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Le coronavirus, un cas de force majeure en droit turc ?

Juridique coronavirus force majeureJuridique coronavirus force majeure
Écrit par Ihsan Osman Yarsuvat
Publié le 20 mars 2020, mis à jour le 11 mai 2020

Le coronavirus, vecteur du Covid-19, ne préoccupe pas seulement la santé des personnes. Qu’en est-il des conséquences juridiques de ce virus sur les contrats ? 

Découvert en Chine, le Covid-19 a été reconnu par l’OMS comme pandémie. La Turquie n’est évidemment pas épargnée par ce virus. 

Sans trop rentrer dans les détails ni le jargon juridique, nous tenterons d’analyser les conséquences juridiques du coronavirus en droit turc, par rapport aux contrats commerciaux, aux contrats de travail mais aussi aux contrats de voyage.

1. Le coronavirus et le cas de force majeure dans les contrats commerciaux

Il n’y a pas de doute sur le fait que le coronavirus soit reconnu comme un cas de force majeure. C’est-à-dire un fait, un événement qui serait indépendant aux parties à un contrat et viendrait à empêcher l’exécution même d’une prestation. Par exemple, une entreprise informatique qui répare des ordinateurs, mais qui ne reçoit plus les cartes mère nécessaires, elles-mêmes produites en Chine. 

En principe, les co-contractants prévoient dans leurs contrats commerciaux des clauses de force majeure, et décident ensemble sur les conséquences en amont. Néanmoins que faire si les parties n’ont rien prévu ? Que prévoit le droit turc ? 

Lorsque les parties n’ont rien prévu dans leur contrat ou que les clauses rédigées seraient jugées non-applicables, le droit turc renvoie à la loi n° 6098 de 2012 sur les obligations (TBK). En vertu de celle-ci, si l’exécution d’un contrat devenait impossible en raison d’une cause extérieure au débiteur, le devoir de ce dernier prendrait fin. Les articles 136 et suivants de la TBK distinguent, d’une part l’impossibilité partielle d’exécution du contrat et d’autre part, l’impossibilité totale.

Face à une impossibilité partielle qui n’est pas due au débiteur, ce dernier serait exonéré de la partie de son obligation devenue impossible à exécuter. Quant au cas d’impossibilité totale de l’exécution du contrat, le débiteur peut exiger du juge qu’il réadapte les obligations du contrat et si cela est impossible, le résoudre (dans ce cas le débiteur sera libéré de son obligation). En pratique il est constaté que les entreprises qui signent des contrats bilatéraux suspendent d'un commun accord leurs obligations mutuelles jusqu’à ce que la situation de force majeur prenne fin, sans pour autant résoudre le contrat.    

2. Le coronavirus et l’obligation du travail 

Nous observons à Istanbul que certaines entreprises, notamment les multinationales, ont exigé que leurs employés fassent du télétravail. Face à de tels employeurs bienveillants, le contrat de travail subsiste et l’employé recevra son salaire. 

Cependant ce n’est pas le cas pour toutes les entreprises. Il arrive malheureusement que certains employeurs prennent cette pandémie à la légère. D’autres encore obligent les travailleurs à se rendre au bureau ou à l’usine.

Malgré l’importance de la survie d’une entreprise, chaque employeur est tenu d’assurer la sécurité au travail (Loi sur la santé et la sécurité au travail n°6331). Dès lors face à une éventuelle contamination par le coronavirus, l’employé serait considéré comme victime d’un accident de travail. A ce propos, dans son arrêt rendu le 15 avril 2019, la Cour de Cassation turque (arrêt n°2019/2931) a décidé qu’un chauffeur de camion turc envoyé en Ukraine, décédé suite à une contamination au H1N1, était reconnu comme victime d’un accident de travail et donc que sa famille avait droit à l’allocation de dommages et intérêts. 

Quant aux entreprises qui assistent à une baisse de leur chiffre d’affaires, ou celles qui sont dans l’impossibilité d’organiser le télétravail, elles cherchent des alternatives souvent peu légales comme celles d’obliger les travailleurs à prendre des congés payés ou encore des congés sans solde. En vertu de la loi n°4857 sur le travail, les employeurs ne peuvent pas forcer leurs employés à prendre des congés payés ou encore des congés sans solde. Si en pratique l’employeur exigeait son employé à prendre obligatoirement un congé, ce dernier pourrait mettre fin à son contrat de travail pour cause dite en droit turc « de raison valable » et exiger le paiement de dommages et intérêts (condition d’ancienneté de plus d’un an). 

Le cadre juridique décrit plus haut serait différent face à une décision « d’interdiction de sortie » ou encore de « confinement chez soi » prise par le Gouvernement. Dans un tel scénario, l’entreprise qui organiserait le télétravail n’aurait pas trop de difficulté à fonctionner. 

Mais pour les autres entreprises qui ne peuvent pas mettre en place une solution de télétravail, la situation serait bien plus grave. Face à une  interdiction de sortie de plus d’une semaine, le contrat de travail serait dit « suspendu » pour cause d’empêchement extraordinaire. Néanmoins l’employeur est tenu de payer la moitié du salaire (journalier) de l’employé pendant la première semaine. Après ce délai, l’employeur, comme l’employé, pourraient (mais ne sont pas obligés) mettre fin au contrat. Face à une telle résolution du contrat, l’employé aurait droit à un préavis et à des dommages et intérêts (condition d’ancienneté de plus d’un an) à charge de l’employeur.

3. Le coronavirus et les contrats de voyage

Bon nombre d’entre vous ont signé un contrat de voyage avec un tour opérateur (turc) afin de partir en vacances. Que faire si votre vol est prévu pour cette semaine alors que la Turquie a interdit les vols pour certaines destinations, ou encore que le pays que vous allez visiter a déjà fermé ses frontières ? En vertu de la Loi n°6502 sur la protection des consommateurs, lorsque le voyage est annulé avant le départ, ou bien que des éléments essentiels au contrat de voyage viendraient à changer indépendamment de la volonté du consommateur (voyageur), ce dernier pourrait accepter une date alternative ou encore résoudre le contrat et exiger du tour opérateur le remboursement TOTAL des frais payés. 

Pour cela, il est nécessaire de téléphoner d’envoyer un simple écrit à votre tour opérateur. Si ce dernier ne donne pas de réponse, il est préférable d’envoyer vous-même ou bien par le biais de votre avocat une mise en demeure notariale (depuis un cabinet notarial) afin d’avoir la preuve de l’envoi et de la date (lettre recommandée). Cette mise en demeure vous coûtera environ 200 TL. Vous avez également la possibilité d’envoyer un courrier recommandé par la poste, mais les détails du recommandé ne prouvent pas le contenu. La voie notariale serait donc la plus valable juridiquement. 

 Si en dépit d’une telle mise en demeure votre tour opérateur ne change pas gratuitement votre date de séjour ou bien ne vous rembourse pas, vous pouvez intenter une action judiciaire auprès de la Commission des Consommateurs située dans votre commune ou au niveau de la ville (selon le montant du voyage en cause). Si le prix du voyage en cause dépasse les 6.000 TL, l’autorité compétente pour traiter  votre affaire sera le Tribunal des Consommateurs. En complément à l’action judiciaire, vous pouvez également dénoncer votre tour opérateur à l’Ordre de TURSAB (Agence des Tours opérateurs de Turquie).  

Ihsan Osman Yarsuvat, Avocat au Barreau d’Istanbul

www.yarsuvatlegal.com / ioy@yarsuvatlegal.com

Osman proposera une rubrique juridique régulière, grâce à laquelle vous pourrez trouver des réponses aux questions que vous vous posez sur vos droits en Turquie. 

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