´armée française.

Dans le roman, c´est l´expérience de guerre de Thomas qui lui a permis de comprendre le langage des oiseaux et de lire les pensées. Il fut pris par les Russes et interné, avec son frère Alex, au camp de Tambov : «Sous les lueurs de l´aube, le camp de Tambov ressemblait à un village à moitié enterré, car seul le haut des baraques de bois émergeait du sol. Comme des maisons de pain d´épice et de sorcière, aux trois quarts enfouies dans la terre, attendant ceux qui se perdaient dans la forêt».

Vina s´identifie de plus en plus à cet arrière grand-oncle dont la figure et l´expérience de vie la renvoient à des leçons de physique qui lui avaient causé une grosse impression : «Elle avait attendu ce moment tout l´après-midi. Le moment de se retrouver seule avec lui pour lui poser les questions dérangeantes qui n´avaient pas cessé de tourner dans sa tête depuis qu´ils avaient redescendu la colline. Depuis qu´elle avait eu le sentiment de marcher dans sa mémoire juste à côté de lui. Est-ce que ce genre de choses était vraiment possible ? Est-ce qu´on pouvait voyager dans les souvenirs de quelqu´un d´autre, ou se rappeler des choses dont on ne pouvait pas se rappeler ? Des choses dont on était beaucoup trop jeune pour se souvenir. Comme si le passé était un film aux couleurs violentes tout d´un coup projeté devant vous ? Le prof de physique leur avait parlé, une fois, de ces hypothèses selon lesquelles le temps n´existe pas vraiment. Du moins pas tel qu´on le perçoit habituellement».


Roman de la douleur, mais aussi de la nature, de la liberté, de la grandeur retrouvée, La femme et l´oiseau est indiscutablement un des livres de la rentrée à ne pas manquer.


Isabelle Sorente, La femme et l'oiseau, éditions Jean-Claude Lattès, Paris, août 2021.

 

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