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25 avril - Les œillets ont-ils toujours le parfum de la révolution ?

oeillets de la révolution portugaiseoeillets de la révolution portugaise
Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 25 avril 2019

A la veille des commémorations du 25 avril, Lepetitjournal est allé à la rencontre des nouvelles générations de Portugais pour comprendre ce que cette date historique signifie pour eux en 2019.
 
Il y a la génération qui a mené la Révolution du 25 avril 1974, qui a connu "l’avant", et pour qui l’hymne de José Afonso fait encore monter les larmes. Et il y les générations d’après, X et Y, qui ont grandi avec les histoires de leurs aînés et qui portent sur la révolution portugaise un tout autre regard, quelque part entre l’admiration d’un passé fantasmé et un certain désenchantement. 45 ans après que la Révolution des Œillets a balayé la dictature salazariste et initié un long processus de reconstruction identitaire au Portugal, que reste-il de la "terre de fraternité" dont parlait Zeca dans Grândola Vila Morena, et que signifie le 25 avril pour ces générations qui ne l’ont pas connu ?
 
 

Nicolas, 35 ans, traducteur et musicien, Franco-Portugais, vit à Lisbonne depuis cinq ans et fait plutôt partie des déçus pour qui la révolution du 25 avril a paradoxalement engourdi du même coup l’esprit de rébellion du peuple portugais : "Le 25 avril porte en lui l'idée romantique d'un renversement du pouvoir fasciste par le peuple main dans la main avec l'armée, la fleur au fusil, une révolution désarmée et désarmante. Pour moi la révolution n’est qu’un mythe qui a viré au rouge pâle. C'est devenu le symbole de l'échec d’un projet populaire et celui d'une société égalitaire. L’arrivée de la démocratie socio-libérale en 1976 et avec elle, les jeux de pouvoir et les privilèges ont pris le pas sur la solidarité. Pour moi, le 25 avril c’est un espoir mort né qui cristallise tous les échecs successifs des révoltes et des luttes sociales au Portugal. Depuis 1974, elles ont toutes été tuées dans l'œuf, par l'absence de tradition de mobilisation populaire mais aussi par une stigmatisation systématique de toute velléité révolutionnaire par la classe politique dirigeante. Le peuple portugais vit dans une amnésie de la lutte depuis 1976, il ne sait plus se révolter. Et moi, chaque 25 avril, j'attends un sursaut qui ne vient jamais. On ne rejoue pas la révolution, il faut en construire une autre. Je serai dans la rue le 25 avril prochain, pas pour commémorer la révolution de 1974, mais pour me rendre compte de ce qu’il reste à faire dans ce pays" nous dit-il.
 

Diogo, 27 ans, manager d’un restaurant lisboète, se rappelle des discours en demi-teinte entendus dans son enfance : "Ma grand-mère disait simplement que le 25 avril n’avait fait aucune différence pour elle, et elle était salazariste c’est pour dire… Bien sûr chacun a sa version de l’histoire. Elle me racontait que les années qui ont suivi la révolution ont été sombres, teintées de pauvreté, les gens avaient peur de voir tout s’écrouler à nouveau. En 2019, le souvenir romantique du 25 avril est encore frais dans les mémoires et notre génération se doit d’être à la hauteur de la lutte que nos aînées ont menée pour notre liberté. Il y a une certaine pression sur nous en ce sens" confie-t-il.
 

Maria, 23 ans, étudiante en philosophie à l’université de Barcelone, voit dans les manifestations qui ont eu lieu au Portugal ces derniers mois, des actes contestataires significatifs empreint de l’esprit révolutionnaire du 25 avril. Elle déclare : "Si l’esprit de la révolution du 25 avril est vivant ? S’il est encore parmi nous ? C’est une question difficile… Je ne répondrai pas tant sur "l’esprit du 25 avril", mais plutôt sur "l’esprit de la révolution", c’est à dire sur le désir d’émancipation. Il est vrai qu’il n’y a peut-être pas de mouvement organisé, de discours cohérent, mais finalement c’est peut-être un des points forts des révolutionnaires : le fait que nous ne savons pas qui ils sont, comment ils sont organisés et comment ils fonctionnent… Si on jette un œil aux dernières grèves qui ont hanté ce coin de l’Europe ces derniers mois (les infirmières, les dockers, les enseignants), elles ont plutôt été efficaces et certaines ont paralysé le pays pendant plusieurs jours, ce n’est pas rien ! Je dirai que l’esprit du 25 avril n’est plus parmi nous, mais à regarder de plus près, l’esprit d’émancipation qui a empreint cette date, lui, est encore bien vivant. Je ne crois pas que nous soyons à l’aube d’une nouvelle révolution, mais je pense en revanche que ces choses là sont imprévisibles. C’est une question de point de vue. Moi je vois en ces grèves, ces moments de lutte, une ouverture sur un autre monde possible, loin de la misère actuelle."
 

25 avril

André, 42 ans, photographe et éditeur, porte un regard réaliste et sentimental sur les évènements du 25 avril 1974 et sur les commémorations annuelles : "Je suis née en 1976 à Porto, deux ans après la révolution. Quand j’étais enfant mes parents m’ont toujours dit à quel point cette révolution avait été importante pour eux. Les mois qui l’ont suivi ont été extraordinaires. Un gout de liberté flottait dans l’air et tout était possible. Ce furent les mois les plus excitant de leur vie. Ils m’ont expliqué qu’avant la révolution il n’y avait ni liberté, ni démocratie et qu’il ne fallait jamais les tenir pour acquises. Enfant, ils m’emmenaient toujours à la marche du 25 avril, ils m’achetaient un œillet que je portais fièrement, et nous chantions tous "25 avril pour toujours". Beaucoup de gens issus de la génération qui a mené la révolution ont dit que les idéaux révolutionnaires – communistes et égalitaires – ont été trahis presque immédiatement. Mais ceux qui se sont battus pour notre liberté, qui sont allés en prison parce qu’ils s’opposaient au régime, ceux qui ont résisté, ces gens sont des héros pour moi. J’ai toujours regardé cette génération avec admiration et envie, et j’aurais souhaité avoir vécu ce moment. Il y avait un amour profond pour la liberté, la démocratie. Aujourd’hui nous vivons dans un pays capitaliste et individualiste et l’idée d’une société unie s’est évanouie. Une révolution c’est comme un mariage, on ignore si cela va marcher, mais il faut y croire. Moi je crois encore que l’esprit de cette révolution nous a été transmis, qu’il est en nous." dit-il sur un ton de confidence.
 

Rita, 35 ans, chargé de communication, rappelle l’incertitude de notre époque et l’importance du devoir de mémoire qui incombe aux nouvelles générations de Portugais : "Pour moi et ma famille, le 25 avril est un moment important. Nous allons au défilé tous les ans, nous achetons des œillets, écoutons Zeca dont je connais les paroles depuis que j’ai 7 ans. Je pense que l’esprit de la révolution est toujours vivant au Portugal, les gens l’ont dans leur cœur et je le transmettrai moi aussi à mes enfants. Nous sommes la première génération à grandir et élever nos enfants dans une démocratie. Nous ne devons pas oublier que tout peut basculer très vite, regardez au Brésil… il faut nous rappeler que la liberté d’expression et l’accès à l’éducation n’ont pas toujours été acquis et je pense que notre génération tient toujours à ses valeurs. Pour moi la révolution n’appartient pas au passé, elle appartient au présent." affirme t-elle avec conviction.
 
 
Nicolas, Diogo, Maria… d’autres ont répondu à notre enquête, et les discours fluctuent globalement entre patriotisme, sentimentalisme et découragement. Tous ont aussi mentionné l’idée que plus les années passent et moins les nouvelles générations s’identifient à leurs aînés qui se sont battus il n’y a pas si longtemps que cela pour leur liberté.
Injuste ou normal ? Le temps semble en tout cas avoir plutôt tendance à clairsemer les rangs plutôt qu’à les resserrer.

 

Publié le 24 avril 2019, mis à jour le 25 avril 2019

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