Les compétitions sportives permettent aux spectateurs de se libérer de leurs soucis quotidiens et de partager, avec d’autres, plaisir, excitation, émotions diverses. Pour les joueurs, ces jeux présentent à la fois les caractéristiques d’une compétition et d’un jeu de guerre. Ces deux aspects méritent d'être soulignés. Ces rencontres sportives préparent le terrain, pour canaliser le mécontentement du peuple, ou permettre de l’unir mais aussi, il arrive qu’elles soient le commencement de soulèvements et de la formation de partis politiques.
Les compétitions sportives permettent aux spectateurs de se libérer de leurs soucis quotidiens et de partager, avec d’autres, plaisir, excitation, émotions diverses. Pour les joueurs, ces jeux présentent à la fois les caractéristiques d’une compétition et d’un jeu de guerre. Ces deux aspects méritent d'être soulignés. Ces rencontres sportives préparent le terrain tant pour canaliser le mécontentement du peuple, ou permettre de l’unir mais aussi, il arrive qu’elles soient le commencement de soulèvements et de la formation de partis politiques.
A Constantinople, dans l’empire Romain ou dans l’empire Ottoman, des jeux étaient organisés pour permettre aux habitants, mais aussi aux différents dirigeants, de se distinguer et de s’entraîner à la guerre, tout en représentant un des groupes sociaux. Ces jeux se déroulaient, pour le premier, dans l’hippodrome avec des courses de chars entre l’équipe des Verts et l’équipe des Bleus. Pour le second, ils se réalisaient dans les jardins du Palais de Topkapi, mais aussi à l'extérieur du Palais, avec les rencontres sportives les plus populaires et les plus pratiquées : le "çirit", jeu de javelot à cheval, entre l’équipe des Verts mais qui en fait s’appelait l’équipe des "Lahanacilar", ou "équipe des Choux" et "l’équipe des Rouges" qui, elle, s’appelait l’équipe des "Bamyacilar" : "équipe des Gombos" (gombo: Abelmoschus esculentus).
Représentations du chou
Le "çirit" : jeu turc ou entrainement ?
L’arc, comme le javelot ou la lance, fait partie des plus anciennes armes de guerre des Turcs. L’utilisation de ces armes comme jeu découle d’un entraînement militaire : c’est un héritage des tribus turques des steppes d’Asie.
Le "çirit" est le nom donné au javelot et au sport équestre qui se joue avec. Pour une rencontre, il faut deux équipes de cavaliers (actuellement 7 par équipe) munis d’un javelot. Le cavalier doit toucher avec son javelot le cavalier de l’équipe adverse pour marquer le point. Mais si le javelot touche le cheval, le lanceur est exclu du jeu. La rencontre a lieu sur un large terrain (actuellement 140m de long sur 40m de large). Le jeu dure deux fois quarante minutes. L’équipe qui marque le plus de points, bien sûr, gagne.
Le çirit est un jeu de guerre à part entière. Les joueurs de çirit sont appelés cündi. Ce mot signifie "soldat" en arabe. Il était également utilisé pour désigner les bons cavaliers. Le jeu pouvant entraîner des blessures graves ou la mort, les joueurs de çirit devaient faire preuve d'un courage considérable et d’une grande habileté, ce qui leur valait l'admiration au sein de la population et dans l’armée.
Les débuts des Choux et Gombos dans l'Empire Ottoman
Ces équipes ont des noms très particuliers pour un sport d’entraînement militaire : Choux / Gombos. Ils seraient apparus sous le règne du Sultan Mehmet Celebi (1413-1421) : après la bataille d'Ankara, Mehmet Çelebi se retira à Amasya pour renforcer son armée. Deux cents cavaliers furent choisis pour s'entraîner. Deux groupes furent formés, le premier s'entraîna au nom de Mehmet Çelebi, et l'autre au nom de son fils Murad. Pour différencier ces deux équipes sans attiser de rivalités ou engendrer un malentendu entre le Sultan en place et son successeur, on leur trouva un nouveau nom.
Les gombos d’Amasya sont réputés pour être particulièrement bons, et Merzifon, l’une des provinces d’Amasya, l’est pour ses choux. À partir de là, l’équipe du Sultan fut appelée les Bamyacılar (les "Gomboiens") et celle du prince Murad, les Lahanacılar (les "chouiens").
Petit à petit, et surtout après la prise de Constantinople, les Lahanacılar et les Bamyacılar ont contribué à créer un esprit d'équipe dans le palais de Topkapi. Les vêtements, les drapeaux et les symboles ont contribué à créer cet esprit. Lahanacılar et Bamyacılar se sont habillés de couleurs différentes et sont entrés sur le terrain de jeu. Les Lahanacılar portaient un shalwar / sarwell de velours rouge, un haut (chemise) vert et un drapeau vert, tandis que les Bamyacılar portaient un shalwar/ sarwell de velours rouge, un haut (chemise) bleu et un drapeau rouge. Cet esprit d’équipe contribua à marquer des symboles du chou et du gombo les objets employés par les courtisans et les lieux où ils vivaient.
Ce jeu fut intégré à la formation des soldats, notamment physique, des Icoglanlar. Ces pages sélectionnés et formés spécialement pour les tâches les plus importantes du Palais, accédaient ensuite aux hautes fonctions de l’Etat ou de l’Armée de l’empire ottoman. C’est l'une des raisons pour lesquelles le çirit était particulièrement pratiqué au palais et dans la société ottomane. Le but de ce jeu était de préparer non seulement le soldat, mais aussi le cheval, à la guerre.
L'entraînement des joueurs était dispensé dans et par le Palais, et les cours avaient lieu dans la zone Kıztaşı du palais de Topkapı, à Gülhane ou sur la place carrelée du palais de Beşiktaş. À la fin de leur formation, les cündis – soldats / cavaliers apprenaient à monter et à descendre de cheval rapidement et avec agilité, et à manier des épées, des flèches et des fusils, tout cela à cheval. À l'issue de leur formation, avec l'approbation des aghas cavaliers, ils étaient intégrés à la classe supérieure, et recevaient le titre de "maître cündi".
Parmi les activités sportives qui se pratiquaient au Palais, nous pouvons aussi citer la lutte (güres), le tir à l’arc (ok), une sorte de Polo (çevgan), ainsi qu’un jeu qui se joue avec une corde au bout de laquelle il y a une masse (tomak), une autre sorte de jeu de balle (top), mais aussi une activité qui se joue avec une massue en forme de quille, qui peut être lancée ou qui sert à frapper (lobut).
Comme le jeu de lobut se jouait aussi à cheval et en groupe, il était également pratiqué par les cündi/soldats cavaliers. Alors que les athlètes d'aujourd'hui ne participent pas à une compétition en dehors de leur domaine de spécialisation, ces cündi, qui faisaient équipe dans le palais ottoman, participaient à différents jeux.
Les meilleurs joueurs des jeux individuels étaient choisis pour former les équipes comme celle du çirit. Ces équipes étaient respectées dans et à l’extérieur du Palais, comme les équipes sportives d'aujourd'hui. Si les joueurs jouaient bien, ils étaient intégrés dans le régiment, car on pensait que ces personnes avaient également de bonnes compétences militaires.
De plus, grâce à ces compétitions, les pages pouvaient se distinguer et s’attirer la gloire et les faveurs du Sultan.
Ces jeux, fondés sur la compétition, étaient devenus un véritable spectacle qui suscitait l'enthousiasme jusqu’à l'extérieur du Palais d’Istanbul.
En raison de l'importance de ces rencontres, de ces entraînements, une loi fut promulguée par les grands vizirs pour instituer deux équipes de cündis/soldats cavaliers parmi les gens du Palais. Mais libre à eux de choisir s'ils souhaitaient être dans celle des Choux ou des Gombos.
C’est le Page principal du Sultan, le Silahtar Aga, qui était chargé d’organiser ces jeux. Ces rencontres avaient lieu chaque troisième jour des fêtes religieuses, lors des festivités de mariages, mais aussi sur la volonté du Sultan.
Il est même arrivé, comme lors des festivités organisées par le Sultan Ahmet III (1703-1730) pour ses princes, que le çirit soit joué à pied et non à cheval.
Au fur et à mesure que les jeux de çirit gagnaient en prestige au sein du palais et devenaient des jeux plus traditionnels, plus populaires, en particulier lors d'occasions spéciales, les régiments de çirit trouvaient des partisans au sein et autour du Palais. À tel point que même les sultans, censés être neutres, favorisaient ouvertement l'un de ces régiments et créaient même des œuvres architecturales utilisant les motifs végétaux, symboles des régiments qu'ils favorisaient. Il y eut parfois des rassemblements de plus d’une centaine de joueurs par équipe.
Les compétitions entre Lahanacılar et Bamyacılar se sont parfois transformées en conflits et ont alors dépassé le cadre du sport. Les supporters scandaient "Bamya'ya lezzet Lahana'ya kuvvet" (Saveur aux Bamya, Force aux Choux). À la fin du match, la prairie de Büyükdere s’était transformée en un véritable champ de bataille.
Parmi les sultans ottomans, on sait que Mahmut II (1808-1899) soutenait les Bamyacılar et Selim III, les Lahanacılar. Selim III a même écrit un poème intitulé "Mon beau Lahanam". Au cours de ces périodes, des colonnes portant les symboles de choux et de gombos ont donc été érigées sur les places, ainsi qu’au palais de Topkapı ou sur les terrains de jeux, une façon de commémorer la victoire de l’équipe gagnante ; colonnes ou piliers sur lesquels étaient également inscrits des éloges qui s’ajoutaient aux symboles de l’équipe ; il en était de même lors des records des compétitions de tir à l’arc.
Une évolution professionnelle grâce au çirit ?
Être un bon joueur, être célèbre, ne garantissait pas son avenir, ni un revenu comme les professionnels du sport de notre époque. Il ne s’agissait pas d’une profession en soi. Cependant, c'était un facteur pris en considération pour être nommé à des postes importants. Matrakçı Nasuh, sous le règne de Kanuni, le cündi İnal Bey, sous le règne du sultan Yavuz Selim, le cündi Derviş Pasha sous le règne de Selim II, le cündi Mustafa Aga, sous le règne de Murat III et le cündi Halil Pasha, sous le règne de Murat IV, sont quelques-uns des joueurs qui furent nommés à des postes importants. Leur promotion professionnelle grâce au çirit suscita naturellement l’intérêt pour ces jeux.
Coup de sifflet final !
Le 2 novembre 1816, lors d'un match organisé au Palais de Çırağan, Şuayıp Aga fut blessé volontairement par Çopur Hasan Aga ; il resta alité pendant six mois avant de mourir des suites de sa blessure. Sa mort attrista les Chefs du Palais et le Sultan Mahmut II. Après ce tragique événement le Sultan ne joua plus au çirit et le jeu fut complètement aboli en 1826, la même année que l’abolition du corps des Janissaires.
Dans un sens, cette situation révéla la nécessité de pratiquer les jeux sportifs dans une atmosphère de paix et de bonne humeur afin de renforcer la fraternité et l’amitié. L'évolution de la technologie de guerre et l'importance croissante des armes à feu ont également dû jouer un rôle dans l'annulation de ce jeu.
De nos jours, même si officiellement "le Palais" n’organise plus de rencontres de çirit, ce jeu continue à être pratiqué et l'est encore de nos jours, dans les régions de Bayburt, Erzurum, Erzincan, Uşak, Ankara, Manisa, Kars, Sivas et Malatya. Il existe des clubs, des joueurs professionnels et des rencontres organisées qui donnent lieu à de grandes festivités.