L'Indonésie célèbre l'anniversaire de la naissance du prophète, le "Maulid" selon les traditions javanaises. Selon le calendrier lunaire, Maulid a lieu du dimanche 15 au soir au lundi 16 septembre au soir.
L’Indonésie, terre de rencontres, d’échanges et de syncrétisme
Animiste à ses débuts, révérant les esprits des volcans ou des ancêtres, elle fut sensible à la venue de la pensée indienne qui la façonna si profondément pendant des siècles, dans sa langue, son administration de la cour et ses religions, dont les plus belles expressions sont Borobudur et Prambanan. Si l’islam fit son apparition dès le VIIIème siècle, il faut attendre le XIVème siècle pour assister à son expansion par des commerçants, suivis bientôt d’érudits et prosélytes.
Le passage des portugais, la colonisation hollandaise et l’élan missionnaire transformèrent aussi, dans une moindre mesure, le paysage religieux. Le propos n’est pas ici d’expliquer la raison de ces évolutions successives de confessions, souvent opposées, et qui est une singularité indonésienne en Asie du sud-est. En revanche, nous nous attarderons à ces diverses strates confessionnelles qui vont se superposer, parfois se heurter, souvent se juxtaposer ou au contraire s’enrichir l’une l’autre.
Les débuts : l’islamisation de Java et la « javanisation » de l’islam
Il est courant de dire que l’Indonésie – Java ici - fut islamisée… en omettant la contrepartie du phénomène, une « javanisation » de l’islam. Et pourtant, là est peut-être la clé du succès de la nouvelle religion, qui accepta les anciennes traditions ou les adapta, pour mieux se faire adopter. Ainsi :
- Le théâtre d’ombres ou wayang, allant pourtant à l’encontre de l’islam, se maintint au-delà du Mahabharata et Ramayana hindous. Sunan Kalijogo, se servit des marionnettes pour asseoir les nouveaux enseignements, notamment les aventures de Amir Hamzah, l'oncle de Mahomet.
- Les « selamatan » ou repas rituels que l’on partage après les prières musulmanes. Héritage de la période hindoue, ils sont organisés pour assurer protection et célébrer début et fin de ramadan.
Cette « javanisation » de l’islam se traduit aussi dans les monuments, mosquées et tombes :
- La mosquée de Demak, datant de 1477, et dont la structure rappelle les toits des pagodes.
- Le minaret de Kudus qui ressemble à s’y méprendre à un temple hindou de Majapahit ou à une tour balinaise de « kulkul » (tambour).
- La présence de « gapura » ou portes d’entrée de palais ou temples, héritées de l’époque hindoue, de la fin du royaume de Majapahit.
La mosquée de Wali Loram Kulon, située près de Kudus, sur la côte Nord de Java central, en est un parfait exemple. Elle fut édifiée en 1597, par un musulman d’origine chinoise, Tjie Wie Gwan, sur ordre du sultan Hadirin, le gendre du Saint de Kudus.
La mosquée traditionnelle fut entièrement reconstruite dans les années 1990 mais demeure le « gapura paduraksa ». Ce style de porte est une caractéristique de la période hindoue/bouddhique de Java-Est et de Bali. Le passage central – fermé en dehors des cérémonies - est réservé aux dieux alors que les entrées de côté sont pour les fidèles. Pour qui voulait se convertir, c’était une manière d’établir une passerelle entre les anciennes croyances et les nouvelles, sans heurt, en conservant des référents connus et acceptables. La partie en bois porte l’inscription en arabe : « Ô Dieu, accorde-nous ta bénédiction ».
De l’époque hindoue et préservés ici se trouvent un linga-yoni, symbole de Shiva et Paravati, ainsi qu’une petite coupe. Avant l’introduction de l'islam à Java, au moment des semailles, les paysans récitaient des prières en versant de l'eau ou du lait sur le phallus, liquide qui s’écoulait ensuite dans la coupe. Ainsi sanctifié, il était ensuite aspergé dans les champs pour les rendre fertiles.
Aujourd’hui : entre maintien des traditions et arabisation de l’islam
Au cours des cinquantes dernières années, l’Indonésie a vécu la montée irrépressible de la pratique religieuse, toutes religions confondues. Pour l’islam, la présence des mosquées est plus marquée, le nombre de pèlerins à la Mecque est en constante augmentation, de nombreux mots d’origine arabe s’incrustent dans la langue alors que le port de vêtements dits « musulmans » et le foulard pour les femmes se font très visibles. Ces tendances s’accompagnent d’une arabisation de la religion dont l’origine se trouve dans des financements externes, notamment en provenance des pays du Golfe.
Cependant, la communauté est tiraillée entre diverses orientations et nombreux sont aussi les mouvements pour un « islam nusantara » ou « islam indigène », rejetant les penchants transnationaux d'arabisation et fondant son identité sur les usages, certes musulmans, mais revisités localement.
Ce courant s’affirme lors des célébrations du calendrier hégirien, comme pour le nouvel an musulman, la fin du ramadan ou encore l’anniversaire du Prophète dit « ampyang maulid » dans sa version javanaise du village de Loram.
En quoi consiste l’« ampyang maulid » ?
Le sultan Hadirin, vivant au XVIème siècle, a enseigné que l'islam demande aux vivants d’entretenir de bonnes relations avec les esprits des ancêtres afin que ceux-ci veillent sur leur descendance. Abandonner les coutumes ancestrales susciterait la colère des mânes ; c’est ainsi que des célébrations particulières doivent se perpétuer.
L’« ampyang maulid » remonterait au temps du sultan qui rappela aux fidèles qu’ils ne devaient certes pas manquer de commémorer la naissance de Mahomet, mais en tenant compte des moyens et du quotidien de l’époque. Il suggéra ainsi que chaque village apporte à la mosquée un plateau carré, décoré de beignets de couleurs (« ampyang »), et contenant des offrandes de riz (« sego »), enveloppées (« kepel ») dans des feuilles de teck ou de bananier. Le nombre de petits paquets est obligatoirement de sept (javanais : pitu) qui symbolise pitulung (aide), pitutur (conseil), pituduh (orientation) dans la vie.
En parallèle, une deuxième préparation est le « gunungan », celui « qui a la forme d’une montagne », au sommet duquel siège le Tout-Puissant. C’est aussi l’axe du monde, l'image de la vie terrestre et de la vie spirituelle où Dieu détermine toute activité dans l'univers.
Une procession, accompagnée des deux présentations, se formera au son des tambours, en direction de la mosquée, dans laquelle elle pénètrera par le « gapura paduraksa » qui demeure le pivot des cérémonies.
Les prières seront dites, assorties de la lecture de certaines sourates, avant que les « ampyang maulid » et « gunungan » ne soient disloqués pour que la nourriture soit consommée par tous, sans distinction, en signe de cohésion sociale.