Imaginez-vous en 1760, dans la campagne de Batavia (ancien de nom de Jakarta), le long du canal Molienviet, découvrant derrière cette belle clôture et élégant portail, dans un jardin fleuri, la somptueuse demeure du gouverneur général Reiner de Klerk telle que dessinée par le talentueux Johannes Rach.
Une maison sauvée deux fois de la destruction !
Né en 1710, néerlandais, Reiner de Klerk, décide en 1731, après 3 voyages sur Batavia pour la VOC (Compagnie hollandaise des Indes orientales) en tant que marin, de s’y installer et devient comptable. Il ne quittera plus l’Indonésie. Il occupe diverses fonctions dans l’archipel pour finir à la plus haute fonction de Gouverneur Général à Batavia en 1777. Il décède en 1780, il est enterré dans l’église place Fatahillah (détruite et remplacée aujourd’hui par le musée du wayang).
N’appartenant pas à la haute société, de Klerk se marie toutefois en 1754 à Sophia Francina Westpalm, veuve et très riche héritière, ce qui lui permet d’acquérir un très grand terrain en 1755 le long du Molenviet (canal creusé au 17ème siècle au sud de Batavia) et d’y construire en 1760 une grande maison avec jardin et dépendances, aujourd’hui au n°111 Jalan Gajah Mada.
Dans ce quartier en pleine campagne, prisé par l’élite de Batavia jusqu’au 19ème, cette magnifique maison lui sert aussi de bureau et est juste à ¼ d’heure de la ville fortifiée devenue totalement insalubre et dangereuse. Le terrain bien plus important qu’aujourd’hui abrite une plantation de sucre. Pour l’exploiter et entretenir la maison, de Klerk a à son service de nombreux esclaves, 150 exactement. En 1785, à la mort de son épouse Sophia, la maison est vendue.
Plusieurs propriétaires se succèdent dont Miero, ancien gardien de la maison, puni de 50 coups pour s’être endormi pendant son service et ayant juré d’en être propriétaire un jour ! En 1844, la maison est utilisée comme orphelinat. En piteux état, mais pour éviter sa destruction, le gouvernement l’achète en 1900 et l’utilise comme bureau du ministère des Mines et de l’énergie. En 1925, elle est restaurée et de 1974 à 1979 elle abrite les archives nationales (aujourd’hui déplacées sur Kemang, quartier sud de Jakarta).
En 1995, pour les 50 ans de l’indépendance, la reine Beatrix des Pays-Bas visite l’Indonésie et annonce la restauration de l’édifice très dégradé, grâce aux fonds collectés par les entreprises néerlandaises sur place, sauvant encore une fois la maison des promoteurs de centres commerciaux. En 2001, la qualité de la restauration est récompensée par l’Unesco. Aujourd’hui, elle accueille des expositions temporaires, des événements publics ou privés et peut se visiter. A l’étage sont exposés en permanence meubles coloniaux, porcelaines et anciennes cartes.
Les esclaves de Batavia
150 esclaves vivaient et travaillaient dans la maison et la plantation de de Klerk. Leur nom permettait de connaître leur origine : Gede de Bali, Ahmad de Ternate, Solander de Timor … Chacun avait une tâche très spécifique : 2 esclaves pour les batiks, 2 pour les broderies, 2 pour les dentelles, 1 pour le chignon de Madame, 1 pour faire le thé, 1 pour le sambal… un orchestre entier d’esclaves avec flûtes, violons et violoncelles jouait tous les soirs. Selon le dernier vœu de Sophia de Klerk, 50 esclaves furent affranchis et reçurent un peu d’argent pour démarrer leur nouvelle vie. Quelques-uns ont pu acheter leur liberté. Les autres furent vendus sur le parvis de la maison le 28 janvier 1786.
Encore méconnu de nos jours, l’esclavage en Indonésie a pourtant été un fait courant pendant des siècles, bien avant l’arrivée des Européens, mais qui s’est amplifié avec l’arrivée de la VOC. Du 17ème au 19ème siècle, des milliers d’esclaves vécurent à Batavia. Ils représentaient 50% de la population de la ville jusqu’en 1812, où une taxe sur les propriétaires d’esclaves fut introduite par Raffles afin de forcer l’affranchissement. La ville de Batavia était le principal marché des esclaves de la région. Les estimations parlent de près d’un demi million d’esclaves commercialisés durant cette période ; les mauvais traitements et les soins médicaux inexistants accentuant des achats fréquents et réguliers. Batavia recevait la « marchandise » de Bali, des Célèbes, d’autres îles de la Sonde, de Birmanie et d’Inde, qui était ensuite revendue sur le territoire ou au-delà comme en Afrique du Sud et autres endroits contrôlés par la VOC. Prisonniers de guerre, insolvables ou tout simplement pauvres, les esclaves étaient vendus par les rois, sultans et chefs tribaux ou kidnappés par des chasseurs d’esclaves. À la différence des esclaves d’Amérique, ceux d’Asie étaient employés dans les plantations et comme employés de maison, mais aussi dans les entrepôts, chantiers navals, construction des villes, prostitution, épouse ou concubine.
L’abolition de l’esclavage en Indonésie ne sera officielle qu’en 1863.
Une fois affranchis, les ex-esclaves de Batavia se sont souvent regroupés selon leur région d’origine. Ainsi, à Jakarta vous avez des quartiers dénommés kampung Ambon, kampung Melayu, Tambora … Jakarta apparaît comme une Indonésie miniature, où les descendants de ces esclaves constituent sans aucun doute une des racines des Orang Betawi (natifs de Jakarta).
Le bâtiment plus en détails
GEDUNG ARSIP NASIONAL – MAISON DES ARCHIVES NATIONALES
MAISON DE REYNER DE KLERK
N°111 Jalan Gajah Mada - Harmoni - Jakarta