Édition internationale

L’Histoire méconnue des Indonésiens de Nouvelle-Calédonie

C’est un pan de l’Histoire commune entre l’Indonésie et la France souvent méconnu. À la fin du XIXème siècle, des milliers d’Indonésiens se sont exilés sur un petit territoire français perdu au milieu du Pacifique : la Nouvelle-Calédonie. Recrutés pour travailler dans les mines et les champs, cette communauté est aujourd’hui toujours présente et incontournable dans l’archipel français. Certaines familles sont cependant retournées vivre en Indonésie après la Seconde Guerre mondiale. L’une de ces Calédo-indonésiennes est Roseline la professeure de français bien connue de la communauté française de Jakarta.  

NoumeaNoumea
La baie de l'Orphelinat à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, territoire français du Pacifique où de nombreux Indonésiens se sont exilés au XIXème siècle
Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 3 novembre 2025, mis à jour le 5 novembre 2025

Aux origines : le contexte colonial français

L’histoire des Indonésiens de Nouvelle-Calédonie remonte à la fin du XIXᵉ siècle, à une époque où la France cherchait de la main-d’œuvre pour exploiter les ressources minières et agricoles de sa colonie du Pacifique. Face au manque de travailleurs locaux, l’administration coloniale fit venir des ouvriers dits engagés — souvent sous contrat — depuis diverses régions d’Asie et du Pacifique : Vietnam, Japon, Indonésie… 

Le 16 février 1896, un bateau accoste sur les côtes néo-calédoniennes. À bord, 163 personnes dont 23 femmes qui arrivent de ce qui était encore à l’époque les Indes néerlandaises. Plus précisément de Java où sévissent la famine et le chômage, les rizières qui nourrissaient la population locale ayant été remplacées par de grandes plantations de café, d'indigo, de tabac par les colons néerlandais. C’est ainsi qu’entre 1896 et 1949 près de 20 000 Javanais décident de s’exiler en Nouvelle-Calédonie devenue une colonie française en 1853 pour essayer d’y trouver une vie meilleure.

 

Le travail sous contrat : des conditions proches de l'esclavage

Ces Javanais étaient souvent recrutés par des compagnies minières ou agricoles françaises, notamment dans l’exploitation du nickel, mais aussi dans les plantations de café, de canne à sucre ou de coprah. Les contrats, d’une durée de 3 à 5 ans, prévoyaient un salaire très faible et des conditions de vie extrêmement difficiles proches de l’esclavage. Beaucoup d’engagés vivaient dans des baraquements isolés, soumis à une discipline stricte et à des tâches pénibles. Ils étaient soumis au code de l’indigénat, un régime de ségrégation sociale et spatiale, qui en faisait des citoyens de seconde zone en leur interdisant notamment de circuler après 20 heures. 

À la fin de leur contrat, ou après la Seconde guerre mondiale et l’accession à l’indépendance de l’Indonésie, environ 2000 des 20 000 Indonésiens restèrent dans l’archipel français créant les premières communautés indonésiennes calédoniennes. Le code de l'Indigénat ne leur était plus imposé et ils ont pu commencer à y vivre dans des conditions dignes. Les descendants de ces migrants sont aujourd’hui entre cinq et six mille et pleinement intégrés dans la société calédonienne, tout en conservant certains aspects de leur identité d’origine. On trouve des familles portant encore des noms d’origine javanaise — comme Said, Nassir, Samin, Djamil ou Radin — et plusieurs associations s’efforcent de préserver la culture indonésienne à travers la danse, la gastronomie ou la langue. Le consulat indonésien dispense notamment gratuitement des cours de bahasa.

 

Intégration, héritage culturel et exil à rebours

Si une partie des travailleurs javanais engagés en Nouvelle-Calédonie ont choisi d’y rester, la plupart ont décidé — ou ont été contraints — de rentrer en Indonésie. Ces retours s’échelonnèrent entre les années 1920 et 1950, souvent organisés par les autorités coloniales néerlandaises ou françaises dans le cadre de programmes de « rapatriement ». Pour beaucoup, ce retour s’apparentait à un exil à rebours : après des décennies passées dans le Pacifique, ces hommes et femmes revenaient dans une Indonésie qu’ils connaissaient mal ou dont ils avaient perdu la langue et les repères culturels. Certains retournèrent à Java mais face à la surpopulation de l’île, d’autres ont été orientés au Sud-Est de Sumatra autour de Lampung. Il y a même un secteur qui s’appelle Blok Kaledonia à proximité de cette ville. 

 

Roseline, la plus célèbre des Calédo-indonésiennes !

Roseline, la professeur de français bien connue de la communauté française de Jakarta, est issue de cette histoire. Ses grands-parents, originaires de la région de Yogyakarta, se sont exilés en Nouvelle-Calédonie pour travailler dans la mine de chrome de Tiébaghi au nord du territoire. Roseline est née sur l’archipel français et y a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans à une époque où les conditions de vie de la communauté indonésienne étaient devenues normales.  Elle se souvient avec émotion de ce qu’elle définit comme son « pays natal ». Elle garde le souvenir d’une vie heureuse notamment « les week-ends à piqueniquer en famille le long de la rivière Dumbéa » à quelques kilomètres de la capitale Nouméa. Elle est aussi nostalgique de la gastronomie française.

Une vie qu’elle quitte après l’obtention de son bac et le retour de son père en Indonésie en 1981 au moment de sa retraite de grutier dans la plus grande usine de nickel de Nouvelle-Calédonie. Un nouveau chapitre pas facile pour la jeune fille de l’époque qui ne connaissait que « la vie à la française ». Installée à Brebes, le village natal de sa mère dans le centre de Java, Roseline apprend les codes sociaux et culturels de l’Indonésie et se convertit à l’islam. Elle doit aussi apprendre le bahasa et s’adapter au javanais du kampung car à Nouméa Roseline parle en famille un javanais édulcoré et le reste du temps uniquement le français. La jeune femme se passionne pour la langue indonésienne, dévore tous les manuels qui lui tombent sous la main et entame une carrière de professeur de français. Profession qu’elle exerce toujours aujourd’hui. Après plus de 40 ans de vie en Indonésie, Roseline se sent désormais plus Indonésienne que Française, mais les souvenirs de Nouvelle-Calédonie sont à jamais gravés dans sa mémoire avec une forte émotion.

 

Les relations entre la Nouvelle-Calédonie et l’Indonésie aujourd’hui

Longtemps oubliée dans les récits officiels, l’Histoire des Indonésiens de Nouvelle-Calédonie revient peu à peu dans la lumière grâce aux travaux d’historiens, aux expositions locales et à la redécouverte des archives coloniales, mais beaucoup reste encore à étudier. Sur le plan des relations officielles, l’Indonésie entretient des relations consulaires et commerciales avec Nouméa où un consulat est très actif. Les échanges  se font essentiellement dans le domaine culturel, touristique et de la formation.

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Sujets du moment

Flash infos