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Les traditions javanaises de purification des villages et offrandes à la mer

le port de prigi à Javale port de prigi à Java
le port de Prigi.@AnneMarieWirja
Écrit par Anne Marie Wirja
Publié le 14 juillet 2021, mis à jour le 8 octobre 2021

Chaque année, l’île de Java organise dans ses villages des rituels dont l’origine se perd dans la nuit des temps.  Si certains correspondent à des évènements plus ou moins historiques, avec des héros locaux qui y sont attachés, d’autres font partie d’une tradition légendaire localement partagée.     

Ces évènements dits Bersih desa / “Nettoyer le village” et Petik laut / “Cueillir la mer” ont en commun un rite de purification et des remerciements adressés à la terre nourricière ou à l’océan généreux, eux qui ont facilité la vie au cours des mois passés.  Ils sont organisés lors  des mois de Sela /  Dhu al-Qadah ou de Sura / Muharram  du calendrier javano-musulman, soit les 11e et 1er mois du calendrier hégirien.

 

Purification du village Beji Besar Maguwan (Java-Est)

offrandes nettoyage de la mer
offrande nettoyage à la source@AnneMarieWirja

Le 18 juin 2021 (vendredi kliwon, mois de Sela) eut lieu près de Ponorogo, à Beji Besar Maguwan, un Bersih desa,  discret en ces temps de Covid. Cette région de Java-Est, au cœur de la chaîne calcaire de la Sonde, est aride et relativement déshéritée. L’eau est  soigneusement retenue dans des beji  ou étangs.

Les officiels du village, accompagnés du chef de la tradition, ont d’abord déposé des offrandes sur un petit radeau en tronc de bananier, afin que la source reste abondante et pure. Il s’agit certainement d’un ancien culte animiste. Afin que les vœux soient exaucés, un repas communautaire s’est tenu avec des prières musulmanes. Bel exemple de syncrétisme et aussi une façon de resserrer le lien social.

theatre d'ombre wauyang
theatre d'ombres, wayang.@AnneMarieWirja

Mais le cérémoniel n’aurait pas été complet sans un théâtre d’ombres un peu particulier dit ruwatan dont la finalité est de libérer de la malédiction. Cette forme d'exorcisme s’applique généralement aux personnes dites sukerta, dont le rang de naissance porte malheur et qui seront de ce fait soumises aux maléfices de Kala, le fils démoniaque de Shiva*.  Mettre en scène Kala, raconter son histoire - dite murwakala - lors d’occasions précises sert à le satisfaire et à annihiler ses penchants néfastes.  Il est intéressant de noter que ce texte anonyme daterait du XVIIe siècle, lors de l’arrivée de l’islam sur l’île, pour un thème pourtant hindou.  

Ce propos peut être élargi lorsque les villageois sont en recherche de protection pour eux-mêmes et leur environnement, ce qui était le cas ici.   

 

* Histoire de Kala

De nombreuses versions existent mais “la morale de l’histoire” demeure la même.

Le soleil irradiait le ciel de ses derniers rayons violets, submergeant d’émotion Bhatara Guru (nom courant de Shiva à Java) qui invita sa femme Bathari Uma à profiter de la beauté du crépuscule. Le couple parcourut l’univers chevauchant le véhicule du grand dieu, le taureau Nandi.   

Alors que leur voyage les conduisait au vaste océan, la lumière scintillante des vagues se refléta sur le visage radieux de la déesse, embrasant Shiva corps et âme. Quelques gouttes de sperme tombèrent dans l’océan cosmique,  accompagnés d’un terrifiant bruit de tonnerre alors que jaillisait un géant appelé Bathara Kala. Celui-ci était quotidiennement  rongé par la faim et engloutissait végétation, terre et rocs ; ces derniers étaient si durs qu’il souffrait de maux d’estomac. Jusqu’au jour où par hasard il put goûter la chair fraiche d’un homme qui s’était malencontreusement caché dans un palmier. Le démon trouva qu’elle convenait à son palais et apaisait son estomac!  Il se rendit alors chez son père et lui demanda la faveur, en tant que souverain du monde, de le laisser devenir cannibale. Shiva était si désolé pour son fils qu’il lui accorda sa permission mais exclusivement pour les sukerta, potentiellement dangereux par leur naissance. 

 

Offrandes à la mer, baie de Prigi (Java-Est)

Le 20 juin 2021 (dimanche pahing, mois de Sela) se déroula le Larung Sembonyo, cérémonie traditionnelle de la région de Prigi (Sud de Java-Est) au cours de laquelle les  pêcheurs expriment leur gratitude d’avoir été épargnés en mer et d’avoir pu rapporter suffisamment de poissons pour assurer leur subsistance.

repas priere communautaire
Priere et reaps communautaire@AnnemarieWirja

Cette tradition commémore aussi les premières implantations humaines et l’histoire de ces aventuriers qui cherchèrent à défricher la crique de Prigi alors occupée par la forêt vierge. Le rituel est ainsi à double portée, mer-terre.  

Ainsi parlent les sages du village : Tout commença lorsque le royaume de Surakarta / Solo  (Java central) était à la recherche de nouveaux territoires pour son expansion vers l’Est de l’île. Le souverain avait confié la tâche à Tumenggung Yudho Negoro, un grand guerrier, qui partit accompagné de ses quatre frères. Mais lorsqu’ils atteignirent le golfe de Prigi, ils furent enveloppés par une nuit mystérieuse provenant de forces occultes. Ils méditèrent dans la grotte Lowo et reçurent la révélation divine : Raden Tumenggung Yudho Negoro devrait épouser Raden Nganten Gambar Inten, la fille de la Déesse gardienne des Mers du Sud. Il demanda alors la main de la jeune fille mais des conditions devraient être respectées : l’union réalisée,  la zone s’ouvrirait spontanément mais il faudrait la nommer Parigi ; elle deviendrait un lieu de résidence où les habitants pourraient gagner leur vie ; le mariage devrait chaque année être commémoré lors du mois de Sela, le dimanche pahing ou lundi kliwon en faisant don d’offrandes à la mer.

Tumpeng indonesie
Tumpeng géant.@AnneMarieWirja

C’est dans ce cadre qu’est confectionné un grand nasi tumpeng (riz présenté sous forme de montagne et accompagné de divers plats) de 3m de haut.  Il sera placé sur un support de tronc de bananier assurant sa flottaison lorsqu’il sera conduit vers le large (larung) et offert à l’océan. Les tumpeng font partie de la tradition javanaise, balinaise et maduraise et sont un élément de la vénération divine. Cette forme si particulière n’est pas sans rappeler les volcans, habitat traditionnel des divinités avant que les religions venues de l’extérieur ne modifient partiellement cette croyance.   

offrande et pouee de riz semboyo
offrande poupée de riz sembonyo@AnneMarieWirja

Sembonyo est le nom de la petite poupée faite de farine de riz gluant qui représente une mariée; elle est accompagnée de son “époux” sur le plateau d’offrandes, en rapport ici avec Raden Tumenggung Yudho Negoro et Raden Nganten Gambar Inten.  

 

Si vous souhaitez plus d'informations sur l'agence de voyages d'Anne Marie et de son époux Juwana cliquez ici

 

 

 

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