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Yaşar Kemal et Orhan Pamuk, deux conteurs aux univers différents

Yaşar kemal écrivain turcYaşar kemal écrivain turc
Yaşar Kemal
Écrit par Samim Akgönül
Publié le 8 août 2022, mis à jour le 8 août 2022

Toutes les deux semaines, le mardi, lepetitjournal.com Istanbul vous propose un rendez-vous "Parlons Turquie..." à travers des courts textes de Samim Akgönül, auteur du "Dictionnaire insolite de la Turquie". Vous y êtes invités à découvrir des concepts, mots et expressions ou des faits peu connus mais aussi des personnages insolites de l'espace turc, inspirés du dictionnaire en question. Aujourd'hui, la lettre "K"...

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Si Homère avait une réincarnation moderne, ça serait sans doute Kemal Sadık Gökçeli, mondialement connu sous son nom de plume Yaşar Kemal.

Né en 1923 dans une famille d’origine kurde, Yaşar Kemal débute une carrière de journaliste où il s’illustre pendant les années 1950 comme reporter et intervieweur. Ce sont en revanche ses romans épiques, comme la série de Memed le Mince dont les quatre volumes sont traduits délicieusement en français par Güzin Dino et Münevver Andaç qui le font connaître mondialement.

Yaşar Kemal, un conteur de la ruralité

Premier écrivain de langue turque (bien qu’il soit d’origine kurde) à être candidat au prix Nobel de littérature, Yaşar Kemal fut très rapidement connu en France, devenant un des auteurs préférés du couple Mitterrand dans les années 1980. Monstre sacré au physique imposant, borgne à la voix caverneuse, son écriture était d’une finesse exceptionnelle, développant un style unique entre Alexandre Dumas et Haruki Murakami. Ces thèmes furent surtout l’honneur, l’oppression des classes, et la nature, surtout en Anatolie du sud-est. Sa dernière série Une Histoire d’île (dont deux volumes sont traduits en français par Altan Gökalp et Alfred Depeyrat aux éditions Gallimard) touche au thème de la mer et au conflit gréco-turc, d’une manière lyrique et épique avec des descriptions surnaturelles comme d’habitude. Socialiste jusqu’à son dernier souffle, Yaşar Kemal est mort en 2015 à 91 ans, laissant derrière lui une manière de conter toujours imitée, jamais égalée. Il était commandeur de la légion d’honneur depuis 1984, et docteur Honoris Causa de l’Université de Strasbourg depuis 1991.

Mèmed était dans un état d'excitation extrême. Il n'arrivait pas à dormir. Il était envahi de pensées. Les idées se ruaient dans sa tête. Il réfléchissait désormais. Le monde avait grandi dans sa tête. Il réfléchissait à la grandeur du monde. Le village de Degirmenoluk n'était plus à ses yeux qu'un tout petit point. Le tout-puissant Abdi Agha n'était plus qu'une fourmi. Au fond, c'était peut-être la première fois qu'il réfléchissait vraiment. Il réfléchissait avec amour, avec ferveur. Il réfléchissait pour la première fois, au-dessus de ses moyens. Il commençait à haïr. Il se sentait mûrir. Il prenait conscience de sa personne. "Abdi Agha est un homme, nous en sommes aussi", se dit-il en se retournant dans le lit... (Mèmed le Mince, Traduit par Güzin Dino).

Orhan Pamuk, un conteur de la ville

Orhan Pamuk est aussi un conteur, qui, certainement, admire l’œuvre de Kemal. Mais si Yaşar Kemal est l’homme de la ruralité, de Çukurova à la Mer Egée, Orhan Pamuk est celui de la Ville, de Polis, d’Istanbul.

 

Orhan Pamuk
Orhan Pamuk

 

"Celui qui, dans la recherche de l'âme mélancolique de sa ville natale, a découvert de nouveaux symboles pour le choc et l'entrelacement des cultures". Voici la justification du prix Nobel de littérature décerné à Orhan Pamuk en 2006. Né à Istanbul en 1952, Orhan Pamuk est décidément un auteur urbain qui scrute livre après livre cette "âme mélancolique" d’Istanbul, à travers les récits des grands héros comme des petites gens qui deviennent des grands héros sous sa plume.

Celui qui voulait devenir peintre a choisi son stylo pour dépeindre des paysages complexes où le spectateur voit non seulement la ville mais ceux et celles qui l’arpentent tous les jours avec des pensées étonnantes, comme c’est le cas dans Cette chose étrange en moi (2014, traduit par Valérie Gay-Aksoy) ou La Femme aux cheveux roux (2016, traduit par Valérie Gay-Aksoy)

Celui qui a tenté d’étudier l’architecture sans succès, construit des histoires impeccables aux angles courbées comme Le Musée de l'innocence (2011,  traduit par Valérie Gay-Aksoy).

Depuis son premier roman intimiste Cevdet Bey et ses fils (1982, publié en français en 2014, traduit par Valérie Gay-Aksoy), Orhan Pamuk innove à chaque roman, tantôt historique comme Mon nom est Rouge (2001, traduit par Gilles Authier) tantôt politique comme La neige, (2005, traduit par Jean-François Pérouse).

Esprit libéral, il a plusieurs fois critiqué le régime turc et les atrocités commises dans l’Histoire contre les Arméniens et aujourd’hui contre les Kurdes. En 2005, ces propos lui ont valu un procès en vertu de l’article 301 du code pénal turc (insulte à la nation turque) et il avait alors envisagé l’exil. Depuis le non-lieu de 2006, sous la pression des intellectuels et écrivains du monde entier, Pamuk partage sa vie entre Istanbul et New York où il enseigne la littérature comparée.

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Dernières publications de l'auteur :

> Akgönül Samim (dir.), La modernité turque : adaptations et constructions dans le processus de modernisation ottoman et turc, Istanbul, Éditions Isis, 2022 ;

> Akgönül Samim, Dictionnaire insolite de la Turquie, Paris, Cosmopole, 2021 ;

> Akgönül Samim, La Turquie "nouvelle" et les Franco-Turcs : une interdépendance complexe, Paris, L'Harmattan 2020.

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