

Un saut au-dessus de l'eau, une nageoire grise qui dépasse? Les dauphins sont bien présents à Istanbul et jouent régulièrement à cache-cache avec les humains dans les eaux du Bosphore. Ayaka Amaha Öztürk, qui travaille à la Fondation Turque pour la Recherche Marine ainsi qu'à l'Université d'Istanbul, a accepté de parler de ces dauphins au petitjournal.com d'Istanbul
Depuis les rambardes des bateaux qui traversent le Bosphore ou conduisent aux Iles aux Princes, alors que le vent ébouriffe les cheveux et que les mouettes tournoient au-dessus de l'eau, il n'est pas rare d'apercevoir des dauphins, de plus ou moins loin (photo Atakan Sevgi, Flickr, CC). Chaque fois, les réactions sont les mêmes : les gens s'exclament, les montrent du doigt, les prennent en photo. Les dauphins suscitent une certaine curiosité et bénéficient d'une image très positive, tout en restant quelque peu énigmatiques. En effet, que savons-nous de ces mammifères qui accompagnent parfois un bout de notre route sur le détroit d'Istanbul ?
"On observe trois sortes de dauphins" explique Ayaka Amaha Öztürk, qui travaille à la Fondation turque pour la recherche marine (TÜDAV) ainsi qu'à l'Université d'Istanbul. "Il y a le grand dauphin, qui est aussi celui qu'on trouve le plus dans les aquariums. Puis il y a le dauphin commun, qui se tient généralement loin des rives et ne fait que passer. Il y a enfin le marsouin, qui est petit. On le trouve surtout dans la mer Noire." La présence des dauphins n'est pas un phénomène récent, bien au contraire. Ils étaient là avant qu'Istanbul ne soit aussi peuplée, et étaient peut-être même alors plus nombreux? Le printemps et l'été sont les meilleures saisons pour voir les dauphins, aux alentours de la fin du mois de juin et du début de juillet. "La pêche commence le 1er septembre, ainsi à l'automne il y a beaucoup de bateaux et les dauphins ne peuvent pas forcément s'avancer", précise Ayaka Amaha Öztürk.
La vie dans le Bosphore
Les dauphins viennent dans le Bosphore pour plusieurs raisons, mais avant tout pour trouver de la nourriture. Ils se nourrissent en effet des poissons qui migrent par ses eaux. Malheureusement, les humains consomment également beaucoup de poissons et le Bosphore est largement exploité par la pêche, qui n'en laisse plus toujours assez aux dauphins. "Les pêcheurs se plaignent des dauphins, mais ils sont là depuis plus longtemps que nous !" insiste Ayaka Amaha Öztürk. L'alimentation des dauphins subit aussi les conséquences de la pollution. "Il y a à la fois la pollution qui vient du Danube, et la pollution domestique des maisons et des usines." Cette pollution contamine d'abord les petites créatures, qui contaminent à leur tour les dauphins une fois qu'ils les mangent. "Plus on remonte dans la chaîne alimentaire, plus la concentration en polluants augmente. Les dauphins sont comme les humains, ils sont au sommet de cette chaîne, ce sont les plus grands prédateurs ici, puisqu'il n'y a par exemple pas de requins." On ne connaît pas les effets de tous les polluants sur les dauphins, notamment ceux des eaux usagées déversées par les habitations.
Les dauphins ont également besoin de s'amuser, de se reposer ou encore de se reproduire. Le détroit connaît une activité assez dense, ainsi les dauphins ne peuvent-ils pas vraiment s'y adonner à ces activités. "Quand on va au nord du détroit, là où il y a moins de trafic et moins de population, on peut assister à certains de ces comportements" note Ayaka Amaha Öztürk. Si on peut tout de même voir de temps à autre des dauphins au repos, on ne voit par contre jamais de naissance. "On voit des bébés dauphins, mais jamais de naissance dans le Bosphore." Les activités du Bosphore peuvent générer du stress chez les dauphins. Si les gros bateaux ne les dérangent pas particulièrement, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ils sont facilement perturbés par les petits bateaux à moteur. "Ils s'accommodent des gros bateaux, car ils comprennent à peu près où ils vont. Mais les bateaux à moteur sont imprévisibles, ils apparaissent tout à coup et les dauphins doivent réagir rapidement, ce qui engendre du stress" explique Ayaka Amaha Öztürk.
Les dauphins et les hommes
Photo Yaprak Cika, Flickr, CC
On donne régulièrement au dauphin le rôle d'ami de l'homme, voire même de sauveur en cas d'attaque de requins. Il n'est toutefois pas certain que les deux espèces connaissent réellement une relation privilégiée. Selon Ayaka Amaha Öztürk, ce que les dauphins aiment avant tout, c'est jouer avec ce qui les entoure. "Ils aiment pousser ce qui flotte à la surface : algues, éponges etc. Peut-être ne voient-ils les hommes que comme des objets qui flottent. Il est dur de savoir s'ils ont déjà vraiment cherché à sauver quelqu'un. " Ayaka Amaha Öztürk se veut en tout cas rassurante : "Tant que vous ne leur faites pas de mal, ils ne vous en feront pas non plus." Les dauphins ont généralement tendance à se tenir éloignés des côtes sur lesquelles les humains sont concentrés. "Le détroit d'Istanbul est toutefois une exception car même dans les zones les plus fréquentées telles qu'Üsküdar, Be?ikta? ou Ortaköy, il arrive que l'on voit des dauphins jouer."
En Turquie, les dauphins sont protégés. Il y avait auparavant une chasse au dauphin dans la mer Noire, mais elle a été abolie en 1983. Une loi existe, mais Ayaka Amaha Öztürk déplore une application vague. "Les dauphins sont protégés mais personne ne fait rien pour les protéger au-delà de cette loi." Il n'y a notamment pas de législation contre la captivité des dauphins en parcs aquatiques, pratique à laquelle la majorité des membres de la Fondation Turque pour la Recherche Marine sont opposés.
"Suite à de lourdes pressions, le gouvernement a interdit la capture de dauphins dans les eaux turques. Si un parc aquatique ouvre, c'est que les dauphins ont été importés d'autres pays." La Convention de Washington (CITES) régule et restreint le commerce des animaux sauvages. "Mais les gens parviennent toujours à importer les animaux d'une façon ou d'une autre." Le Bosphore reste en tout cas le meilleur endroit de Turquie pour admirer des dauphins? en liberté !
Amélie Boccon-Gibod (www.lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 18 juin 2014 (REDIFFUSION)


































