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La longue marche de l’Indonésie sur le chemin de la démocratie - Part. 1

Même si nous pouvons aisément oublier que l’Indonésie est aujourd’hui la troisième plus grande démocratie dans le monde après seulement l’Inde et les États-Unis, il n’en a pas été toujours ainsi.

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Rétrospective des présidents indonésiens
Écrit par Michel Larue
Publié le 13 décembre 2023, mis à jour le 24 décembre 2023

C’est parti ! Jakarta, comme un arbre de noël, s’est couvert de décorations multiples : les affiches électorales. Si en France, des panneaux électoraux sont réservés aux affichages des candidats, l’Indonésie, fidèle à son esprit libéral, laisse libre cours à une joyeuse improvisation. Chaque mur, chaque arbre, chaque surface susceptible de recevoir une affiche en est recouvert. Les rues se barrent de banderoles. Et comme les partis ont chacun adopté une couleur la ville entière est bariolée. Le foisonnement est amplifié jusqu’à la confusion par la multiplicité des niveaux des élections, du local au national. Cette débauche témoigne joyeusement de la vitalité et de la multiplicité de la démocratie indonésienne. Elle illustre aussi l’adhésion générale de la population à ce mode d’organisation des pouvoirs.

Comment le pays est-il parvenu à installer la démocratie, à la développer et à la faire prospérer ? Il est intéressant de se rappeler l’histoire récente du pays pour en reconnaître les étapes à travers les différents présidents qui en furent les acteurs ou les moments révélateurs, comme l’a écrit le troisième président, B.J. Habibi dans son ouvrage, les secondes déterminantes (Detik-detik yang Menentukan).

 

Soekarno : le père de l’indépendance

Quand le 17 août 1945 Soekarno et Muhammad Hatta proclament l’indépendance de l’Indonésie, elle est le premier pays à se décoloniser. Cette proclamation est l’aboutissement d’un long processus qui a commencé en octobre 1928 avec le serment de la jeunesse, (Sumpah Pemuda en indonésien) qui proclamait la triple unité : une nation, une langue et un peuple. 

Soekarno est né à Surabaya le 6 juin 1901. Ce même jour l’éruption du mont Kelud place cette naissance sous de bon augure. Issu de la petite noblesse javanaise il peut suivre des études jusqu’au diplôme d’ingénieur qu’il obtient en 1926 à ITB, l’Institut de Technologie de Bandung. Durant ses études, il est influencé notamment par H.O.S. Tjokroaminoto, dirigeant de l'organisation Sarekat Islam et par Henk Sneevliet, un Néerlandais qui fondera le futur Parti communiste indonésien (PKI). Lui-même fonde le Parti national indonésien (PNI). On trouve alors les trois composantes de la vie politique de la future Indonésie : Islam, Communiste et nationaliste. 

Quand les Japonais occupent le pays, à partir de janvier 1942, ils prônent un pan asiatisme par opposition à la colonisation européenne. Soekarno participe au « comité d'enquête pour le travail préparatoire à l'indépendance de l'Indonésie » mis en place par l’occupant. 

En 1943, il épouse Fatmawati dont il aura plusieurs enfants dont la seconde fille, Megawati, deviendra plus tard également vice-présidente puis présidente. 

Dès le lendemain de la proclamation, le 18 août, le comité se réunit et finalise le texte de la constitution. Constatant les dissensions entre les différentes composantes, et dans le but de renforcer la cohésion nationale, il propose de placer provisoirement cinq principes érigés en philosophie d’état et intégrés à la constitution : ce sera le Pancasila.  

Ces cinq principes sont :

  1. La croyance en un Dieu unique.
  2. Une humanité juste et civilisée.
  3. L'unité de l’Indonésie.
  4. Une démocratie guidée par la sagesse à travers la délibération et la représentation.
  5. La justice sociale pour tout le peuple indonésien.

Élu président, conjointement avec Muhammad Hatta, vice-président, commence alors la révolution indonésienne, Revolusi, guerre de décolonisation après la tentative de reconquête du pays par les Hollandais. 

Depuis Yogyakarta où il s’est installé avec son gouvernement, Soekarno organise la résistance. Le 19 décembre 1948, la ville est prise et le gouvernement indonésien arrêté et placé en exil. La lutte continue, coordonnée par le sultan de Yogyakarta, Hamengkubuwono IX. Parallèlement, diverses actions diplomatiques sont menées qui aboutirent à une résolution des Nations Unies enjoignant les deux parties à ouvrir des négociations qui se tinrent en Hollande entre août et octobre 1949. Elles aboutirent à un accord signé en décembre 1949, reconnaissant la république fédérale indonésienne avec comme capitale Yogyakarta. Soekarno fut alors élu président par l’assemblée et Mohammad Hatta reçut de la reine Juliana les marques de la souveraineté.

La construction du pays pouvait alors commencer. Soekarno dût alors déployer toute son énergie, sa séduction et ses talents d’orateur pour unir un pays en proie aux mouvements autonomistes, séparatistes et parfois indépendantistes. Il a bénéficié pour cela du fort sentiment nationaliste émergeant et de la fierté qui l’animait. C’est l’époque de l’érection des monuments de style parfois soviétique qui jalonnent les grandes artères de Jakarta. 

Sur le plan international, après la seconde guerre mondiale, le monde entrait alors dans la guerre froide. Les blocs se durcissaient. Les nouveaux états issus de la décolonisation étaient sommés de choisir leur camp. L’Indonésie, avec un gouvernement comprenant des communistes, des nationalistes et des musulmans était alors écartelée. 

C’est alors que Soekarno a organisé la conférence de Bandung, dite Asie-Afrique qui a réuni pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques dont Gamal Abdel Nasser (Égypte), Jawaharlal Nehru (Inde) et Zhou Enlai (Chine). Cette conférence marqua l'entrée sur la scène internationale des pays du « tiers monde » nouvellement décolonisés et refusant d’intégrer l’un des deux blocs menés par les États-Unis et l'URSS. Elle a été une étape déterminante dans ce qui allait devenir le mouvement des non-alignés.

L’Indonésie était-elle prête à devenir totalement démocratique ? Soekarno le pensait d’autant moins que les oppositions se renforçaient. Il a donc théorisé le concept de démocratie dirigée, dans laquelle le peuple n’était pas entièrement souverain et où les assemblées n’avaient qu’un rôle consultatif. 

Mais la guerre froide s’intensifiant, il devint rapidement difficile pour Soekarno de se maintenir à égale distance. Son sens social et l’équilibre des forces politiques l’ont conduit à infléchir sa politique vers la gauche et le PKI. 

Le sentiment nationaliste indonésien s’est renforcé durant la « Confrontation » avec la jeune fédération malaisienne à propos des territoires malaisiens de Bornéo entre 1963 et 1966.

 

Suharto ou les brutales trente glorieuses

Le 30 septembre 1965, une tentative de coup d’État attribuée plus tard aux communistes a conduit le général Suharto à prendre ou à recevoir le pouvoir, selon les versions. Il sera nommé président par intérim en 1967 et président de plein droit l’année suivante.  

Il dirigera le pays d’une main ferme jusqu’en 1998. Ce sera la période dite d’ordre nouveau caractérisée à la fois par un régime autoritaire et un développement économique et social réel. Les populations bénéficieront des 30 glorieuses du pays. 

Sur le plan de la démocratie, la session de 1973 de l’assemblée délibérative du peuple, ou MPR consacre sa composition. Seuls trois partis politiques y sont représentés : le Golkar ou parti des groupes fonctionnels, soutien naturel du président, fondé par l’armée. Il a été systématiquement majoritaire aux élections. Les deux autres partis sont le PPP ou Parti pour l'unité et le développement, d’inspiration musulmane, né de la fusion forcée par le président des quatre partis musulmans. L’autre parti est le PDI, parti démocratique indonésien, héritier du parti nationaliste. À côté de ces trois partis, l’armée, qui incluait la police, bénéficiait également de sièges. Durant cette période, des simulacres d’élections eurent lieu. Outre voter les lois, le MPR avait une autre fonction : élire le président de la République.

Le régime de Suharto s’est démarqué sur le plan international du non-alignement pour se rapprocher des États Unis. Cela s’est exprimé quand, en 1974, suite à la révolution des œillets menée par une coalition de socialistes et de communistes qui a remplacé Salazar à la tête du Portugal, a octroyé sans préparation l’indépendance à sa colonie du Timor Oriental. À cette époque, la guerre du Vietnam n’était pas terminée et la doctrine dominante était celle des dominos : si un pays devient communiste, les autres suivraient. Le risque que le Timor oriental devienne communiste a justifié que l’Indonésie annexe l’ancienne colonie portugaise avec la bénédiction des Américains. Une guerre d’indépendance en a résulté, menée par le Fretilin, Front révolutionnaire pour l'indépendance du Timor oriental.

En 1997, une crise financière a éclaté en Thaïlande puis s’est propagée à l’ensemble de l’Asie du Sud Est dont l’Indonésie. Dans le pays, la crise financière s’est doublée d’une crise économique, puis, comme le régime reposait sur la prospérité, d’une crise politique.

Sous la pression notamment des manifestations étudiantes, le président Suharto a démissionné le 21 mai 1998. Il a été remplacé par son vice-président, Bacharuddin Jusuf Habibie sous la protection bienveillante de l’armée et de son chef d’état-major aussi ministre de la Défense, le général Wiranto. 

Le régime d’ordre nouveau, sous la pression extérieure, en particulier américaine, a adopté certaines des formes démocratiques, comme l’organisation d’élections.

Après 53 ans de régimes dirigés, l’Indonésie pouvait alors entrer dans la Reformasi, la réforme.

Les différents présidents qui se sont ensuite succédés ont tous contribué au succès de cette transition. 

 

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